La pollution plastique des océans est omniprésente mais ses effets sur les espèces aquatiques méconnues sont très peu mis en lumière alors qu’ils sont tout aussi dangereux pour l’écosystème marin tout en étant responsables de la désoxygénation des océans.
On parle très souvent des dangers liés aux déchets plastiques, jetés dans les eaux de mer ou dans les océans, sur les grands mammifères marins, les poissons ou encore les oiseaux de mer. Cette année, en raison de la crise sanitaire de la COVID-19, le débat sur l’utilisation excessive de plastique a été remis au goût du jour. En effet, beaucoup de masques chirurgicaux et de gants en plastique terminent leur vie dans la nature…
Par conséquent, des scientifiques du GEOMAR Helmholtz Center for Ocean Research Kiel ont voulu s’intéresser de plus près aux conséquences liées à la présence de microplastiques dans les océans sur le zooplancton. Leur étude, publiée dans la revue internationale Nature Communications, montre pour la première fois que des changements s’opèrent au sein même de l’écosystème marin à partir de l’absorption de microplastiques par le zooplancton.
Pour rappel, le plancton est un ensemble d’organismes microscopiques ou de petite taille comprenant le plancton végétal – phytoplancton – et le plancton animal – zooplancton –, et ceux-ci vivent en suspension dans l’eau de mer entraînés par les courants. Le plancton est un organisme à la base de la chaîne alimentaire.
Cependant, tout comme les grands mammifères marins, le zooplancton peut confondre des minuscules particules de plastique avec sa nourriture habituelle et les ingérer. D’après la méthode utilisée par les scientifiques – Earth System Model (Modèle du Système Terrestre) – en simulant la consommation de microplastiques par le zooplancton, celle-ci pourrait avoir des conséquences négatives sur la base du réseau trophique océanique et sur le cycle des nutriments. Même si les concentrations de microplastiques sont faibles, “cette influence est déjà suffisante pour affecter le cycle global des nutriments”, a déclaré le Dr. Karin Kvale, auteure principale de l’étude.
“Ces découvertes sont importantes car la communauté scientifique est depuis longtemps sceptique quant au fait que les concentrations de microplastiques dans l’océan sont suffisamment élevées pour avoir un impact sur le cycle des nutriments”, a-t-elle indiqué, tout en précisant que “notre étude montre que même aux niveaux présents dans l’océan aujourd’hui, c’est peut-être déjà le cas si le zooplancton remplace une partie de sa nourriture naturelle par des microplastiques. Si le zooplancton mange les microplastiques et consomme ainsi moins de nourriture, cela peut avoir des effets écologiques de grande portée qui peuvent, par exemple, conduire à une augmentation des proliférations d’algues via une réduction de la pression d’alimentation qui affecte la teneur en oxygène des océans presque autant que le changement climatique.”
Une part de responsabilité dans la désoxygénation des océans…
Ces dernières décennies, les océans sont menacés par une perte d’oxygène en raison notamment de l’accélération du réchauffement climatique. Il ne faut pas oublier que près de la moitié de l’oxygène sur notre planète provient de l’océan… C’est pourquoi ce phénomène de désoxygénation est un problème majeur. Les zones dites “mortes, en haute mer et dans les eaux côtières, ne cessent d’augmenter car l’oxygène n’est plus suffisant pour assurer la survie de la majeure partie de la vie marine.
A travers leur étude, les chercheurs ajoutent un facteur anthropique supplémentaire lié à la perte d’oxygène des océans. En effet, la consommation de microplastiques par les zooplanctons entraîne une réduction de la consommation des producteurs primaires – êtres vivants autotrophes en bas de l’échelle alimentaire -.
Par conséquent, dans ces régions où la pression normalement exercée par les consommateurs primaires est plus faible, la production d’exportation augmente – quantité de matière organique produite dans l’océan par la production primaire qui n’est pas recyclée (reminéralisée) avant de s’enfoncer dans la zone aphotique -. Quant à la reminéralisation des particules organiques – restitution à l’organisme des constituants minéraux manquants ou perdus -, celle-ci augmente également.
Malgré des estimations encore incertaines, d’après l’équipe de scientifiques, la consommation de microplastiques par le zooplancton pourrait avoir des conséquences régionales et significatives sur les taux biogéochimiques de l’oxygène dissout dans la colonne d’eau – caractéristiques physiques et chimiques de l’eau de mer à différentes profondeurs pour un point géographique donné -.
Ces conséquences néfastes s’accroissent lorsque les taux de microplastiques dans les océans augmentent, renforçant ainsi les tendances dues au réchauffement climatique et à la stratification des océans. D’après l’équipe de scientifiques, un impact important se fait déjà ressentir sur la désoxygénation des océans au niveau mondial.
…mais encore un manque de données disponibles
Les scientifiques confirment qu’il y a encore un véritable manque de connaissances sur l’interaction de la base du réseau trophique et la pollution en microplastique dans les océans. “Un manque de connaissances de base, sur l’interaction plastique/biologique et les distributions microplastiques, limite nos conclusions à l’hypothèse selon laquelle même en faibles concentrations, simulées dans notre modèle, les microplastiques pourraient affecter la biogéochimie à l’échelle mondiale (et pourrait déjà le faire)”, a confirmé l’auteure principale de l’étude, tout en ajoutant qu’ “il reste à déterminer si l’application de la contamination microplastique du réseau trophique aux simulations des modèles de systèmes terrestres de désoxygénation historique peut améliorer les performances généralement médiocres des modèles par rapport aux observations.”
Bien que les résultats soient considérés comme “très préliminaires” et que des travaux supplémentaires soient nécessaires pour apporter plus d’informations et des conclusions vérifiées, cette étude permet d’inclure les effets de la pollution en tant que nouveau moteur du changement des océans au sein des modèles du système terrestre.
Cependant, il y a encore beaucoup de questions encore sans réponses. “Notre étude néglige d’autres rétroactions biogéochimiques potentielles qui pourraient être encore plus puissantes.”
En effet, cette étude ne prend pas en compte de nombreux facteurs, considérés comme essentiels et importants dans l’interaction plastique/biologique et dans la production d’exportation de carbone organique au niveau individuel, qui peuvent être pertinents afin de comprendre les effets de la pollution sur la biogéochimie à l’échelle mondiale.
Il y a encore de nombreuses questions à analyser en profondeur pour mieux comprendre les effets de la pollution sur la base du réseau trophique et sur l’ensemble de l’écosystème marin. Des hypothèses ont déjà été émises selon lesquelles la contamination microplastique de la base du réseau trophique pourrait être suffisamment importante pour perturber la pompe biologique – cycle marin du carbone -. “Nous espérons développer des réponses à ces questions à l’avenir”, a-t-elle conclu.