Surchauffe, kilos en trop et horizon flou… Le casse-tête de la préparation des sportifs de haut niveau pendant le confinement
Soumis aux mêmes contraintes que le reste de la population, les athlètes suivent un programme quotidien pour garder la forme. Pour certains, les compétitions ont été reportées, mais pour d’autres, l’incertitude de la reprise demeure et pose des problèmes d’organisation.
Benoît Jourdain
France Télévisions

Ils sont au Brésil (Neymar et Thiago Silva), en Allemagne (Eric Choupo-Mouting et Thilo Kehrer), en Uruguay (Edinson Cavani) ou au Costa Rica (Keylor Navas). Les joueurs du PSG sont éparpillés façon puzzle un peu partout sur le globe. En ce mois d’avril, ils auraient dû ferrailler sur les terrains de Ligue 1 et se livrer à des joutes européennes en Ligue des champions. Ils ont préféré fuir le confinement qui a mis en pause, en France comme partout ailleurs, la quasi-totalité des activités, en particulier les compétitions sportives. Mais dans leurs valises, ils ont emporté un programme – à respecter scrupuleusement – pour se maintenir en forme en attendant de pouvoir retrouver les terrains.

Des stars du foot aux coureurs qui préparent un hypothétique Tour de France cet été, tous les sportifs de haut niveau doivent composer avec les restrictions de déplacement et s’astreindre à une préparation solitaire, dans l’attente d’une éventuelle date de reprise. Une situation forcément délicate à gérer, entre le corps qu’il faut entretenir et le moral qu’il faut préserver.

“Hormis le yoga…”

Que le ballon soit rond ou ovale, le programme d’entraînement diffère peu durant ce confinement : musculation, gainage et un peu de course. “C’est une situation inédite, on n’a pas de recettes magiques”, avoue à franceinfo Romain Loursac, l’un des médecins du club de rugby de Lyon, le LOU, deuxième du Top 14 avant l’interruption du championnat. Pour travailler la mêlée et les plaquages, par exemple, il n’existe pas de solution idéale. Un problème de taille pour les avants, notamment, dont c’est le pain quotidien en temps normal.

Pour les plaquages, il y a les boudins. Mais c’est difficile tout seul. A la limite, le buteur, lui, peut continuer à s’entraîner. Mais il faut qu’il ait un grand jardin ou des voisins conciliants.
Romain Loursac, médecin du LOU.

En réalité, quelle que soit la discipline, le sportif de haut niveau rencontre des difficultés pendant cette période inédite. La nageuse de Marseille Anna Santamans n’a plus vu l’eau chlorée d’un bassin depuis le 17 mars et le manque se fait sentir. Elle s’est concoctée une routine faite de réveil musculaire, d’étirements, de gainage, de musculation et d’entraînement cardio. “J’essaie de me rappeler des sensations de course et de reproduire le même type d’efforts, détaille-t-elle. Mais ce n’est pas évident car le corps n’est pas dans le même sens sur terre et dans l’eau. En piscine, le travail cardio est horizontal et non vertical.”

Tous sont logés à la même enseigne car, en intérieur, difficile de faire des miracles. “Hormis le yoga, peu de sports sont compatibles avec le travail en appartement, plaisante Pierre-Jean Vazel, entraîneur au club Athlétisme Metz Métropole. Même la PPG (préparation physique généralisée) a ses limites.” Il faut essayer de varier pour éviter de répéter les mêmes exercices encore et encore. Parlez-en aux cyclistes qui, depuis le début du confinement, ont réappris les “joies” du home-trainer. “Faire beaucoup d’heures sur le ‘rouleau’, c’est trop dur. Le temps ne passe pas très vite”, témoigne le Belge Tim Wellens. Et encore, le coureur de l’équipe Lotto-Soudal, habitué à disputer les grandes classiques du calendrier à cette période de l’année, peut au moins admirer la mer Méditerranée depuis son balcon monégasque pour se consoler.

Maxime Bouet, lui, change de place en fonction de la séance : le garage et le frais dans la matinée lorsqu’il faut mettre plus d’intensité, la terrasse l’après-midi “pour prendre le soleil et la vitamine D”. Comme pour le reste de la population, ceux qui disposent de plus d’espace ou d’un jardin sont mieux lotis. Lucas Pouille, par exemple, a préféré louer une maison avec un terrain de tennis plutôt que de rester chez lui à Boulogne (Hauts-de-Seine). Il peut ainsi s’entraîner à sa guise, mais pas quotidiennement, “pour ne pas que les jours deviennent monotones (…) Cela permet surtout de garder le contact avec la raquette et de s’amuser aussi”, déclare-t-il à francetvsport.

“En temps normal, tout est réglé à la minute près”

Cette préparation tronquée n’est évidemment pas la meilleure manière d’aborder les compétitions qui, pour certaines, n’ont pas encore été reportées ou annulées. C’est notamment le cas pour le Tour de France, dernier grand événement estival qui se maintient encore (alors que l’Euro de foot et les JO de Tokyo ont été reportés à l’an prochain, que Roland Garros a été décalé à l’automne et que Wimbledon a été purement annulé). Pour la Grande Boucle, une décision doit être prise le 15 mai. En attendant, le peloton s’entraîne, comme il peut. “Ce n’est pas la meilleure façon de préparer cette course, mais ce serait une catastrophe si le Tour n’avait pas lieu cette année”, assure Tim Wellens.

Le coureur cycliste de la formation Arkéa-Samsic Maxime Bouet s\’entraîne sur son home trainer placé dans son garage samedi 11 avril 2020.Le coureur cycliste de la formation Arkéa-Samsic Maxime Bouet s’entraîne sur son home trainer placé dans son garage samedi 11 avril 2020. (MAXIME BOUET)
Maxime Bouet estime quant à lui qu’il est possible de se préparer pour le Tour uniquement sur home-trainer. Le gagner, en revanche, c’est une autre histoire. “La victoire finale se joue en montagne et si tu ne peux pas faire de dénivelés…”, note le coéquipier de Warren Barguil et Nairo Quintana, deux coureurs qui nourrissent des ambitions sur la plus grande course cycliste au monde. “En une bonne heure de travail sur le home-trainer, tu brûles 600 calories. Cette heure correspond environ à deux-trois heures de vélo sur route et là, tu brûles au moins le double de calories”, explique le coureur de l’équipe Arkéa-Samsic. Dans ces conditions, difficile de ne pas voir les effets néfastes du confinement sur la balance.

J’ai pris deux bons kilos, en faisant attention pourtant. Certains soirs, je sors de table, j’ai encore faim.
Maxime Bouet, cyclisteà franceinfo

Entre le frigo qui “le regarde” et le goûter de sa fille, il est parfois difficile de résister à la tentation. “Le vélo, c’est un sport de moine. Et, pour être performant, tu n’as pas le droit au moindre écart”. Anna Santamans, elle, ne s’est pas encore pesée, mais elle “rentre encore dans ses pantalons” et “voit encore ses abdominaux”. “Les marqueurs sont bons”, sourit-elle.

“Ils ne sont plus dans leur environnement sportif habituel”, analyse pour francetvsport Lise Anhoury, psychologue à l’Insep et spécialiste des questions de troubles alimentaires compulsifs (TAC). “En temps normal, tout est réglé à la minute près : du lever au coucher, entraînements, repas, compétition, détente. Chez eux, il y a un tout autre rapport au temps à avoir. Et ça, ça peut engendrer une crainte et une angoisse liées au poids.”

Plus que le poids des joueurs, Romain Loursac s’inquiète de la fonte musculaire, qui “est inévitable”, et de l’aspect purement technique. “Ils n’atteindront pas chez eux le niveau d’intensité mis habituellement à l’entraînement”, synthétise le médecin du LOU. “On perd également l’aspect technique, ajoute l’ancien joueur. Certains n’ont pas touché un ballon depuis trois semaines.”

Ce n’est pas catastrophique, mais le sport professionnel se joue sur des mini-détails. Les joueurs ne répètent plus des gestes qu’ils faisaient quotidiennement. Ils peuvent perdre les dixièmes de seconde qui font la différence.
Romain Loursac, médecin du LOU
à franceinfo

Ce constat est le même pour tous les sports collectifs, selon le médecin. “L’entraînement est primordial pour rester au niveau, sinon il ne servirait plus à rien”, rappelle-t-il. Il trouve toutefois un avantage à la situation actuelle : “Les organismes vont pouvoir souffler un peu”.

Une course de fond où il ne faut pas se “cramer”

Plus dur que le confinement lui-même, c’est sa durée qui pose problème. Quinze jours, puis désormais un mois, et sans doute encore un peu plus avant d’en voir le bout. L’échéance est sans cesse repoussée et cette incertitude est dure à gérer pour tout le monde, les sportifs y compris. “Une préparation se fait à l’envers : on part de la date de l’objectif et on construit son programme en amont, éclaire Pierre-Jean Vazel. Là, on n’a pas de feuille de route précise. A chaque fois, c’est décalé.”

La nageuse Anna Santamans fait des exercices de musculation chez elle à Marseille

Si les Jeux olympiques ont été répoussés à 2021, les championnats d’Europe d’athétisme qui devaient avoir lieu à Paris-Charlety du 25 au 30 août prochain sont, pour l’instant, maintenus. “C’est encore loin, mais s’il faut les faire, on y sera”, souffle l’entraîneur du lanceur de poids Quentin Bigot. La nageuse Anna Santamans n’a, pour sa part, aucune information sur les futures grandes compétitions, depuis l’annonce du report des Jeux. Elle pense déjà à l’an prochain à Tokyo, et milite pour “aborder la prochaine saison sereinement”.
Organiser une compétition à la fin de l’été, à la va-vite, n’est pas la meilleure solution.
Anna Santamans, nageuseà franceinfo

Ce manque de visibilité constitue le casse-tête ultime pour la préparation. “C’est le pire, insiste Romain Loursac. Si on avait une date fixe, ça serait plus facile à gérer.” La prise de décision concernant une éventuelle reprise du Top 14 a été repoussée à la fin du mois d’avril, rapporte L’Equipe. Leurs homologues du ballon rond doivent composer avec les mêmes questions et anticiper les dommages collatéraux. “Étant donné que nous n’avons pas de date de reprise, il est effectivement impossible de planifier sur le long terme. Mais si on reprend au mois de mai après une telle pause sans avoir pu scrupuleusement suivre l’état des joueurs, on risque d’avoir des contre-performances et des blessures”, explique à So Foot Benoit Pickeux, préparateur physique du club d’Angers, dixième de Ligue 1.

Et pour le sportif, c’est une source inépuisable d’interrogations. Dois-je m’économiser ? A quel moment augmenter l’intensité de mon entraînement ? Le confinement s’apparente alors plus à une course de fond qu’à un sprint. Sur son home-trainer, Maxime Bouet veut éviter les pièges : “Je ne suis pas sur Zwift [une application qui reproduit les conditions de course], il y a beaucoup de compétition entre les coureurs et faire 350 bornes de home-trainer, je trouve ça débile. Je me mets à la place du néo-pro qui risque de ne plus s’écouter, il peut se ‘cramer'”.

Si, dans un mois, on est toujours sur le home-trainer, le jour où on aura à nouveau le droit de rouler, certains seront dégoûtés du vélo.
Maxime Bouet, cycliste à franceinfo

C’est précisément ce qu’a vécu Anna Santamans. Pendant la première semaine de confinement, elle avait opté pour une grosse charge de travail (beaucoup de cardio et de musculation) et avait terminé sur les rotules. Dans ces moments-là, tout se passe dans la tête. “L’état d’esprit est très important, presque plus important que l’aspect physique. ‘Réussir’ son confinement, c’est aussi savoir transformer les événements en quelque chose de positif”, théorise Pierre-Jean Vazel.

La situation du pays vient ajouter de l’anxiété. “Certains joueurs ont peur que l’économie du rugby en prenne un coup, observe Romain Loursac. Ce sont les mêmes interrogations qu’un salarié dont l’entreprise rencontre des difficultés”. Et lorsqu’on verra le bout du tunnel, il faudra encore attendre avant de reprendre la compétition. “Ca sera presque une nouvelle préparation d’avant-saison”, prévoit le médecin du LOU. Une période au cours de laquelle il faudra contrôler l’envie des athlètes. “La pire des choses, conclut Pierre-Jean Vazel, serait de vouloir rattraper le temps perdu.”

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