Avec son livre “Les Plastiqueurs, ces industriels qui nous empoisonnent”, la journaliste Dorothée Moisan dresse sur 300 pages le portrait accablant d’un secteur responsable d’une pollution gigantesque qui utilise de redoutables techniques de lobbying pour continuer à produire du plastique, dérivé chimique des énergies fossiles. Les initiatives se multiplient pour lancer l’alerte alors qu’une vingtaine d’entreprises seulement produisent 55 % des déchets plastiques mondiaux. Exxon est la première d’entre elles.
La couverture du livre de Dorothée Moisan est éloquente. Pendant que nous regardons fondre les glaciers, le plastique ravage silencieusement les océans, les sols et la santé des humains. Les déluges de plastique qui se déversent massivement dans l’air, la terre et les océans ne sont freinés ni par les régulations, ni par les stratégies de recyclage qui se mettent en place. Les responsables : des entreprises inconnues des consommateurs comme Ineos ou Covestro et des grandes compagnies pétrolières comme Exxon, Total ou Saudi Aramco.
La journaliste donne un chiffre vertigineux : sept milliards de tonnes de plastique “stockées” dans l’environnement. Et la croissance prévisible est de 3 % par an. Elle va multiplier la production par deux en 20 ans. Il n’aura fallu qu’une cinquantaine d’années pour que le plastique envahisse tout : objets, hôpitaux, sols, océans…
Arrêter de produire
Le livre redonne au plastique son statut de produit chimique cocktail de substances toxiques dont le recyclage par des procédés tout aussi chimiques, peut aggraver la toxicité. Or l’industrie mise massivement sur cette forme de recyclage dans le cadre de l’Alliance pour la fin des déchets plastiques qu’elle a créé. L’objectif est de les faire disparaitre de la nature. Mais pour les ONG cela contribue à créer de nouveaux problèmes environnementaux, encore plus graves ce que Greenpeace UK vient de matérialiser dans une vidéo spectaculaire.
Les Plastiqueurs met l’accent sur les risques générés par l’installation constante de nouvelles unités de production aux modèles économiques fragiles. Elles sont très dépendantes des énergies fossiles elles-mêmes fragilisées. Elles obtiennent pourtant le soutien des gouvernements à l’image des projets d’Ineos à Anvers, attaqués par Client Earth pour non-respect de la régulation environnementale. Or pour Dorothée Moisan, “La question a longtemps été mal posée : on s’est demandé où va le plastique et comment s’en débarrasser alors qu’il aurait fallu se demander d’où il vient et comment cesser de le produire“.
Son enquête décode le parallélisme entre le lobbying de l’industrie du plastique et celle du secteur pétrolier auquel elle est très liée. Pour continuer son activité, elle sème le doute sur la toxicité de ses produits à qui le Covid 19 a redonné un nouvel élan, et remplace les produits les plus décriés par un autre très proche, voire pire comme le bisphénol S qui a été substitué au bisphénol A.
Liste des “Plastiqueurs”
Face à cette enquête accablante l’industrie du plastique a refusé de parler à la journaliste qui l’a sollicitée à plusieurs reprises. Elle ouvre son livre par une citation du courrier qu’elle a reçu : “Après en avoir parlé avec Plastics Europe, l’Alliance to End Plastic Walters et plusieurs autres organisations que vous avez approchées le consensus général est de ne pas donner suite“, sans donner plus de raisons à son silence.
La discrétion des entreprises du plastique va-t-elle résister aux différentes campagnes qui s’organisent ? Après le livre de Dorothée Moisan sorti fin avril, un rapport que vient de publier la fondation australienne Minderoo dévoile la liste des industriels responsables de la pollution de plastiques jetables. Préfacé par Al Gore, leur rapport a d’ores et déjà provoqué un premier mouvement de pression sur les grands investisseurs actionnaires de ces entreprises pour qu’elles les engagent à améliorer leurs pratiques.
La lutte s’organise car le phénomène ne cesse de prendre de l’ampleur et demeure largement invisible puisque l’œil humain ne voit que les déchets solides, pas les microparticules, la partie immergée de l’iceberg plastique. Réduire son empreinte plastique et l’exposition à ses composants toxiques est important souligne Dorothée Moisan car “personne n’aime s’endormir dans les bras d’un tueur silencieux !”
Anne-Catherine Husson-Traore, @AC_HT, Directrice générale de Novethic