Longtemps associé à la droite ou à l’extrême droite, le nationalisme ne saurait pourtant être réduit à ses dérives exclusives ou identitaires. Il peut aussi servir des projets progressistes d’autodétermination. À travers l’histoire, des mouvements nationalistes de gauche, voire éco-socialistes, comme le Scottish National Party, le Sinn Féin ou le Plaid Cymru, ont défendu l’émancipation, la justice sociale et la tolérance. Le nationalisme n’est donc pas l’apanage d’un seul camp politique : il peut être porteur d’ouverture ou, au contraire, d’exclusion.
Patriotisme et nationalisme : une frontière ténue
La frontière entre patriotisme et nationalisme reste ténue. Le patriotisme s’apparente à un attachement modéré à la nation, tandis que le nationalisme, poussé à l’extrême, peut basculer dans la xénophobie et l’exclusion. Le nationalisme infra-étatique ou minoritaire n’échappe pas à cette ambivalence : il peut se faire progressiste ou, à l’inverse, épouser les thèses de l’extrême droite, comme en témoignent le Vlaams Belang en Belgique ou l’Alliance catalane en Espagne. En somme, le nationalisme n’est intrinsèquement lié à aucune orientation politique : il épouse les contours des sociétés qu’il traverse.
Les dérives du nationalisme : quand l’idéologie devient instrument de domination
Mais l’histoire nous enseigne aussi que l’idéologie nationaliste, lorsqu’elle se mue en instrument de domination, peut dériver vers le fascisme, surtout lorsqu’elle revêt une dimension ethnique, exclusive et autoritaire. Le fascisme instrumentalise alors le nationalisme, le transformant en vecteur de rejet et d’oppression.
Le cas martiniquais : une identité plurielle, entre fierté locale et attachement à la France
La Martinique offre une illustration saisissante de cette complexité. Ici, le nationalisme s’exprime d’abord sur le mode culturel : la valorisation du créole, du patrimoine, de la littérature (Césaire, Glissant…), de la musique, témoigne d’une volonté d’affirmer une identité propre, singulière, mais non séparatiste. Ce nationalisme culturel ne réclame pas forcément l’indépendance politique ; il cohabite avec un attachement à la France.
Un double sentiment dans la vie politique
Ce double sentiment s’exprime dans la vie politique. À chaque consultation sur l’autonomie – en 2003 comme en 2010 – la majorité des Martiniquais a choisi de rester département français, tout en réclamant une meilleure reconnaissance de leur spécificité. Les débats publics oscillent ainsi entre affirmation d’une identité martiniquaise forte et revendication du lien avec la France, dans une quête d’équilibre entre singularité culturelle et sécurité institutionnelle.
L’affirmation identitaire dans la sphère culturelle
C’est dans la sphère culturelle que cette affirmation identitaire est la plus vive. Le créole gagne en visibilité dans l’enseignement, les médias, la littérature, la musique. Les fêtes, le carnaval, la gastronomie, les pratiques religieuses, mêlant héritages africain, européen et indien, sont vécus comme des éléments martiniquais, tout en étant célébrés dans le cadre français. La mémoire de l’esclavage et de la colonisation, centrale dans la construction du sentiment national martiniquais, s’intègre peu à peu au récit national français, tout en demeurant un pilier de l’identité locale.
Des figures emblématiques d’un nationalisme ouvert
Les grandes figures intellectuelles martiniquaises – Aimé Césaire, Frantz Fanon, Édouard Glissant – incarnent ce nationalisme culturel ouvert, revendiquant une identité martiniquaise forte, sans renier la citoyenneté française. Césaire affirmait ainsi : « Je suis Martiniquais, mais je ne veux pas cesser d’être Français. » Glissant écrivait : « Nous sommes Martiniquais, nous sommes Français, et nous sommes autre chose encore. »
Une double appartenance vécue au quotidien
Dans le quotidien, beaucoup de Martiniquais vivent sereinement cette double appartenance. Ils se sentent à la fois « 100 % Martiniquais » et « 100 % Français », défendant leur culture locale tout en appréciant les avantages de la citoyenneté française.
Un nationalisme culturel compatible avec l’appartenance à la France
Ce nationalisme martiniquais, dans sa forme la plus répandue aujourd’hui, est avant tout culturel et identitaire, rendu compatible avec l’appartenance à la France par la sagesse populaire et l’expérience historique. Il s’agit d’affirmer une singularité, une fierté et une histoire propres, tout en restant attaché aux bénéfices et à la citoyenneté française.
Une minorité en désaccord
Certes, une minorité conteste cette synthèse, exprimant son malaise par des slogans ou des incantations, mais sans parvenir à mobiliser durablement autour d’un projet souverainiste.
La leçon de Césaire et la reconnaissance de l’identité martiniquaise
La population, dans sa majorité, a fait sienne la leçon de Césaire : « Je suis de la Martinique, je suis Français, je suis Africain, je suis homme. » Le référendum de 2010, où 79 % des Martiniquais ont rejeté une autonomie accrue, tout en exigeant plus de reconnaissance, en témoigne. L’introduction du créole à l’école, portée par des associations et des enseignants depuis les années 1980, symbolise cette exigence d’une identité martiniquaise affirmée au sein du système éducatif français.
La singularité martiniquaise, une richesse assumée
Le cas martiniquais démontre que l’identité nationale n’est pas forcément exclusive. On peut être fier de ses racines, de sa culture et de son histoire locale, tout en se reconnaissant dans une citoyenneté plus large. C’est là toute la richesse et la singularité de la Martinique aux côtés de la France. Non pas une contradiction, mais une complexité assumée, sans névrose.
Gérard Dorwling-Carter