Benoît Helme .

Si le souverain pontife et les leaders écolo-politiques ne surfent pas tout à fait sur la même vague, ils partagent néanmoins une même approche de l’environnement.

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Le pape François salue la foule de la Place Saint-Pierre, au Vatican, le 30 août 2020. | Vincenzo Pinto / AFP

Le pape François est-il un sulfureux activiste vert infiltré au Vatican? Les théoricien·nes du complot composté pourraient en tweeter la rumeur. Mieux que Marx et Groucho réunis, l’évêque de Rome trempe allègrement sa plume dans l’encrier des anarchistes: «La soumission de la politique à la technologie et aux finances se révèle dans l’échec des Sommets mondiaux sur l’environnement» observe t-il dans son encyclique Laudato Si’[1]. Un peu de poivre encore dans le bénitier: «L’heure est venue d’accepter une certaine décroissance dans quelques parties du monde, mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties.»

L’engagement du Vatican pour la sauvegarde de la maison commune ne date pas d’hier, mais il se fait de plus en plus ouvert et percutant. Le 3 septembre dernier, une délégation de seize Français·es, croyant·es et non, emmenée par Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et président de la Conférence des évêques de France, rencontrait le pasteur suprême sur le thème de l’environnement.

«Le livre du pape et des personnes qui l’ont aidé à l’écrire a été une vraie révélation», a estimé Juliette Binoche, engagée dans la délégation. Valérie Cabanes, juriste en droit international également du voyage, a prié le pape de participer à une vaste campagne pour que la notion de crime d’écocide –la destruction d’un écosystème– entre enfin dans le code pénal, pointant notamment les îles Maldives menacées de disparaître fissa sous l’océan Indien. Audrey Pulvar, adjointe à la mairie de Paris chargée de l’agriculture, de l’alimentation durable et des circuits courts, a invité le Saint-Père dans la capitale française en décembre prochain, histoire de célébrer sans dévotion bigote les cinq ans du Laudato Si’ et de l’Accord de Paris sur le climat.

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Un retour à la simplicité

Tout se passe aujourd’hui comme si l’écologie pontificale se rapprochait du champ citoyen, et inversement. L’écologie promue par Julien Bayou, secrétaire national d’Europe Écologie-Les Verts (EELV), dans son dernier livre, prend des allures sacrées: Comment nous allons sauver le monde. Avec en argumentaire une vision ouvertement apocalyptique: «Nous nous réveillons au bord de l’apocalypse. La température monte inexorablement. Nous sommes déjà des millions à comprendre l’urgence. Il ne nous reste que quelques années pour changer de système, c’est notre dernière chance.»

L’écologie vaticane et EELV ne formeront sans doute pas la dream team de demain, mais elles partagent au moins une approche globale: la dimension humaine et sociale de l’écologie. Sur ce point, le texte apostolique est d’ailleurs saignant: «La culture du déchet, affecte aussi bien les personnes exclues que les choses, vite transformées en ordures» (Laudato Si’ §22). Nos sociétés jettent de plus en plus de femmes, d’hommes et d’enfants, sur le trottoir sans chercher à les recycler. Déjà 700.000 sans abri dans l’Union européenne –soit une hausse de 70% en dix ans. Et l’impact du Covid ne devrait rien arranger.

«Aujourd’hui, nous ne pouvons pas nous empêcher de reconnaître qu’une vraie approche écologique se transforme toujours en une approche sociale, qui doit intégrer la justice dans les discussions sur l’environnement, pour écouter tant la clameur de la terre que la clameur des pauvres» (Laudato Si’ §49). Pour illustrer le propos, Yann Arthus-Bertrand a ajouté ses photos «vues du ciel» dans une édition de l’encyclique et Martin de Lalaubie a réalisé une «websérie habitée par Laudato Si’» intitulée Clameurs. Dans cet opus, une remarquable intervention de personnes en situation de handicap appelant à ralentir l’accélération sociale et des témoignages troublant de personnes SDF sur la culture du déchet.

En deux petites générations, nous sommes passés d’une nation électro-ménagère mâtinée de speakerines à une société ultra-consumériste en produits jetables, où disposer de la 5G suppose de changer tous les téléphones portables. Si le chef de l’Église catholique se réjouit que la technique soit «une caractéristique de l’être humain», il redoute néanmoins qu’«au lieu de remettre à la vie humaine les instruments qui en améliorent le soin, on court le risque de remettre la vie à la logique des dispositifs qui décident de sa valeur».

Julien Bayou ne dit pas autre chose: «Notre enjeu sur la 5G, c’est qu’elle est extrêmement consommatrice d’énergie. Pourquoi? Pour regarder plus vite la pub? Est-ce que c’est ça l’enjeu? Là où, par contre, il y a des territoires qui ne sont absolument pas encore desservis par internet.»

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Alors que Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, entend peser dans la balance gouvernementale pour marquer de vert la société, le pape milite pour la maturation d’institutions internationales dotées d’un pouvoir de sanction. Y a-t-il un·e pilote écologiste dans l’avion sans kérosène pour s’opposer à un tel projet? Les Verts et le pape insistent encore sur la nécessité d’un retour à la simplicité dans une sobriété heureuse.

L’évêque ultime et Delphine Batho, députée et présidente de Génération Écologie, militent pour une écologie intégrale. Soit une conception de l’écologie à tous les niveaux: environnemental, économique, social, culturel et quotidien. Pour accélérer le processus, l’Église catholique française met en place un label «Église verte» pour encourager les paroisses à se mettre au vert dans les villes et villages, en mode «prier global, agir local».

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«Dieu demande à l’homme de se multiplier»

Reste que le souverain pontife et les leaders et leadeuses écolo-politiques ne surfent pas tout à fait sur la même vague. Le présupposé d’un dieu créateur permet aux verts catholiques de s’émerveiller au-delà des éoliennes: «On comprend mieux l’importance et le sens de n’importe quelle créature si on la contemple dans l’ensemble du projet de Dieu», observe le pape François (Laudato Si’ §86). Une chose est sûre, les élu·es de la République et les élu·es du ciel voudraient agir vite.

C’est d’ailleurs une nouveauté pontificale soulignée par Olivier Bobineau, sociologue des religions et membre du laboratoire de recherche au CNRS et de l’École pratique des hautes études du GSRL (Groupe Sociétés, Religions, Laïcités)[2]: «Pour la première fois, un pape s’inscrit dans l’urgence et demande solennellement aux responsables politiques d’agir au plus vite pour sauver la planète. Or, traditionnellement, l’action pontificale suppose le temps du recul et de la patience, une lente chronologie de l’action.»

Le sociologue pointe également un passage de la Bible sujet à des interprétations plus ou moins brut de pomme: «Dans le verset 28 du premier chapitre de la Genèse, Dieu demande à l’homme de se multiplier, de remplir la terre, de l’assujettir, et de dominer sur tout animal qui se meut sur la terre. Cela peut être interprété comme une hégémonie de l’homme à tout prix. Dans le même temps, au verset 15 du deuxième chapitre de la Genèse, Dieu place l’homme dans le jardin d’Eden afin qu’il le cultive et le garde, ce qui suppose une certaine délicatesse.»

«Les habitants de cette planète ne sont pas faits pour vivre en étant toujours plus envahis par le ciment.»

Le pape François dans Laudato Si’

Assujettir sans détruire, c’est l’idée. Le message du 266e évêque de Rome peut-il pour autant affecter la marche du monde et les comportements individuels? «Je redoute qu’il ne prophétise dans le désert, du moins chez nombre de catholiques de droite, estime Olivier Bobineau. Ceux-là sont généralement conservateurs avec une nette tendance à ne retenir de la Genèse que l’assujettissement de la terre à l’homme.» Reste les chrétien·nes de gauche et progressistes de droite qui, au-delà d’une tendance compulsive à lire Télérama en ligne, pourraient écologiser concrètement leur vision du quotidien.

Depuis le 1er septembre et jusqu’au 4 octobre, les catholiques sont entré·es dans la «saison de la Création», période pontificale visant à identifier les fidèles à des gardiens de la nature. Les élu·es écologistes, en toute bonne foi, évoqueraient plutôt la Terre comme le fruit du hasard et de la nécessité. Mais les deux communautés s’alignent encore sur un point crucial: «Les habitants de cette planète ne sont pas faits pour vivre en étant toujours plus envahis par le ciment, l’asphalte, le verre et les métaux, privés du contact physique avec la nature» (Laudato Si’ §44).

1 — Une lettre ouverte à l’Église catholique signifiant «Loué sois-tu» envoyée aux quelque 5.300 évêques du monde, publiée en 2015

2 — Les livres d’Olivier Bobineau: https://www.fnac.com/ia573269/Olivier-Bobineau Retourner à l’article

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