En cette période de transition politique marquée par l’instabilité et les attentes croissantes, le futur ministre des Outre-mer aura la lourde tâche de répondre à une multitude de crises et d’enjeux sociaux dans les territoires ultramarins. De la situation insurrectionnelle en Nouvelle-Calédonie aux manifestations contre la vie chère en Martinique, en passant par les défis climatiques et sanitaires à Mayotte et aux Antilles, la feuille de route du prochain responsable sera particulièrement chargée. Le politologue Justin Daniel, nous livre ici à travers cette interview, une analyse claire des priorités et des stratégies à mettre en place pour répondre aux attentes des populations ultramarines et éviter une aggravation des tensions sociales.
Depuis la démission du gouvernement de Gabriel Attal, Marie Guévenoux, ministre déléguée aux Outre-mer, a tenté de maintenir la continuité de l’État face à des crises majeures, mais sans pouvoir engager de réformes profondes. Son successeur devra s’atteler à une multitude de dossiers complexes. Le politologue Justin Daniel nous éclaire sur la façon dont les problèmes de la France ultramarine devront être traités.
Depuis la démission du gouvernement de Gabriel Attal le 16 juillet, Marie Guévenoux, ministre déléguée aux Outre-mer, s’est efforcé de maintenir la « continuité de l’État » face à de nombreux défis : révolte en Nouvelle-Calédonie, cyclone aux Antilles, crise sanitaire à Mayotte et organisation des JO en Polynésie.
Dans ce contexte d’affaires courantes, elle a multiplié les déplacements pour maintenir un dialogue avec les autorités locales. Cependant, l’absence de gouvernement empêche la prise d’initiatives politiques majeures, laissant en suspens des dossiers clés comme la réforme de l’octroi de mer, la lutte contre la vie chère et les réponses aux mobilisations sociales.
Les attentes sont nombreuses, et le risque d’un « atterrissage brutal » est élevé, faute de visibilité et de décisions budgétaires claires. Les militants et les organisations locales réclament de la volonté et une meilleure gouvernance pour éviter de nouvelles tensions. Le prochain gouvernement devra rapidement se saisir de ces dossiers pour éviter une aggravation de la situation dans les territoires ultramarins.
Justin Daniel, politologue, s’est penché sur les urgences auxquelles le prochain ministre des Outre-mer devra s’atteler dès sa nomination.
“Aujourd’hui, nos sociétés font face à un malaise social très profond. Cette situation n’a duré que trop longtemps, et à alimenter de multiples manifestations et mobilisations, en particulier à la Martinique. “
Quel bilan peut-on faire du mandat de Marie Guevenoux en tant que ministre de l’Outre-mer ?
Elle n’est pas restée en fonction très longtemps,si bien qu’il est difficile d’établir un bilan… Pendant son mandat, elle a pu établir des échanges avec les autorités ultramarines. Elle s’est déplacée plusieurs fois, et a même pu venir à la Martinique. Malheureusement, elle n’a pas pu réaliser ou proposer des mesures structurantes, faute de temps et le ministre de l’intérieur a conservé la main.
Cette situation révèle une très grande instabilité dans la gestion des dossiers, et pas seulement pour l’Outre-mer. Aujourd’hui, il est nécessaire d’ailleurs de s’interroger sur le poids d’un ministère de ce type au sein du concert bureaucratique.
Quels seront les dossiers prioritaires que le prochain ministre des Outre-mer devra traiter dès sa prise de fonction ?
On peut effectivement affirmer qu’il y aura des urgences ainsi que des priorités. Pour commencer, il est crucial d’apporter des solutions face au contexte insurrectionnel dans lequel se trouve actuellement la Nouvelle- Calédonie. Deux choses seront importantes : calmer les tensions et préparer le nouveau statut de ce territoire.
Aujourd’hui, nos sociétés font face à un malaise social très profond. Cette situation n’a duré que trop longtemps, et à alimenter de multiples manifestations et mobilisations, en particulier à la Martinique.
Certains territoires comme Mayotte font face à des difficultés, telles que la maîtrise des flux migratoires, ce qui crée beaucoup de tensions et de frustrations au sein de la population et dans les rapports avec le pouvoir central.
De manière plus générale, l’Appel de Fort-de-France avait attiré l’attention sur plusieurs problématiques, notamment celle des rapports avec l’Etat qu’il convient de refonder. Les solutions pourront être étudiées en étroite concertation avec les territoires, le prochain ministre de l’Outre-mer devra comprendre cela.
Quelles stratégies le prochain ministre pourrait-il adopter pour atténuer les tensions sociales liées à la vie chère dans les territoires d’Outre-mer ?
Comme je l’ai dit, il est clair qu’il devra répondre à plusieurs urgences et dégager des priorités. Pour prendre un seul exemple, il y a en Martinique des discussions pour proposer des solutions concrètes afin de faire face au problème récurrent de la vie chère. Il serait intéressant que ce prochain ministre vienne s’asseoir lui aussi à la table des discussions. De toute façon, il lui faudra accompagner un certain nombre de dispositifs qui pourraient être issus de ces échanges.
C’est un véritable travail d’accompagnement que l’État devra mettre en œuvre. Au-delà de ces mesures répondant à l’urgence, il sera également nécessaire de mener un travail de fond, plus structurant, en collaboration avec les acteurs locaux. L’objectif est d’éviter de retomber dans un cercle vicieux, les territoires continuant de subir des problèmes, comme la vie chère, qui persistent depuis des années.
Les décisions qui avaient déjà été prises antérieurement ne s’attaquaient pas véritablement à toutes ces questions. Aujourd’hui, en 2024, il est temps que l’Etat comprenne qu’il faut s’attaquer à la racine du mal. C’est de cette façon qu’on pourra préparer un avenir meilleur à l’Outre-mer.
Comment le futur ministre pourrait-il améliorer la gestion des crises climatiques et sanitaires dans des territoires particulièrement vulnérables comme les Antilles et Mayotte ?
Cette question devra faire l’objet d’une approche interministérielle, sous la forme, par exemple, d’une collaboration étroite entre le ministre des Outre-mer et le ministre de la Transition écologique pour gérer la crise climatique, surtout dans des territoires vulnérables comme les Antilles ou Mayotte.Néanmoins, nul ne peut dire si la transition écologique sera ou non une priorité pour le nouveau gouvernement, sachant que c’est un gouvernement de droite qui ne fera pas nécessairement de l’écologie un enjeu central.
Si le ministère de la Transition écologique accorde une attention particulière à ces enjeux, une collaboration étroite avec le ministère des Outre-mer sera indispensable, mais il faudra aussi inclure les responsables locaux des territoires concernés, très vulnérables aux effets du changement climatique. C’est donc une dynamique collective, dans laquelle la coopération entre Paris et les territoires est très importante.
En quoi le futur ministre devra-t-il adapter les politiques publiques pour répondre aux spécificités et aux besoins diversifiés des territoires d’Outre-mer ?
Concernant cette question, plusieurs leviers peuvent être activés :
Premièrement, il est crucial que le ministère des Outre-mer joue pleinement son rôle et soit suffisamment influent pour se faire entendre lors des arbitrages au sein du gouvernement.
Deuxièmement, les élus locaux doivent prendre l’initiative de proposer des solutions adaptées aux réalités et discuter avec le pouvoir central, plutôt que d’attendre que les décisions viennent uniquement de Paris.
Enfin, même lorsque les décisions relèvent de l’État, une démarche de co-construction avec les autorités locales est essentielle. Les territoires doivent être proactifs et collaborer activement avec le pouvoir central en présentant des projets clairs et bien définis, afin de mieux défendre leurs intérêts.
Propos recueillis par Thibaut Charles