Sœur Nathalie Becquart, sous-secrétaire du Synode des évêques, dresse un état des lieux du processus synodal, en cours depuis octobre 2021 au niveau de l’Église universelle. Elle souligne la mise en œuvre de cette démarche synodale à toutes les échelles de la vie de l’Église, en favorisant notamment la prise de parole de tous et l’écoute des plus pauvres.
Comment ce processus synodal s’harmonise-t-il selon les villes et les continents? Peut-on parler d’une mise en marche globale et homogène au niveau mondial?
Le processus est parti partout. Il y a vraiment un chemin commun, le sentiment que toute l’Église, tous les diocèses marchent vraiment dans ce chemin synodal. En même temps, et c’est normal, il y a des rythmes différents.
Ce qui me touche, c’est la créativité, la manière dont le processus est adapté, mis en œuvre localement. Cela a été la ligne dès le départ, d’inviter les participants à adapter les propositions du document préparatoire en fonction des réalités locales. Car l’idée, c’est que ce synode global puisse entrer en résonance avec la mission de chaque diocèse.
Les situations sont extrêmement variées. Par exemple l’Amérique latine, d’où vient le pape, a vécu la réception de Vatican II avec l’assemblée ecclésiale d’Amérique latine, et a donc une forte expérience du style synodal. Pour sa part, la France est sans doute le pays du monde qui a fait le plus de synodes diocésains depuis Vatican II. Elle dispose donc d’un réel terreau synodal avec des laïcs engagés.
«Ce qui me touche, c’est la créativité, la manière dont le processus est adapté, mis en œuvre localement.»
Dans d’autres pays, comme par exemple le Laos, la petite Église locale n’a jamais eu de Synode, ni même entendu parler de la synodalité. Ils ont tout à apprendre mais ils sont ouverts. Il y a donc de grandes différences, mais chacun peut prendre le train en route, là où il en est.
Certains prêtres expriment leur inquiétude et leur fatigue par rapport à ce processus. Comment faire face à la désorientation d’une partie du clergé?
Il y a plusieurs raisons qui expliquent l’inquiétude de certains prêtres. Tout d’abord, bien sûr, certains voient le Synode comme un «truc en plus», qui s’ajoute à une charge de travail lourde et à d’autres priorités locales. Et puis il y a le fait d’exercer le ministère d’une nouvelle manière, dans ce style synodal qui implique une co-responsabilité. Ils ne sont pas toujours outillés et formés pour mettre en œuvre ce nouveau style. L’enjeu du Synode est donc de créer un dialogue plus fort entre les prêtres et les laïcs, et le pape ne cesse d’y encourager.
Tant qu’ils n’ont pas expérimenté pour eux-mêmes la démarche synodale et ses fruits, ils ont parfois du mal à la comprendre. Certains évêques essaient donc d’impliquer leurs prêtres en les réunissant autour de la méthode synodale. Par exemple, le cardinal Piat, de l’île Maurice, m’a raconté que les prêtres de son diocèse qui étaient réticents sur ce processus ont été « retournés comme des crêpes » lorsqu’il a organisé une rencontre de l’ensemble du presbyterium autour de la méthode synodale. Ils sont ensuite repartis avec enthousiasme pour la proposer dans leurs paroisses.
Il faut aider les prêtres et certains évêques à comprendre que le processus synodal ne va pas leur enlever leur rôle, mais les amener à un nouvelle façon d’exercer leur autorité. Dans une Église synodale, personne ne prend de décision seul. Cela n’enlève rien à la responsabilité de celui qui prend une décision finale, mais faire un processus de consultation et de discernement avec ceux qui sont concernés, ce n’est pas la même chose que de prendre une décision en suivant seulement ses propres idées.
Est-ce que vous faites face à des réticences parmi les évêques eux-mêmes?
Les choses se font par capillarité dans les conférences épiscopales. Dans certains cas, la démarche synodale se diffuse facilement. Dans d’autres pays, il y a moins de collégialité et cela dépend de chaque évêque. Donc c’est variable. Naturellement, quand l’évêque est enthousiaste, cela se déploie plus facilement dans son diocèse.
Les cas de réelle opposition sont rares. Ce que l’on est en train de vivre, c’est un fruit et un déploiement de Vatican II. On peut émettre des critiques, mais quand un évêque s’oppose frontalement au Synode, cela traduit une opposition au Concile Vatican II en tant que tel.
«Ce que l’on est en train de vivre, c’est un fruit et un déploiement de Vatican II.»
Comment rendre la synodalité attractive et intéressante, au-delà du noyau dur des catholiques convaincus?
Plutôt que de simplement parler de synodalité, il faut en faire l’expérience. Ce que l’on cherche à faire, dans notre façon d’animer le processus, de dialoguer avec les Églises locales, c’est susciter des expériences. C’est ça l’enjeu: que dans les paroisses, dans les groupes, on puisse proposer une expérience d’écoute mutuelle et d’écoute de l’Esprit Saint, en s’enracinant dans la prière.
La synodalité, on ne la découvre vraiment qu’en en faisant l’expérience. L’expression «Synode sur la synodalité» ne parle pas à beaucoup, mais en revanche, «communion, participation, mission», tout le monde comprend.
Ce processus mondial se superpose à des chemins synodaux vécus au niveau national, avec des orientations différentes. Le chemin synodal allemand a notamment proposé des options radicales, comme l’ordination des femmes… Comment concilier le souci de l’unité de l’Église et ces options «démocratiques»?
Ce que l’on découvre avec le pape François, c’est une logique d’unité avec l’image du polyèdre, qui symbolise pour lui l’unité et la diversité. Depuis l’origine, l’Église a un principe d’unité qui se développe dans des cultures différentes. Depuis Vatican II, on prend davantage conscience de l’inculturation, c’est-à-dire de la diversité des sociétés, des cultures, de la manière d’être Église, tout en gardant la primauté et l’unité.
On voit bien par exemple que la manière dont la liturgie se vit en Afrique n’est pas la même qu’en Europe. Il y a au sein de l’Église catholique une diversité de rites, avec les Églises orientales, le rite zaïrois… Alors jusqu’où peut-on aller dans la diversité, et quels sont les fondamentaux dont a besoin pour la communion? Qu’est-ce-que qui peut s’inculturer? Nous sommes encore en chemin là-dessus.
On peut voir qu’avec le Synode sur l’Amazonie, on a exploré des solutions pour une région précise, avec des problématiques qui ne sont pas les mêmes que dans d’autres pays. Donc les Églises locales abordent ce processus en fonction de leur expérience propre.
Quels sont les outils de formation proposés afin d’éviter que le Synode ne se transforme en «débat parlementaire»?
En effet, le pape ne cesse de le marteler: le Synode n’est pas un débat parlementaire avec une logique de majorité et de minorité, mais un processus spirituel. Donc on a proposé une méthode inspirée du principe de «conversation spirituelle». Il ne s’agit pas d’une discussion à bâtons rompus, mais tout doit commencer par un temps de prière et d’écoute de la Parole de Dieu, et ensuite on écoute chaque personne.
Cette méthode a été expérimentée lors de l’ouverture du Synode, le 9 octobre dernier. Il y a eu deux heures de plénière puis deux heures en petits groupes qui mélangeaient des cardinaux, des jeunes, des délégués des différents pays. Ils ont vécu durant deux heures cette méthodologie d’écoute synodale.
«Le pape ne cesse de le marteler: le Synode n’est pas un débat parlementaire avec une logique de majorité et de minorité.»
Cela se met maintenant en œuvre sur le terrain. Et nous, avec la commission spirituelle, nous mettons différents outils à la disposition des groupes. Dans mes différentes interventions, notamment les réunions avec les conférences épiscopales et les référents Synode des communautés et des mouvements, que ce soit en ligne ou en présentiel, on essaie de toujours mettre en œuvre ce style synodal, avec des temps de prière et de silence. Après avoir écouté huit ou dix personnes, on refait un temps de silence. Cela contribue à déployer ce processus synodal.
Comment encourager la participation des jeunes et des personnes éloignées de l’Église?
C’est en effet un accent fort exprimé dans le document préparatoire et le guide pratique, tout comme dans l’ensemble de nos rencontres. On essaie de mobiliser tous les réseaux, par exemple en encourageant les conférences épiscopales et les diocèses à travailler avec la Caritas, la pastorale des migrants, les aumôneries de prison et d’hôpitaux, ou encore l’enseignement catholique, qui touche des jeunes assez éloignés de l’Église.
Au niveau international, nous mettons aussi cela en œuvre en travaillant notamment avec la Caritas, la plateforme Laudato Si’ et le réseau des universités catholiques. Il faut s’appuyer sur tout ce qui existe déjà.
Récemment a été organisée au Centre Sèvres, à Paris, une journée sur le thème «Entendre la voix des plus pauvres dans le processus synodal», avec un groupe de théologiens qui travaillent depuis dix ans avec les réseaux ATD et les diaconies. Ils ont produit un très bon outil que nous avons diffusé dans notre newsletter en le traduisant dans différentes langues. Je pense aussi à un diocèse espagnol qui a élaboré un jeu pour impliquer les enfants dans le processus synodal.
J’ai participé récemment à un webinaire avec la Section «Migrants et Réfugiés», sur la façon d’impliquer les personnes migrantes, déplacées et réfugiées dans le processus. Des évêques et des responsables de la pastorale des migrants et du Jesuit Refugee Service(JRS) nous ont présenté leurs expériences. Je pense par exemple au travail qui a été mené dans un camp de réfugiés au Kenya pour leur proposer la démarche synodale.
Il faut donc repérer ce qui se fait, encourager la mise en réseau. Il y a des bonnes pratiques, des bonnes idées, des belles expériences sur le terrain.
L’enjeu du Synode est-il aussi de désamorcer le risque d’abus, tout simplement en faisant en sorte que les gens s’écoutent et se parlent?
Il est clair pour moi que la vision de l’Église synodale va nous faire sortir de la vision de l’Église cléricale, qui a pu laisser se déployer des abus. La démarche synodale, qui permet à chacun d’être écouté, d’apporter sa voix, de trouver les chemins de marche ensemble, cela doit permettre de sortir de possibles dérives autoritaires, et en tout cas, de les identifier.
C’est un long chemin mais c’est une voie féconde, qui doit commencer par l’écoute. Car, ce qui s’est produit, dans toutes ces formes d’abus, c’est qu’il n’y a pas eu cette écoute.
«Il est clair pour moi que la vision de l’Église synodale va nous faire sortir de la vision de l’Église cléricale.»
Vous êtes vous-même une religieuse ignatienne. En quoi la vie religieuse peut-elle apporter des outils spécifiques pour ce processus synodal?
La vie religieuse est intrinsèquement communautaire, elle a donc une dimension synodale. Sa tradition de gouvernance avec des chapitres fait qu’elle a une expérience de synodalité et de discernement. Elle peut donc jouer un rôle moteur pour aider l’Église à réapprendre la synodalité.
Et en même temps, et je le redis souvent quand je rencontre des supérieurs, aucune communauté n’a fini sa «conversion synodale». Elles doivent donc aussi vivre ce chemin pour elles-mêmes.
Mais elles ont une expérience utile, et dans de nombreux cas, des religieux et des religieuses sont coordinateurs ou font partie des équipes synodales mises en place par les conférences épiscopales et les diocèses. Les religieuses et religieux ont donc un rôle moteur. (cath.ch/imedia/cv/bh)