Léon XIII, qui a dirigé l’Église catholique de 1878 à 1903, est une figure marquante du tournant du XXe siècle, reconnu pour son ouverture à la modernité. Son pontificat, l’un des plus longs et des plus productifs de l’histoire, a été caractérisé par une profonde spiritualité et une compréhension intellectuelle aiguisée de la philosophie. L’encyclique « Rerum Novarum », publiée en 1891, constitue un moment charnière de son règne. Elle a émergé dans un contexte de bouleversements sociétaux majeurs et a inspiré de nombreux catholiques à œuvrer en faveur de l’amélioration de la condition ouvrière et d’une plus grande justice sociale. Gdc
Récemment, l’élection du pape Léon XIV en mai 2025, dont le choix de nom rappelle son illustre prédécesseur, suggère une possible continuité dans l’engagement pour les questions de justice sociale. Le nouveau pape a lui-même indiqué que son choix de nom est principalement dû au fait que Léon XIII, à travers son encyclique historique « Rerum Novarum », a abordé la question sociale dans le contexte de la première grande révolution industrielle. Ce nom est perçu comme un écho direct à la doctrine sociale de l’Église initiée par Léon XIII et signale un engagement envers la justice sociale, s’inscrivant dans la lignée du ministère du pape François.
Le contexte historique de « Rerum Novarum »
La fin du XIXe siècle a été marquée par des transformations sociales profondes et des problèmes sociaux urgents, notamment la transition vers la Révolution industrielle. Léon XIII a vécu à une époque de changements sociaux considérables, où l’Église devait apporter des réponses aux problèmes sociaux pressants. La Révolution industrielle, amorcée au XVIIIe siècle, a engendré de nouvelles théories économiques et des enjeux sociaux inédits. Cette période a vu un exode rural massif à travers l’Europe et l’Amérique du Nord, avec des populations quittant les fermes pour s’installer dans les villes, où elles étaient confrontées à des conditions de vie et de travail déplorables. Les employés des usines travaillaient de longues heures sans jours de congé, exposés à des risques sécuritaires et à des tâches répétitives. Les familles ouvrières avaient souvent besoin que de nombreux membres, y compris les femmes et les enfants, travaillent dans les usines pour survivre. Les conditions de travail étaient souvent dures, avec des journées de 10 à 16 heures, des salaires bas et des environnements dangereux et insalubres.
Parallèlement à ces difficultés, on assistait à la montée des mouvements socialistes et communistes prônant des changements radicaux, y compris l’abolition de la propriété privée. Les anciennes corporations de métiers avaient été dissoutes, laissant les travailleurs sans organisations protectrices traditionnelles.
Les principes fondamentaux de « Rerum Novarum »
Au cœur de l’encyclique « Rerum Novarum » se trouve l’affirmation de la dignité inhérente du travailleur. Léon XIII souligne la dignité des travailleurs et affirme que le travail est honorable. L’encyclique revendique le droit à un salaire juste, suffisant pour subvenir aux besoins du travailleur et de sa famille. Elle soutient le droit de former des associations de travailleurs ou des syndicats pour protéger leurs intérêts. Léon XIII affirme le droit des travailleurs de former des associations ou des syndicats pour sauvegarder leurs intérêts.
L’encyclique réaffirme le droit à la propriété privée tout en soulignant sa responsabilité sociale et le droit des individus d’acquérir des biens. Elle énonce les devoirs mutuels des travailleurs et des employeurs : les travailleurs doivent accomplir pleinement et fidèlement le travail convenu, s’abstenir de tout vandalisme ou violence, et éviter les émeutes. Les employeurs ont le devoir de fournir un travail adapté à la force, au sexe et à l’âge de chacun, de respecter la dignité des travailleurs, de leur accorder du temps pour leurs devoirs religieux et familiaux, de garantir des conditions de travail sûres et de verser un salaire quotidien équitable.
Critique du socialisme et du capitalisme débridé
Léon XIII critique le socialisme, en particulier son plaidoyer pour l’abolition de la propriété privée, arguant que cela est contraire aux droits naturels et nuirait aux travailleurs. Il considérait la proposition socialiste d’abolir la propriété privée et de rendre les possessions communes comme contraire à la loi naturelle et intrinsèquement injuste, car elle priverait les travailleurs des fruits de leur labeur et de la possibilité d’améliorer leur condition. Il estimait également que cela entraînerait le désordre social et l’injustice.
Parallèlement à sa condamnation du socialisme, Léon XIII critique également les excès du capitalisme débridé. Il dénonce la « misère et la détresse » qui pèsent injustement sur la classe ouvrière et critique l’avidité et la concurrence effrénée qui conduisent à l’exploitation du travail. L’encyclique préconise un équilibre où le travail et le capital œuvrent ensemble pour le bien commun.
Le rôle de l’État et de l’Église dans la justice sociale
Léon XIII plaide pour un rôle de l’État dans la protection des droits des travailleurs et la promotion du bien commun, mais avec des limites, en respectant le principe de subsidiarité. L’encyclique définit un rôle pour l’État dans la sauvegarde du bien-être des travailleurs, la protection des plus pauvres et des plus vulnérables, l’assurance d’une juste imposition et l’intervention en cas de nécessité pour prévenir les dommages aux individus ou au bien commun. Cependant, l’encyclique souligne également le principe de subsidiarité, affirmant que l’État ne doit pas absorber les individus ou les familles et doit permettre la libre action tant qu’elle est compatible avec le bien commun. Les décisions devraient être prises au niveau le plus proche des personnes concernées.
Léon XIII met aussi en avant le rôle de l’Église dans la fourniture de conseils moraux et la promotion de l’harmonie sociale. Il estimait que l’Église avait un pouvoir unique pour aborder ces questions et que le silence serait un manquement à son devoir. Le rôle de l’Église est d’enseigner les principes sociaux corrects, d’assurer l’harmonie des classes et d’apaiser les conflits, de réconcilier et d’unir les classes, et d’éduquer les gens à agir avec justice. Il a également souligné l’importance de la moralité chrétienne pour la prospérité de la société.
L’influence durable de « Rerum Novarum » et son actualité
« Rerum Novarum » est un document novateur qui a abordé les questions de justice sociale dans le contexte de la Révolution industrielle. Elle a marqué un tournant important en tant que première encyclique papale à aborder de manière exhaustive les problèmes sociaux et économiques découlant de la Révolution industrielle, jetant les bases de la doctrine sociale moderne de l’Église. « Rerum Novarum » a influencé les encycliques papales ultérieures, telles que « Quadragesimo Anno » de Pie XI, « Mater et Magistra » de Jean XXIII et « Centesimus Annus » de Jean-Paul II. Elle a établi une trajectoire pour l’enseignement social catholique, les papes suivants s’appuyant sur ses principes et les appliquant à de nouvelles réalités sociales et économiques. Les principes énoncés dans « Rerum Novarum » ont eu un impact tangible au-delà de l’Église, influençant le développement des mouvements ouvriers, l’adoption de lois sur la protection des travailleurs et façonnant les débats sociétaux plus larges sur la justice sociale.
Une doctrine toujours pertinente face aux défis contemporains
Malgré son ancienneté, les principes de « Rerum Novarum » restent remarquablement pertinents pour aborder les problèmes contemporains : inégalités économiques, mondialisation, avenir du travail. Elle continue de traiter des problèmes persistants d’inégalité économique, des droits des travailleurs et des préoccupations éthiques entourant le capitalisme. Les principes de l’encyclique offrent une alternative équilibrée à la fois à l’économie du laissez-faire et au socialisme, en privilégiant la dignité humaine par rapport au profit ou aux extrêmes idéologiques. Les principes de « Rerum Novarum », tels que la dignité du travail, le droit à un salaire juste et l’importance des associations de travailleurs, peuvent fournir des indications et des orientations précieuses pour aborder les implications éthiques et sociales de ces tendances émergentes dans l’économie moderne.
Le pape Léon XIV a lui-même indiqué que, tout comme « Rerum Novarum » a répondu à la Révolution industrielle, l’Église doit maintenant répondre aux menaces et aux défis posés par l’intelligence artificielle. Le choix du nom de pape Léon XIV est significatif dans ce contexte, suggérant une intention délibérée d’aligner son pontificat sur les enseignements sociaux de Léon XIII, en particulier « Rerum Novarum », indiquant que les questions de justice sociale seront probablement une priorité.
Un appel intemporel à la justice sociale
En conclusion, « Rerum Novarum » demeure un appel intemporel à la justice. L’encyclique a apporté des réponses aux défis sociaux et économiques de son époque et a laissé un héritage durable en tant que fondement de l’enseignement social moderne de l’Église catholique. Ses principes conservent une pertinence considérable pour aborder les problèmes de justice sociale contemporains, soulignant son appel au respect de la dignité humaine et à la recherche d’une société plus juste et équitable, potentiellement à la lumière du nouveau pontificat du pape Léon XIV, dont le nom même rappelle cet engagement historique.
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