Les États-Unis « défendent » mais la Russie et la Chine « agressent » : le deux poids deux mesures de la presse américaine

Source : Les Crises
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
En politique internationale, l’agression est généralement définie comme l’utilisation de la force armée contre un autre État souverain, non justifiée par la légitime défense ou l’autorité internationale. Tout État décrit comme agressif dans les rapports étrangers ou internationaux est donc, par définition, en tort.
C’est un mot qui semble facile à appliquer aux États-Unis, qui ont lancé 81 interventions étrangères rien qu’entre 1946 et 2000. Au XXIe siècle, les États-Unis ont attaqué, envahi ou occupé les États souverains d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, de Syrie, du Pakistan, du Yémen et de Somalie.
Malgré les résultats obtenus par les États-Unis, les médias occidentaux réservent en grande majorité le mot « agression » aux nations ennemies officielles – que cela soit justifié ou non. En revanche, le comportement des États-Unis n’est presque jamais qualifié d’agressif, ce qui donne aux lecteurs une image trompeuse du monde.
The Hill (3 octobre 2019)
De mémoire d’homme, l’acte d’agression internationale le plus notable a sans doute été l’assassinat par l’administration Trump du général et dirigeant politique iranien Qassem Soleimani l’année dernière. Pourtant, dans son rapport long et détaillé sur l’événement, le Washington Post (04/01/20) a réussi à présenter l’Iran comme l’agresseur. Les États-Unis ont simplement « choisi ce moment pour tenter une opération contre le chef de la Force Al-Qods iranienne, après avoir toléré l’agression iranienne dans le golfe Persique pendant des mois, » selon le Post.
Cela a également permis à de hauts responsables américains de prétendre à tort que Soleimani visait à mener une attaque « imminente » contre des centaines d’Américains. En réalité, il se trouvait en Irak pour des pourparlers de paix destinés à mettre fin à la guerre entre les États de la région. Le Premier ministre irakien a révélé qu’il avait invité Soleimani personnellement, et qu’il avait demandé et reçu la bénédiction de Washington pour l’accueillir. Trump a préféré utiliser cette information pour le tuer.
Pendant des mois, les médias ont été inondés d’histoires, basées sur les proclamations des responsables américains, selon lesquelles l’agression iranienne était à portée de main (par exemple, Yahoo ! News, 02/01/20 ; Reuters, 12/04/19 ; New York Times, 23/11/19 ; Washington Post, 22/06/19). The Hill (03/10/19) a donné à un général à la retraite l’espace nécessaire pour exiger que nous nous « défendions » en menant une « réponse sérieuse » contre l’Iran, qui « teste notre détermination par des actions agressives. »
New York Times (12 novembre 2020)
La Russie est un autre pays constamment dépeint comme agressif. Le New York Times (12/11/20) a décrit la rencontre d’un bateau de pêche américain avec la Marine russe au large des côtes du Kamtchatka comme une agression russe typique, avec le titre « Sommes-nous envahis ? », Le Military Times (26/06/20) s’inquiète du fait que toute réduction des troupes américaines en Allemagne pourrait « enhardir l’agression russe. » Et un titre du Hill (14/11/19) affirmait que « L’agression de Poutine révèle le déclin de la Russie. » Dans la même phrase qui rendait public un rapport préconisant l’élargissement de l’OTAN pour affronter directement la Chine, le Wall Street Journal (01/12/20) mettait en garde contre « l’agression russe. » Il suffit de dire que la préparation d’une guerre intercontinentale contre une autre puissance nucléaire n’a pas été présentée comme un acte belliciste occidental.
D’autres États ennemis, comme la Chine (New York Times, 06/10/20 ; CNBC, 03/08/20 ; Forbes, 26/03/21), la Corée du Nord (Atlantic, 23/11/10 ; CNN, 09/08/17 ; Associated Press, 08/03/21) et le Venezuela (Wall Street Journal, 18/11/05 ; Fox News, 10/03/14 ; Daily Express, 30/09/19) sont également régulièrement accusés ou dénoncés pour « agression. »
Les médias dominants présentent même les actions des Talibans dans leur propre pays contre les troupes d’occupation occidentales comme une « agression » (Guardian, 26/07/06 ; CBS News, 27/11/13 ; Reuters, 26/03/21). Le New York Times (24/11/20) s’est récemment inquiété de « l’agression [des Talibans] sur le champ de bataille » tout en présentant les États-Unis – un pays qui a envahi l’Afghanistan en 2001 et qui n’en est toujours pas parti – comme soi-disant engagés dans le « processus de paix. »
Alors même que les États-Unis ont fait voler des escadrons de bombardiers nucléaires du Dakota du Nord vers l’Iran puis les ont fait revenir, simulant à chaque fois le largage de bombes atomiques sur le pays, les médias ont présenté cela comme un « mouvement défensif » (Politico, 30/12/20) destiné à arrêter « l’agression iranienne » (Defense One, 27/01/20) en « dissuad[ant] l’Iran d’attaquer les troupes américaines dans la région » (New York Times, 30/12/20).