Cette semaine, dans l’épisode 62 de QuickJuris, Laurent Neumann et Elsa Franz, en partenariat avec Le Fèvre Dalloz, dressent un constat alarmant : les magistrats et l’institution judiciaire subissent des attaques inédites depuis l’affaire des assistants parlementaires du Rassemblement National. Entre propos virulents sur les réseaux sociaux, accusations de « dictature des juges » et menaces physiques, la séparation des pouvoirs et l’autorité de la chose jugée sont mises à mal. Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, tire la sonnette d’alarme et livre des pistes pour restaurer la confiance : pédagogie institutionnelle, communication transparente et respect du cadre légal. À écouter en fin d’article
Depuis le 31 mars dernier, date du jugement en première instance dans l’affaire dite « Le Pen », les magistrats sont devenus la cible d’invectives venimeuses. On parle de coup d’État judiciaire, de juges « rouges » ou de « tyrans », tandis que leurs noms, photos et adresses circulent sur les réseaux sociaux avec, parfois, des appels à la violence. Des juges d’instruction, des présidents de formation, des magistrats administratifs : aucun corps n’est épargné. Ce climat délétère, explique Christophe Soulard, ne saurait être réduit à un simple « excès rhétorique » : il fragilise l’institution et menace littéralement la sécurité des magistrats.
Au-delà de l’affaire Le Pen, ce phénomène touche l’ensemble des procès, qu’ils concernent le pénal, le familial ou le contentieux administratif. Avocats, enseignants, élus et journalistes figurent parmi ceux qui incarnent l’autorité et subissent eux aussi des menaces. Selon le premier président, ce continuum d’attaques verbales jusqu’à la violence effective peut conduire à une remise en cause globale des institutions et de leur légitimité.
Pour restaurer la confiance, Christophe Soulard plaide pour une pédagogie constante : filmer et diffuser les audiences importantes, publier des communiqués détaillés, organiser des visites de palais de justice et offrir aux citoyens une meilleure compréhension du travail judiciaire. À la Cour de cassation, on a même choisi de révéler les coulisses du délibéré, montrant que chaque décision est le fruit d’un examen collégial et minutieux.
Concernant la question budgétaire et législative, le magistrat rappelle que c’est au législateur, et non aux juges, qu’il appartient de modifier les textes : par exemple, l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité, critiquée dans l’affaire Le Pen, a été votée par le Parlement. Si ce dispositif doit évoluer, c’est à l’Assemblée et au Sénat d’en débattre et de voter une nouvelle loi ; les juges s’engagent alors à appliquer scrupuleusement toute modification législative.
Enfin, face aux propos excessifs des responsables politiques, le Conseil supérieur de la magistrature demeure le garant de l’indépendance judiciaire : sa parole, rare mais solennelle, peut dénoncer toute atteinte à l’autorité de la justice. Tant que le débat critique reste doctrinal et centré sur les décisions, il est salutaire ; dès lors qu’il vise nommément les juges ou met en doute les principes mêmes de la séparation des pouvoirs, il bascule dans la déstabilisation institutionnelle.
Source : Podcast QuickJuris n° 62, Club des juristes (Laurent Neumann & Elsa Franz) – Partenariat Le Fèvre Dalloz.