Le 17 mars 2025, à la préfecture de la Martinique, le ministre des Outre-mer, Manuel Valls, a dévoilé devant l’Observatoire des prix, des marges et des revenus un projet de loi présenté comme une réponse au problème persistant de la vie chère dans les territoires ultramarins. Parmi les cinq axes majeurs du texte, la volonté affichée de réduire la dépendance aux importations et de soutenir la production locale semblait annoncer une inflexion. Pourtant, l’analyse du contenu révèle une tout autre réalité.
Sur les 18 sous-chapitres du projet, 16 sont consacrés à la facilitation des importations.
Sept mesures visent à faire baisser les prix par des ajustements logistiques, juridiques et fiscaux, sans jamais remettre en question l’organisation même d’une économie où, selon l’INSEE, 85 % des biens de consommation sont importés. Loin d’agir sur les causes profondes de la vie chère, ces mesures se bornent à en atténuer les effets, perpétuant un modèle de dépendance hérité de l’histoire.
Cinq autres dispositions renforcent le contrôle de la chaîne commerciale, mais dans une logique de surveillance du marché, sans offrir de réels leviers aux producteurs ou aux transformateurs locaux. Dans ces territoires, le taux de couverture des importations par les exportations ne dépasse pas 10 %, contre 30 % en Corse, illustrant une dépendance quasi totale à l’extérieur.
Le texte entérine ainsi la transformation progressive des Outre-mer en zones de consommation, reléguant la production locale à un rôle secondaire.
L’annonce de la création de plateformes de e-commerce à destination des Outre-mer risque, selon de nombreux acteurs locaux, de renforcer la domination des groupes d’importation déjà en situation d’oligopole. Actuellement, quatre entreprises contrôlent près de 70 % de la grande distribution en Martinique et en Guadeloupe. L’extension de leur influence au commerce en ligne pourrait accentuer la marginalisation des filières locales, déjà fragilisées par l’absence de soutien structurel.
Le chapitre consacré à la concurrence propose des mesures techniques, mais strictement centrées sur la gouvernance administrative du marché.
Les principaux obstacles au développement d’une agriculture ou d’un artisanat local — morcellement foncier, accès difficile au crédit, concurrence de produits importés subventionnés — restent ignorés.
Les deux dernières mesures, censées renforcer le tissu économique local, apparaissent largement insuffisantes.
La réservation de 20 % des marchés publics aux PME ultramarines, seule disposition explicitement en faveur de la production locale, ne s’accompagne d’aucune réforme des conditions d’accès à la commande publique. Selon la Chambre d’agriculture de Martinique, 60 % des exploitations locales peinent à assurer une régularité d’approvisionnement, tandis que 75 % des PME agroalimentaires se disent incapables de rivaliser avec les prix des produits importés. À cela s’ajoute la création d’une assurance récolte, annoncée sans calendrier ni précisions sur son financement, alors que les pertes agricoles dues aux aléas climatiques ont atteint 45 millions d’euros en 2023 d’après le ministère de l’Agriculture.
Pour de nombreux observateurs, ce projet de loi consacre la transformation des Outre-mer en zones franches de consommation, où la production endogène n’est qu’une variable d’ajustement.
La comparaison avec la Corse est révélatrice : alors que l’île bénéficie d’un dispositif de continuité territoriale qui soutient ses filières locales, les départements ultramarins doivent se contenter d’une politique de rattrapage partiel, sans remise en cause du modèle d’importation généralisée.
En 2022, le taux de chômage s’élevait à 17,8 % en Guadeloupe et 15,5 % en Martinique, soit plus du double de la moyenne nationale. Selon l’INSEE, le coût du panier moyen est supérieur de 38 % à celui de l’Hexagone, conséquence directe de la dépendance aux importations et de la faiblesse du tissu productif local.
En l’état, ce projet de loi apparaît comme un rendez-vous manqué. Il risque d’être perçu comme la perpétuation d’une économie de comptoir, consolidant la dépendance et l’inégalité, là où une politique ambitieuse de souveraineté alimentaire et de développement endogène aurait pu constituer un véritable levier d’émancipation pour les Outre-mer.
Ce texte met aussi en évidence la difficulté persistante des services de l’État à saisir les véritables freins au développement de ces territoires.
Au-delà des déclarations d’intention et des réunions solennelles sur la vie chère, il serait urgent que nos responsables réellement au fait des enjeux informent les services de l’État des causes structurelles des difficultés ultramarines.
Gérard Dorwling-Carter