Annoncée par l’exécutif de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM) comme étant opérationnelle à partir de ce 27 juillet, la « Maison du retour et de la famille » est un dispositif d’accueil et d’accompagnement(s) créé par ledit exécutif afin de « maintenir et favoriser le retour au pays » de martiniquais.es âgé.e.s de 18 à 40 ans (sous certaines conditions*), de « redynamiser la croissance démographique » et, à terme, de « créer les conditions d’une nouvelle dynamique sociétale. » Rien de moins. Nous étions présents à la très récente inauguration de cette entité d’accompagnement, située dans l’Agora de l’Hôtel de la CTM, à Plateau Roy. Présentation.

A titre informatif et selon l’exécutif de la CTM, cette « Maison du retour et de la famille » relève d’une « politique publique territoriale structurée autour de trois pôles », dont nous présentons ici quelques composantes (non exhaustives) :

Pôle 1 : une GPEECT, c’est-à-dire une « Gestion Prévisionnelle des Effectifs, des Emplois et des Compétences au niveau Territorial », dont l’objectif annoncé est « d’identifier les besoins, filière par filière et grande administration par grande administration, en emploi immédiat » et de « faire des projections pour les deux à six années à venir. » Pour ce faire, l’exécutif de la CTM a notamment indiqué l’impulsion d’un « large partenariat » avec le Pôle Emploi, la DEETS (Direction de l’Economie, de l’Emploi, du Travail et des Solidarités), les organisations patronales et syndicales, les branches professionnelles, etc.

Pôle 2 : La « migration retour ». Ce pôle concerne d’une part « les personnes de 18 à 40 ans dont la mise en relation avec les employeurs (publics, privés, parapublics) s’est concrétisée par un contrat de travail, et d’autre part les personnes dont le projet de création ou de reprise d’entreprise est formalisé. »* Les personnes intégrant le dispositif bénéficient d’accompagnements notamment administratifs et d’« outils financiers » comme par exemple la « prise en charge du déménagement (dans la limite de 20m3)», la « prise en charge des trois premiers mois de loyer, dans la limite totale de 1 500 € (renouvelable une fois) » ainsi qu’une « prime d’arrivée de 2 000 €. »

Pôle 3 : La mise en place d’une « politique de la famille et d’incitation à la natalité. » Ce pôle a pour objectif de « faciliter et d’accompagner les familles par une assistance dans leurs diverses démarches d’installation,  leur intégration sociale et professionnelle » ou encore le « développement de modes de gardes alternatifs pour les enfants. » Ainsi ce troisième pôle prévoit également des incitations à la natalité, avec notamment une prime de 2000 € pour le deuxième enfant (« à destination des personnes intégrées dans le dispositif dans le cadre de la GPEECT et ayant un revenu inférieur à 1,5 SMIC pour une personne seule, et à 2 fois le SMIC pour un couple »).

Outre ces modalités d’aides, ce dispositif ‘’Maison du retour et de la famille’’ « offre aux futurs bénéficiaires un accueil physique et téléphonique dédié, ainsi qu’un accompagnement par une équipe de quatre personnes située à l’Hôtel de la Collectivité, à Plateau Roy. En dernier lieu et pour rappel, la Martinique enregistre depuis plus d’une décennie une perte démographique continue, qui, cumulée au phénomène de vieillissement de la population et à la baisse de la natalité, engendre un phénomène de dépeuplement du territoire. Le solde migratoire est en effet déficitaire (- 4900 habitants en un an) notamment en raison du départ massif de jeunes. Quant à la natalité sous nos cieux, elle est non seulement en baisse (3530 naissances en 2020) mais également caractérisée par un taux important de mortalité infantile (10,7%). A titre indicatif en outre, lors de cette inauguration le représentant de l’INSEE a notamment indiqué, dans son intervention, que la Martinique avait perdu environ 50.000 habitants en 15 ans. En 2021, notre pays comptait 354.800 habitants, puis 350.400 en 2022 : si ces « tendances » démographiques se poursuivaient, la population atteindrait 286.500 habitants en 2042, puis 212.000 en 2070 (source CTM).

Des réalités actuelles et autres projections qui ont certainement inspiré au président du Conseil exécutif, Serge Letchimy, la mention répétée de « catastrophe démographique » dans la communication qu’il fit lors de cette inauguration. Une catastrophe qui, selon le dirigeant, est notamment caractérisée par une triple « inconscience » sous nos cieux : inconscience des autorités étatiques, de nos acteurs économiques, et plus largement de la population. Entretien.


Serge Letchimy :

« Ce qui m’effraie et me touche le plus, c’est cette inconscience… »

 

Serge Letchimy

Antilla : Vous dites que l’Etat n’est pas conscient de cette « catastrophe démographique », or il dispose a priori des mêmes chiffres et données que vous en cette matière, non ?

Serge Letchimy : Très honnêtement je pense qu’il y a une psychanalyse politique à faire (sourire), je n’arrive pas à me l’expliquer… . J’ai parlé de ça à l’Assemblée nationale quand j’étais député ou devant les gouvernements : ils entendent, comprennent, et répètent les mêmes choses… .

C’est de l’indifférence de leur part selon vous ?  

J’ai peur d’employer ce terme-là ; j’ai l’impression que c’est de l’inconscience. Vous savez, l’outre-mer est devenu une sorte d’événement ponctuel, ce n’est pas au cœur des priorités de l’Etat. Mais si l’Etat n’a pas pris conscience, il ne faut pas qu’on se replie dans notre petit coin et qu’on commence à pleurer : il faut absolument que nous, nous en prenions conscience. C’est mon premier message. Et si nous prenons conscience, peut-on mettre en place des dispositifs exceptionnels pour pouvoir parer à ça ? C’est ce que j’ai expliqué tout à l’heure. Nous sommes dans une République et plein de paramètres dépendent de l’Etat, notamment les allocations familiales. Cette politique-là peut-elle être modifiée ? Car c’est considérable. Si le calcul d’aides est le même pour le premier enfant mais aussi pour le deuxième, le troisième etc., ça change la donne complètement, car les gens pourraient alors avoir des ressources assez stables.

Cela vous semble objectivement réalisable ? Les autorités étatiques seront « sensibles » à ces réalités-là ?

Oui. Comme il y a cette catastrophe démographique, les mêmes conditions d’obtention de l’allocation familiale pour le premier enfant, c’est-à-dire sans vérifier le niveau des revenus : si on l’applique au deuxième enfant beaucoup de familles pourraient en bénéficier.

Et le cas échéant, ce serait un signe fort d’une prise de conscience, telle que vous la souhaitez, de la part de l’Etat ?

Oui mais il n’y a pas que ça, il y a d’autres paramètres. C’est un paramètre de la politique familiale dans la politique démographique, mais malheureusement c’est l’Etat qui détient cette compétence, pas nous. Ce qui m’effraie et me touche le plus, c’est cette inconscience. Donc mon objectif c’est de faire prendre conscience et de faire des choses qui entament un process, mais je le dis clairement : ce n’est pas ça qui réglera totalement le problème. Mais au moins une dynamique sera créée.

Couper de ruban avec la conseiller e exécutive Audrey Thaly-Bardol

« Il y a une surdité locale dès que vous parlez de ça… » 

Vous avez aussi déploré une « inconscience » de nos acteurs économiques quant à ces réalités démographiques : là aussi une psychanalyse, cette fois économique, est-elle nécessaire ?

(sourire) Je ne comprends pas, parce que – 50.000 personnes en Martinique ce sont – 50.000 consommateurs. Le modèle économique en Martinique, tel qu’il est conçu, est extrêmement rigide, structurellement fixé par des mécanismes de capitaux – fonciers ou bancaires – et aujourd’hui ceux qui en profitent ne veulent pas trop changer ; je le dis comme je le pense. Donc je préfère inviter tout le monde à changer la donne. Je prends l’exemple de l’autonomie alimentaire par rapport à la concentration des importations : si on fait avancer l’autonomie alimentaire, ça fera chuter l’importation.

La structure d’accueil inaugurée

Ce qui ne ferait pas le « bonheur » de certains, non ?

(sourire) C’est plus facile d’importer que de produire. Mais ça commencerait à devenir une économie démocratique, avec des retombées plus partagées : c’est ce qui m’intéresse. Or il y a une surdité locale de la part de l’Etat, une surdité locale dès que vous parlez de ça. Mais cette modification structurelle peut devenir très intéressante, notamment pour accompagner de jeunes investisseurs qui reviennent, qui pourraient créer leur(s) emploi(s), pour l’accès à l’immobilier d’entreprise, le partage du foncier, etc.

Propos recueillis par Mike Irasque

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