Le ministre des Outre-mer veut – dit-il- briser les monopoles et renforcer la concurrence pour faire baisser les prix dans les territoires ultramarins. Son projet de loi, présenté comme un « plan de bataille », suscite des attentes élevées mais aussi de vives réserves parmi les élus, les entreprises et les associations de consommateurs.
Depuis sa nomination en décembre 2024 au ministère des Outre-mer, par la force des choses, la lutte contre la vie chère pour Manuel Valls est devenue une priorité. Il a fait lav promesse de :rétablir une forme d’équité économique entre les territoires d’outre-mer et l’Hexagone, où les écarts de prix, pour certains produits de première nécessité, peuvent atteindre jusqu’à 40 %.
Les prix à la consommation sont en moyenne 14 à 16 % plus élevés dans les Antilles-Guyane qu’en métropole, et au-delà de 50 % à Mayotte pour les produits alimentaires. Ces écarts s’expliquent par des facteurs structurels : dépendance massive aux importations, coût du fret. La doxa la plus répandue ajoute l’octroi de mer, et surtout la domination d’acteurs économiques concentrés, dans la grande distribution notamment. « Une économie de comptoir » que Manuel Valls entend dit-il, avec emphase « briser » pour favoriser la production locale, la transparence des marges, et la baisse des prix.
Une réponse à une crise sociale latente
L’annonce du projet de loi s’inscrit dans un contexte social tendu. Fin 2024, des émeutes ont secoué la Martinique, à l’instar des mobilisations de 2009. « Ces violences sont le témoignage vivant et brûlant d’une fracture sociale, d’un sentiment d’inégalité qui s’aggrave dangereusement », avait alors doctement déclaré Manuel Valls. Dès mars 2025, lors d’un déplacement aux Antilles, le ministre promettait un texte « structurant » contre cette injustice économique.
Le projet de loi annoncé s’articulerait autour de trois axes principaux : lutte contre les positions dominantes, soutien à la production locale, et transparence accrue sur les prix. Il prévoit notamment le renforcement des pouvoirs de l’Autorité de la concurrence, la réactivation des observatoires des prix, ainsi que l’extension du Bouclier Qualité-Prix (BQP) déjà appliqué en Martinique. Le ministre souhaite également mobiliser les préfets et les acteurs du transport et de la distribution autour d’engagements concrets.
Des parlementaires ultramarins prudents
Mais à mesure que le contenu du texte se précise, les critiques se font – à juste titre – entendre, y compris dans la majorité. « Il y a des trous dans la raquette », alerte le député guadeloupéen Elie Califer. Davy Rimane, président de la délégation aux Outre-mer, note l’absence de « fol enthousiasme » au sein de l’Assemblée. La députée martiniquaise Béatrice Bellay, dont une proposition de loi a inspiré le texte, salue sa reprise mais regrette un manque d’ampleur : « On attendait quelque chose de plus audacieux. »
Le gouvernement, qui mise sur une adoption du texte à la rentrée, cherche à intégrer certaines des mesures contenues dans deux propositions de loi adoptées ces derniers mois, l’une à l’Assemblée nationale, l’autre au Sénat. Une stratégie d’efficacité législative, mais qui donne à voir un projet encore en chantier. Plusieurs élus ont déjà annoncé leur volonté d’amender la copie, en particulier pour obtenir des mesures de soutien plus directes à la consommation ou à la production agricole. Car sur ce terrain, le projet manque totalement de consistance
Un monde économique inquiet
Du côté des organisations patronales, les signaux sont nettement plus alarmistes. La FEDOM (Fédération des entreprises d’Outre-mer) accuse Manuel Valls de « reporter la responsabilité de la vie chère sur les entreprises ». Le MEDEF Martinique dénonce un risque d’« insécurité juridique » et d’« atteinte à la liberté d’entreprendre ». En filigrane, la crainte d’un retour à une forme d’économie administrée, avec encadrement des marges et restrictions sur la taille des grandes surfaces.
Ces inquiétudes sont nourries par plusieurs propositions discutées au Parlement, comme la limitation de la part de marché à 25 % pour un acteur, ou l’interdiction des « structures verticales » dans la distribution. Le groupe Bernard Hayot (GBH), acteur central de la grande distribution aux Antilles-Guyane, a d’ailleurs fait état d’une baisse de rentabilité, signalant que la situation économique affecte aussi les grands groupes.
Une société civile mobilisée
Face à ces tensions, d’aucuns plaident pour des réformes encore plus poussées. L’Observatoire des prix de La Réunion (OPMR) réclame des sanctions contre les entreprises refusant de coopérer, l’obligation de publication des comptes, l’inclusion de fruits et légumes dans le BQP, et l’exonération de TVA sur les produits essentiels. « On ne peut pas lutter contre la vie chère avec des demi-mesures », affirme un membre de l’OPMR.
Ces revendications, pointent du doigt les pratiques opaques dans la chaîne de distribution, comme les « marges arrières », et la faible capacité de l’État à imposer des règles contraignantes. Manuel Valls a reconnu que le combat contre la vie chère impliquait une transformation « en profondeur » des économies locales, affirmant que « la République ne peut plus tolérer une telle inégalité ».
Une contradiction budgétaire
Les moyens financiers vont-ils suivre? Le projet de loi intervient alors même que la mission « Outre-mer » du budget 2025 subit une baisse de 34 %, passant de 920 à 606 millions d’euros. Une coupe qui interroge sur la volonté réelle de changement structurel. « On ne peut pas lutter contre un problème aussi enraciné sans moyens », dénonce des élus.
Manuel Valls, conscient du paradoxe, mise sur la régulation plutôt que sur les transferts budgétaires. C’est la raison, certainement pour laquelle son projet de loi n’aborde pas certaines questions dont la résolution serait apte résoudre en partie le problème de la cherté, notamment la restructuration (et le budget qui va avec) de la petite agriculture… Il a toutefois renvoyé à d’autres ministères la question, explosive, de la sur-rémunération des fonctionnaires d’outre-mer, quoiqu’il ait dit ne plus vouloir «entretenir une inflation par compensation».
Une promesse républicaine à concrétiser
Le texte de loi, attendu au Conseil des ministres début juillet, sera examiné au Parlement à la rentrée. Il fera l’objet d’amendements nourris, tant les attentes sont fortes.
Le ministre devra trouver un point d’équilibre entre intervention publique, régulation du marché et soutien au développement local. Attendu que pour l’instant, les éléments du projet annoncé ne vont absolument rien changer à la structure néocoloniale des économies ultramarines basées sur des monocultures et des importations massives pour satisfaire les besoins des territoires.
Gérard Dorwling-Carter.