« Dans un contexte ultramarin tendu, Manuel Valls expose sur France Inter la stratégie du gouvernement : restaurer la stabilité, relancer le dialogue politique, et répondre aux urgences sociales dans les Outre-mer. »
Ce matin 16 mai 2025, Manuel Valls, ministre d’État, ministre des Outre-mer, était l’invité du Grand Entretien de France Inter. Le verbatim de cet échange nous a été transmis par le ministère des Outre-mer. Entre bilan d’une année de tensions en Nouvelle-Calédonie, annonce de réformes ‘ambitieuses’ à Mayotte et préoccupations sécuritaires aux Antilles, le ministre livre une (sa) vision globale des enjeux ultramarins.
Nouvelle-Calédonie : éviter le chaos, reconstruire la paix
Un an après les violentes émeutes du 13 mai 2024, qui ont causé quatorze morts et plus de deux milliards d’euros de dégâts, Manuel Valls dresse un constat sévère mais lucide : « Ces violences ont brisé un équilibre que l’on croyait solide après les accords de Matignon et de Nouméa. » Le ministre souligne la résurgence d’un racisme profond, de part et d’autre, et plaide pour une reconstruction sur deux piliers : le dialogue politique et le redressement économique.
S’il assume l’envoi de forces de sécurité pour rétablir l’ordre, il insiste sur l’urgence d’un accord politique durable, capable de concilier l’aspiration à la souveraineté et le maintien d’un lien fort avec la France. Il parle d’une « voie sui generis » qui passerait par une réécriture constitutionnelle adaptée à la singularité calédonienne.
Mayotte : refonder un territoire frappé par la catastrophe et les urgences sociales
« J’ai toujours dit que je m’opposerais à l’idée d’abroger le droit du sol de manière générale »,
À Mayotte, Manuel Valls fait face à une situation d’urgence multiple : humanitaire, sociale, sanitaire, sécuritaire. Le territoire a été ravagé par le cyclone Chido en décembre 2024, causant la mort de quarante personnes et des dégâts évalués à plusieurs milliards d’euros. Quatre mois plus tard, la reconstruction avance, mais lentement. « Il y a encore beaucoup de problèmes dans le domaine de l’eau, de l’électricité, » reconnaît le ministre, tout en soulignant que des chantiers sont lancés, des « immeubles d’habitation sortent déjà de terre » et que l’État reste mobilisé.
Pour répondre à la crise, un plan de refondation de Mayotte a été élaboré. Ce projet de loi de programmation, examiné au Sénat puis à l’Assemblée, prévoit 3,2 milliards d’euros d’investissements jusqu’en 2031. Il est structuré autour de cinq priorités : l’eau, l’éducation, la santé, les infrastructures et la sécurité. Manuel Valls le qualifie de « projet d’une ambition sans précédent ».
Il annonce également que ce plan sera suivi par une mission interministérielle installée durablement sur place, pilotée par le général Pascal Facon, afin de garantir la continuité et la mise en œuvre des engagements pris. L’objectif est clair : refonder Mayotte en profondeur, comme l’avait proposé François Bayrou dès le début du quinquennat.
Sur le plan migratoire, Manuel Valls refuse toute ambiguïté. Il rejette l’abrogation du droit du sol, même s’il reconnaît qu’une proposition de loi restreignant ce droit a été adoptée et validée par le Conseil constitutionnel. « J’ai toujours dit que je m’opposerais à l’idée d’abroger le droit du sol de manière générale », affirme-t-il. Ce qu’il défend, en revanche, c’est la convergence sociale, c’est-à-dire la mise à niveau des droits et des conditions de vie des Mahorais, au nom de la promesse républicaine faite à ceux qui ont toujours choisi la France.
Le ministre revient aussi sur la situation sanitaire urgente, notamment la résurgence du chikungunya à Mayotte et à La Réunion, avec 50 000 cas et 12 décès. Une campagne de vaccination est en cours avec le vaccin IXCHIQ du laboratoire Vanneva, mais celle-ci a été suspendue pour les plus de 65 ans, après un décès potentiellement lié à une injection. Valls reste prudent et laisse la parole aux autorités sanitaires, tout en insistant sur l’importance des mesures de prévention renforcées sur le terrain.
En somme, à Mayotte, le ministre tente de concilier gestion des urgences et transformation structurelle, dans un territoire où les attentes des habitants sont immenses et les défis tout aussi considérables.
Antilles et Guyane : une guerre contre le narcotrafic et le recrutement des enfants
« Aux Antilles et en Guyane, le narcotrafic ne menace plus seulement la sécurité : il ronge les fondements mêmes de la société en recrutant les enfants comme soldats. »
Interpellé sur un rapport Europol concernant des réseaux criminels recrutant des enfants dans plusieurs pays européens, Manuel Valls réagit en élargissant immédiatement la focale à la situation dramatique dans les Outre-mer, en particulier les Antilles et la Guyane. Le ministre est formel : « Le ministre des Outre-mer que je suis est confronté à ce problème à la puissance dix. »
Il évoque un effondrement progressif des sociétés ultramarines sous la pression du narcotrafic, qui s’est transformé en une véritable « guerre sociale ». À ses yeux, ce fléau a pris en dix à quinze ans des dimensions d’État, avec des moyens financiers colossaux qui dépassent ceux des autorités locales. Il cite notamment la Martinique, la Guadeloupe et la Guyane parmi les territoires les plus affectés.
Dans ces régions, le narcotrafic recrute désormais des enfants, parfois dès l’âge de 12 ou 13 ans, pour commettre des assassinats ou participer à des activités illégales. Valls compare cette dérive à celle observée au Brésil, en Colombie, au Mexique ou en Italie (notamment à Naples avec la mafia), rappelant le livre de Roberto Saviano Gomorra.
Face à cette menace, il prône une mobilisation générale de tous les leviers de l’État : la sécurité, bien sûr, avec un renforcement des moyens policiers et judiciaires, mais aussi la santé, l’école, la prévention et la justice sociale. Il insiste sur le fait que le combat contre le narcotrafic ne peut pas être mené uniquement par la répression, mais qu’il doit aussi être une bataille culturelle, éducative et structurelle, engageant toute la société.
Il défend également les récentes lois adoptées contre le trafic de stupéfiants, y compris dans les territoires ultramarins, et appelle à une coopération internationale renforcée, soulignant qu’une opération policière européenne récente a démontré que ce type de coordination pouvait porter ses fruits.
Enfin, il alerte : les citoyens ne mesurent peut-être pas encore l’ampleur du phénomène, notamment le recrutement d’enfants, qui constitue selon lui une ligne rouge gravement franchie. Ce glissement inquiétant menace non seulement la sécurité publique, mais aussi le tissu social et l’avenir des jeunes générations dans les Outre-mer.
Un positionnement politique républicain assumé
Face à une situation politique tendue da,s l’Hexagone, Manuel Valls réaffirme que le gouvernement « gouverne », malgré l’absence de majorité absolue. Il défend son action sur tous les fronts : Mayotte, Nouvelle-Calédonie, lutte contre la vie chère, narcotrafic.
Soutenant François Bayrou dans l’affaire Bétharram, il se dit fier de travailler à ses côtés, tout en défendant le rôle du Parlement dans l’évaluation des responsables publics.