Peter Blake à Brest, après sa victoire dans le Trophée Jules Verne, le 1er avril 1994 | BEP/OUEST FRANCE

Auteur·e : Julien Lamotte
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La Coupe de l’America qui se déroule en ce moment est l’occasion de se souvenir de Peter Blake. Légende de l’épreuve, le Néo-Zélandais a presque tout gagné sur les mers. Mais il était bien plus que ces victoires. Sa disparition tragique en 2001 a plongé le monde de la voile dans un océan de tristesse.

 

Tout ça pour des montres. Oui, des montres. Peter Blake a perdu la vie en défendant son bateau attaqué par des pirates sur les rives de l’Amazone, du côté de Macapa, au Brésil. Ces bandits, surnommés les “ratos d’agua” (les rats d’eau) ont réussi à s’échapper avec des montres. Blake, lui, n’a pas échappé à la mort. Cela fera vingt ans le 6 décembre prochain.

Une fin sèche, brutale, inattendue. Comme dans un roman. Peter Blake, par sa corpulence, son charisme et son goût de l’aventure avait d’ailleurs des petits airs de Jack London. “Il suffisait qu’il rentre dans une pièce pour savoir qu’il était là” se souvient Dean Barker, l’un de ses successeurs à la barre du défi néo-zélandais en America’s Cup. Avec ses deux mètres de haut, sa moustache et sa stature de granit, il était de toute façon difficile de le louper.

Ogre des mers

Ce qui frappait avant tout chez Blake, avant même sa présence physique, c’était ce regard malicieux, dépourvu de tout cynisme. Mais, lorsqu’il s’agissait de défier la mer et ses adversaires, Blake retrouvait alors son instinct de tueur. Le navigateur kiwi est le seul à avoir remporté la Whitbread (course autour du monde en équipage et par étapes), le Trophée Jules Verne (tour du monde en équipage sans escale et sans assistance) et donc, la Coupe de l’America. S’il est difficile de comparer les époques et les disciplines en voile, il n’est pas exagéré de dire que seul Éric Tabarly pouvait regarder droit dans les yeux ce géant des océans.

 

Peter Blake et ses coéquipiers paradent dans les rues d'Auckland après leur victoire en America's Cup, le 24 mai 1995
Peter Blake et ses coéquipiers paradent dans les rues d’Auckland après leur victoire en America’s Cup, le 24 mai 1995© TORSTEN BLACKWOOD / AFP

 

Comme le Français, le natif d’Auckland aura influencé des millions de marins dans le monde. “C’est un exemple car il a embrassé presque tous les domaines de la voile, et avec une réussite égale, admire Franck Cammas. On a toujours l’impression de recommencer à zéro quand on se lance dans une nouvelle aventure. Peter Blake n’avait pas peur de ces défis, il ne s’interdisait rien, il avait l’audace de s’attaquer à des challenges très différents qui demandaient à chaque fois d’autres compétences, d’autres équipages…”

Tacticien hors pair, barreur redoutable, aussi à l’aise entre les bouées qu’au grand large, Peter Blake avait ce que les marins appellent “le sens de la mer”. On l’a ou on ne l’a pas. Mais, et ce n’est pas un défaut, il avait aussi le sens pratique. On ne parvient pas à gagner autant de courses sans savoir s’entourer des meilleurs. “C’était un leader charismatique, populaire. Il savait aller chercher l’argent”, se souvient Marc Pajot. D’abord barreur puis directeur de course de l’équipe néo-zélandaise sur l’Americas’s Cup, Blake remportera par deux fois l’aiguière d’argent. Ce qui lui valut le statut de héros national et l’anoblissement par la reine d’Angleterre.

 

Team New Zealand, barré par Peter Blake, lors de l'America's Cup 1995
Team New Zealand, barré par Peter Blake, lors de l’America’s Cup 1995© MARILYN YOUNG / AFP

 

Sir Peter Blake, donc, a su se servir de son aura pour placer la Nouvelle-Zélande au centre des cartes océanographiques. Dans sa lourde foulée, “un tout petit pays, où il y a plus de moutons que d’habitants, est parvenu à financer un défi multivictorieux sur la Coupe de l’America”, remarque Marc Pajot. Et il y est arrivé sans jamais utiliser la méthode forte. Alain Gautier admirait beaucoup la classe du personnage. “Blake était très humble. En Coupe de l’America, notamment, il lui arrivait de laisser la place du barreur à un coéquipier pour prendre la bastaque par exemple, ou un autre poste moins prestigieux. Il savait mettre son ego de côté pour mettre les bonnes personnes aux bons endroits”.

 

 

Un beau jour, pourtant, celui qui fut ingénieur en mécanique avant de devenir marin, en a eu assez de tout gagner. Assez de la compétition et de la vitesse. Il avait d’autres défis, encore plus importants, à mener : sensibiliser le monde à la protection de la nature et des océans. Sur son bateau, le Seamaster (anciennement l’Antartica de Jean-Louis Étienne), Peter Blake, soutenu par les Nations Unies, a commencé à sillonner la planète pour étudier et alerter. L’allure avait baissé, mais pas sa motivation.

Marc Pajot se souvient : “Il a été un des premiers navigateurs à avoir une ouverture vers l’écologie. Aujourd’hui tous les marins ont cet esprit. Blake était en ce sens un précurseur”. Ce que confirme Franck Cammas : “Il aimait aller découvrir le monde grâce à son bateau et montrer qu’il pouvait mal tourner écologiquement, déjà à l’époque. C’est une facette remarquable pour quelqu’un qui venait de la compétition pure. Dans l’idéologie, on peut dire qu’il était dans la même lignée que Cousteau”.

Blake et la morte mer

Drapeaux en berne. Minute de silence. Nous sommes le 6 décembre 2001 et les 3,8 millions d’habitants que compte la Nouvelle-Zélande à cette époque sont sous le choc. Ils viennent d’apprendre la mort de leur héros, tué par balles au Brésil par des pirates. Ces derniers, arrêtés plus tard par la police, avoueront qu’ils ne savaient pas qui était Peter Blake. Ils écoperont de 32 ans de prison.

 

Le peuple néo-zélandais rend hommage à Peter Blake lors d'un mémorial à Auckland, le 23 décembre 2001
Le peuple néo-zélandais rend hommage à Peter Blake lors d’un mémorial à Auckland, le 23 décembre 2001© MICHAEL J. FIELD / AFP

 

Blake se trouvait sur l’Amazone avec deux autres membres de l’équipage du Seamaster et menait à bien une expédition scientifique dans cette région particulièrement sensible. “La navigation est agréable. Il fait 36 degrés” note-t-il sur son journal de bord ce jour-là. Son dernier. Le rapport de la police brésilienne indique que le géant est mort sur le coup en voulant défendre son bateau, tué par deux balles dans la poitrine. Ses coéquipiers, blessés, ont eu la chance de survivre.

“Il n’y a pas de mot pour exprimer une telle détresse”, déclare Helen Clark, premier ministre néo-zélandais, au lendemain de l’annonce du décès de Blake. Le président du Parlement, Michael Cullen, observait quant à lui que “tout le monde avait l’impression de le connaître”. Ce qui en dit long sur la simplicité de cet homme, souvent comparé à l’autre légende du pays, Edmund Hillary, le premier homme à avoir gravi l’Everest.

Quelques jours plus tard sont organisées des obsèques nationales pour un dernier adieu au géant blond. Des milliers de gens s’y rendent en chaussettes rouges, celles que portait Peter Blake lorsqu’il a mené le défi néo-zélandais à la victoire en Coupe de l’America. Quand un pays entier porte les mêmes chaussettes que vous, c’est sans doute que vous avez réussi quelque chose d’important. Mais, plus encore qu’au triomphateur des océans, c’est bien à l’homme que le peuple a voulu rendre hommage.

Vingt ans plus tard, Franck Cammas résume Peter Blake, simplement et magnifiquement: “Il aimait la mer et le monde dans son ensemble”. Et les deux le lui rendaient bien.

 

Peter Blake et ses enfants à l'arrivée du Trophée Jules Verne, le 1er avril 1994
Peter Blake et ses enfants à l’arrivée du Trophée Jules Verne, le 1er avril 1994© DAVID GILES / AFP
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