Dans l’archipel antillais, la Martinique n’échappe pas aux grandes recompositions du paysage religieux que connaît le monde protestant. Si l’île demeure majoritairement catholique, la vitalité du protestantisme évangélique contraste fortement avec la marginalisation croissante du courant luthéro-réformé, désormais réduit à une présence discrète, voire résiduelle.
Un protestantisme historique en voie d’effacement
Introduit au XIXe siècle, le protestantisme luthéro-réformé s’est implanté difficilement dans une société marquée par l’hégémonie catholique et les séquelles de l’esclavage. Quelques paroisses, issues de la tradition réformée française et des missions britanniques, subsistent aujourd’hui, rassemblant une poignée de fidèles attachés à une liturgie sobre et à un héritage théologique exigeant. Leur visibilité reste faible, leur influence sociale marginale.
Selon l’enquête INSEE « Pratiques religieuses en Martinique » (2011), moins de 1 % de la population se déclare protestante historique, soit environ 3 000 à 4 000 personnes sur une population totale de près de 370 000 habitants. L’Église protestante unie de France (EPUdF), présente sur l’île, ne compte aujourd’hui qu’une poignée de paroisses actives, dont les effectifs sont en déclin constant. L’âge médian des membres dépasse 55 ans, selon une enquête interne menée en 2020 par l’EPUdF locale.
« Nos églises vieillissent, nos bancs se vident, et la relève tarde à venir », confie à Le Monde un responsable d’une paroisse protestante historique de Fort-de-France. Les jeunes générations, peu présentes, semblent préférer d’autres formes de spiritualité.
L’essor irrésistible de l’évangélisme.
À l’opposé, l’évangélisme connaît depuis les années 1980 une expansion spectaculaire. Selon l’Observatoire du religieux aux Antilles (Université des Antilles, 2019), les Églises évangéliques, pentecôtistes et adventistes rassemblent aujourd’hui entre 35 000 et 50 000 fidèles, soit près de 10 à 13 % de la population martiniquaise. Ce chiffre a doublé en moins de trente ans.
Leur succès s’explique par une liturgie dynamique, rythmée par la musique et la ferveur, une forte implication communautaire, et une capacité d’adaptation aux réalités culturelles antillaises. Les cultes, souvent festifs et participatifs, séduisent particulièrement les jeunes et les familles : 42 % des membres des Églises évangéliques ont moins de 35 ans, contre moins de 20 % dans les paroisses historiques (source : Observatoire du religieux, 2019).
Les Églises évangéliques disposent de plus de 350 lieux de culte sur l’île, contre moins de 10 pour le courant luthéro-réformé (données Direction des affaires culturelles, 2022). Leur présence médiatique – radios, télévisions, réseaux sociaux – contribue à leur rayonnement et à leur capacité de mobilisation.
Facteurs d’attractivité et recomposition du paysage religieux.
Les Églises évangéliques jouent un rôle social de premier plan, apportant soutien matériel, accompagnement familial et espaces de solidarité dans un contexte économique difficile. Selon une étude de l’INED (2020), 60 % des fidèles évangéliques déclarent participer à des activités sociales ou caritatives organisées par leur Église, contre moins de 30 % chez les protestants historiques.
Face à cette dynamique, le protestantisme luthéro-réformé paraît figé, prisonnier d’une image élitiste et d’une tradition peu adaptée aux attentes contemporaines. Les débats internes, la pluralité doctrinale et la difficulté à renouveler le message pèsent sur sa capacité à se réinventer.
Un dialogue inégal, une coexistence pacifique
La coexistence entre les différents courants protestants se déroule dans un climat globalement pacifique, même si la vitalité évangélique tend à reléguer les paroisses historiques à la périphérie du paysage religieux. La compétition pour les fidèles est réelle, mais elle s’accompagne aussi de collaborations ponctuelles, notamment dans le domaine social ou lors de grandes manifestations œcuméniques.
Vers une recomposition durable ?
La Martinique offre ainsi un miroir grossissant des transformations à l’œuvre dans le protestantisme mondial : marginalisation du courant luthéro-réformé, domination évangélique, recomposition accélérée des appartenances religieuses. Si l’extinction du protestantisme historique n’est pas à l’ordre du jour, sa survie dépendra de sa capacité à s’adapter, à transmettre son héritage et à dialoguer avec une société en quête de sens et d’ancrage.
À l’heure où l’évangélisme façonne de plus en plus l’identité protestante martiniquaise, l’avenir du courant luthéro-réformé semble suspendu à un effort de renouvellement, sous peine de s’effacer dans l’ombre de ses cousins évangéliques.