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« Musiques du monde », un mot valise qui décrit tout ce qu’il n’est pas. Un terme générique regroupant des origines rythmiques d’influences diverses puis mélangées. Un métissage musical qui reflète les brassages ethniques issus de notre histoire commune.

Mais de quoi s’agit-il ? Musique ethnique, musique primitive, musique folklorique ou musique métissée…

Découvrez à travers cette édition participative ce courant finalement inclassable, via des concerts, des sorties musicales ou des enregistrements acoustiques.
Ou comment, à travers des actualités musicales, nous pouvons en apprendre davantage sur le métissage ethnique et culturel que certaines populations ont connu, de gré ou de force.

Pour le lancement de cette nouvelle édition « musiques du monde », à laquelle vous pouvez contribuer, tentons d’y voir plus clair sur ce terme générique et fourre-tout.

 

Akua Naru © Olivier HoffschirAkua Naru © Olivier Hoffschir

 

Les musiques du monde « ne relèvent d’aucune nomenclature académique créée par la musicologie occidentale. »

Par opposition à la « western music » regroupant peu ou prou la musique classique, le rock et ses variantes jusqu’à l’électronique, les musiques du monde englobent énormément de styles souvent cantonnés à une seule case musicale.

François Bensignor, qui a dirigé la rédaction du Guide des Musiques du monde (Larousse, 2002), introduisait ce dernier avec ce même questionnement.
« Comment définir les musiques du monde ? Elles ne sont ni classiques, ni baroques, pas plus que jazz, rock, R&B ou hip-hop, et ne relèvent d’aucune nomenclature académique créée par la musicologie occidentale. Dire ce qu’elles ne sont pas est autrement pratique, et les tenir à distance permet de ne pas avoir à définir ce qu’elles sont… Mais ces cultures, ces identités musicales vivantes, non reconnues par la « norme » existent aussi « chez nous », avec leurs langues (barbares ?), leurs instruments (exotiques ?), leurs gammes (non tempérées ?). Comment s’y retrouver ? »

Une première catégorisation distingue les musiques traditionnelles à caractère “primitif” ou “ethnique” de certaines régions du monde n’ayant subi quasiment aucune influence extérieure. On y regroupe aussi les musiques et chansons folkloriques interprétées par des groupes respectant la tradition via l’utilisation de certains instruments ou des formations musicales ancrées dans la culture de la région.
Une deuxième catégorisation, plus métissée, comprend les musiques qui peuvent utiliser des instruments du folklore tout en étant construites sur des rythmes nouveaux ou sur des bases harmoniques non traditionnelles. On y regroupe aussi les musiques mélangeant instruments traditionnels et modernes, ainsi que les créations d’artistes proposant un métissage entre des styles musicaux de différentes cultures, de différentes périodes et associant des instruments traditionnels et modernes.

 

Pachibaba © Olivier HoffschirPachibaba © Olivier Hoffschir

 

L’appellation world music

En 1986, en Angleterre, une douzaine de producteurs, dont Peter Gabriel, utilisent le terme de « world music » pour permettre d’identifier leurs productions dans les bacs des disquaires.
Le label Real world, avec sa qualité de production et sa force de frappe de distribution, a permis aux musiques du monde d’être accessibles, reconnaissables et valorisées.

Une démarche salutaire pour donner vie à ce courant musical mais qui vient altérer et réduire à une unicité un courant sensiblement divers et disparate.

Ce raccourci assumé était un moyen de reconnaissance d’une nouvelle case musicale, un moyen de promotion commercial en quelque sorte.
Nicolas Jaujou fait d’ailleurs ce rapprochement dans une étude entre les catégorisations de la musique et le classement de disques chez les grands disquaires (la FNAC et Virgin).
« L’élaboration d’une problématique sur les Musiques du monde (…), ne peut faire l’économie d’une critique de sa construction marketing. (…) En l’isolant et en lui donnant une dimension matérielle, on lui reconnaît une valeur tangible et une autonomie. Cet usage de la Musique du monde lui prête une existence. »

Soit un « grand bazar de la rencontre des cultures au supermarché de l’exotisme » selon la formule de Denis Constant-Martin, lors du colloque sur la diffusion des musiques du monde, organisé à Paris en mai 1998.

Un grand bazar difficile à cerner car hétéroclite et riche de ses différences.
Un courant musical associé à cette catégorie « musiques du monde » nait souvent d’un rapprochement de deux cultures ou de deux disparités (un rythme d’un tel et un instrument d’un autre).

 

Puerto Candelaria – Cumbia Rebelde © Olivier Hoffschir et Thomas Petitberghien

 

Exemple caractéristique de ce mélange avec Puerto Candelaria, groupe 100% colombien et 100% métisse qui définissent leur musique comme de « la cumbia underground ou du jazz à la colombienne ». Inclassable pour un disquaire ou un major.

Migrations ethniques et métissage musical

Chaque migration, chaque rencontre, chaque mélange ont été pour la musique une source de création puissante. Au cours de l’histoire récente, les derniers courants musicaux sont essentiellement issus d’un métissage.

Au XVème siècle, les nomades qui transportent avec eux, depuis l’Inde, une très forte tradition musicale, deviennent les musiciens traditionnels de l’Europe centrale. Leur rencontre avec la musique populaire hongroise donnera naissance au genre tzigane.
Au même rang, nous avons le flamenco issu d’un jeu d’influences entre traditions gitanes et musique populaire andalouse.

L’histoire de l’Afrique est aussi au cœur de la création d’un nombre phénoménal de rythmes et de courants musicaux d’aujourd’hui.
Pendant près de quatre siècles de traite négrière, des africains ont été transportés vers le Nouveau Monde, où l’on a vu une mixité musicale s’opérer au fil des décennies en Louisiane, à Cuba, au Brésil, en Colombie…

À la Havane, en 1860, le compositeur néo-orléanais Louis Morceau Gottschalk organise La Nuit des Tropiques, où pour la première fois des tambourinaires africains partagent la vaste scène du Teatro Tacon avec des musiciens symphoniques et chanteurs lyriques d’origine européenne. Cet événement scelle l’acte de naissance d’une musique de fusion, populaire et généreuse, qui va progressivement s’épanouir de part et d’autre de l’Atlantique.
Quelques années plus tard, elle prendra le nom de jazz aux Etats-Unis, avec son arrivée à la Nouvelle-Orléans. Un grand nombre d’esclaves, originaires du Congo, parlaient alors de jasi qui signifie « faire de la musique » en langue bantoue.

Au cours du XXème siècle, la façade de l’Afrique atlantique se transforme en un véritable laboratoire d’expérimentations musicales.
Dans ses villes et ses ports, le continent africain bruisse d’une agitation nouvelle alors que l’électricité commence sa timide apparition. À la faveur de transports maritimes en plein essor, les 78 tours ramenés par les marins sud-américains, en particulier cubains, mais aussi par les armées d’occupation ou les colons européens, influencent durablement une nouvelle orientation musicale le long des côtes africaines. Les fleuves, à commencer par le puissant Congo, offrent aussi de nouvelles voies de pénétrations culturelles.

Au milieu du XXème siècle, les musiciens d’Afrique centrale et équatoriale adoptent les musiques populaires en provenance d’Amérique du nord. Le terme jazz devient ainsi un symbole de modernité qui signifie bien plus que la seule utilisation de cuivres par un orchestre.
Certains orchestres décident de « réafricaniser » ces musiques afro-cubaines et noires américaines écoutées dans les ports, sur la place publique ou diffusées sur les rares stations radio. Amplifiés par l’émergence du trafic aérien, les voyages de plus en plus fréquents entre Afrique et Occident permettent une circulation rapide des disques et des dernières modes musicales.
Afin de définir les échanges culturels et spirituels ayant lieu entre Salvador de Bahia et la côté béninoise, le grand ethnologue et photographe français Pierre Verger parlait de « flux et reflux ». Par le truchement d’échanges culturels forcés par le commerce triangulaire, on assiste à l’épanouissement de nouveaux courants musicaux dans les villes portuaires. Ces allers-retours le long des littoraux et dans les aéroports sont l’une des clefs de l’émergence des musiques modernes africaines, que l’on connait aujourd’hui comme « musiques du monde ».

Bel exemple avec le projet Togo Soul 70, mené par le label français Hot Casa, qui a compilé quelques perles du soul togolais des années 70.

 

© hotcasarecords

 

Catherine Trautmann, dans Les musiques du monde en question, pense qu’elles « expriment la part vivante et évolutive d’un patrimoine commun, un lien qui unit les peuples par-delà les frontières ».

Difficile donc de définir ces musiques du monde, tant elles sont variées et évolutives. Pascal Quignard tentait une prise à contre pied : « Définir apparaît donc comme une tâche insurmontable, si toutefois l’on s’en tient à l’objet précis qui nous occupe et caractérisé comme “musiques du monde”. Peut-être serait-il plus opportun de s’essayer à une approche indirecte, qui privilégie le sujet et qui pourrait se traduire ainsi : “toute musique qui suscite, éveille chez l’auditeur la curiosité pour l’autre et la culture, les cultures de l’autre ».

 

Dhafer Youssef © Olivier HoffschirDhafer Youssef © Olivier Hoffschir

 

Au delà de la définition même, le fait que ces musiques soient en constante évolution ne nous facilitera pas la tâche. Et pourquoi s’en plaindre.

Les artistes d’aujourd’hui, quelque soit leur origine, peuvent puiser dans leur propre folklore ou dans tous rythmes voisins pour créer et réinventer une musique. Les technologies favorisent ces mixités, comme les brassages ethniques l’ont favorisé il y a plusieurs siècles.

Les musiques du monde, au pluriel s’il vous plait, continueront d’échapper aux cases musicales proférées par n’importe quel diktat étymologique ou commercial.

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