L’écrivaine Anne Ducrocq invite, dans son dernier livre, à faire de la nature qui se transforme notre calendrier, et à épouser avec sagesse nos saisons intérieures.
« Sans cesse, la roue tourne. Il y a l’hiver, le printemps, l’été, l’automne. Et il y a nos saisons intérieures », observe l’écrivaine et éditrice Anne Ducrocq dans le beau livre qu’elle vient de publier aux Editions de La Martinière, Nos saisons. Une métamorphose intérieure. « La vie, chemin d’initiation et de mutation, n’est jamais immobile, on observe le jour et la nuit, les années qui passent. Notre corps, au même rythme que l’Univers, change et se transforme. »
A travers l’exploration des quatre saisons et de leurs différences, cet ouvrage très poétique, illustré par de nombreuses peintures et photographies, nous convie à entrer dans la ronde du temps et à épouser avec sagesse nos saisons intérieures.
Anne Ducrocq. Tout apparaît, tout disparaît. Les saisons nous montrent un chemin : celui du tempo. On ne décide pas à quel rythme va se faire un deuil, quel qu’il soit. Mais, comme dans une ascension en montagne, il y a des gîtes d’étape. Il faut reprendre son souffle et ses forces. De même pour laisser en nous mûrir la vie qui veut avancer. Seuils à franchir ou barreaux de l’échelle à gravir, il y aura initiation.
« Il y a une pédagogie de la saison, c’est la voie de la patience, du petit pas »
On ne peut pas évacuer le temps de la croissance, car chaque étape prépare un autre état. Si on cueille le fruit au mauvais moment, il sera trop vert ou trop mûr. Nous désirons sauter les étapes même si c’est impossible. Il y a donc une pédagogie de la saison, c’est la voie de la patience, de la lenteur, du petit pas. Mais une part de nous échappe à cette impermanence. Les étoiles brillent dans le ciel même quand il est couvert.
Cette notion de métamorphose trouve-t-elle un écho particulier à l’heure où le temps semble se figer un peu ?
Tous mes livres parlent de ce qui m’aide à un instant de ma vie. La thématique du temps, éminemment spirituelle, m’intéresse depuis toujours. Quand j’ai pensé à la vitalité et à la complémentarité des saisons, à leurs enseignements visibles et invisibles, j’ai su que je tenais une façon de parler de notre passage dans le temps. Les leçons de la nature valent bien des livres de psychologie. Les saisons se succèdent, dans un rythme immuable, comme l’homme et la création, suivent aussi des rythmes, celui des marées et de la lune, celui de la respiration et des pulsations cardiaques…
Eléments du cosmos, poussières d’étoiles, nous obéissons à des lois cosmiques qui nous mettent au diapason de la nature, de sa fragilité autant que de sa puissance. L’enseignement des saisons résonne avec ce que nous traversons aujourd’hui de façon criante. Ce temps de retrait que nous vivons tous depuis un an sera ce que nous en ferons. Je crois surtout qu’on ne se retire pas de la vie, qu’elle est présente à tout instant, à toute saison. On la porte sans cesse, elle avance, elle ne sait qu’avancer.
Comment faire quand nos saisons intérieures ne font pas écho à celles de la terre ? N’est-ce pas encore plus douloureux d’avoir, comme on dit, le cœur en hiver quand le printemps éclate ?
Etre ou ne pas être en phase avec la saison, avec l’autre, avec la vie. Voilà une grande question ! Comment s’harmoniser avec le temps qu’il fait en cas de décalage ? Une façon d’agir a fait ses preuves : se demander à quelle force de l’hiver, du printemps, de l’été ou de l’automne puis-je me connecter ? Chaque saison a ses lignes de crête singulières. S’y aboucher, c’est rejoindre plus grand que soi. La nature et moi ne sommes plus séparés, nous prenons la même direction.
« Les leçons de la nature valent bien des livres de psychologie »
Mais ma méthode entre toutes, c’est la beauté. Il y en a dans chaque période, chaque être, chaque situation car, derrière tout et tous, il y a de la vie. La beauté est pour moi une source inépuisable d’énergie en « basse saison » ! Je m’y connecte dès que je vais mal. Et même quand je vais bien ! Les saisons, si on sait les regarder, permettent de décoller du sol quel que soit notre état d’âme.
Vous dites que la langue de la nature nous est devenue étrangère. Comment la retrouver ?
La nature parle une langue qui devrait être notre langue maternelle. La création et les créatures peuvent-elles parler des langues incompatibles ? La langue de la nature est celle du grand oui à ce qui est, de l’abandon confiant. Elle sait que tout ce qui arrive, d’agréable ou de désagréable, vient de la vie et est au service du vivant. Nous ne comprenons presque plus cette langue. Nous savons ce qu’il nous reste à faire : consentir à ce qui est, comme l’arbre consent aux saisons.
En revanche, je ne sais pas si on peut et si on doit tout accepter. Il est surtout question d’un ajustement, d’un réajustement au réel. Ce qui est est. Nous ne pouvons pas agir sur tout, nous ne maîtrisons pas tout, et cela, oui, il faut l’accepter. Comme les agriculteurs qui travaillent sans savoir si leur travail portera du fruit, si la récolte ne sera pas anéantie par la sécheresse ou une nuit de grêle. Nous devrions faire de même, tout donner et accepter ce qui vient.
« L’enseignement des saisons résonne avec ce que nous traversons aujourd’hui de façon criante »
La nature nous apprend aussi à entrer dans le rythme de la répétition. En s’accordant aux pulsations des saisons et à leur ronde infinie, on touche au cœur du vivant. Tous les initiés le savent, on ne progresse qu’en répétant inlassablement les mêmes gestes, les mêmes mots, les mêmes postures. C’est une école de patience et d’humilité.
L’enlumineur, avant d’apprendre la géométrie sacrée et la fabrication des pigments, apprend à se centrer en cassant jour après jour des cailloux jusqu’à obtenir un rythme absolument régulier. Cela signe qu’il n’est plus dispersé mais un avec son geste. La répétition est la voie royale du chemin. De même, les orthodoxes répètent chaque jour la prière de Jésus. Un jour, leur cœur devient prière à force de pratique.
Vous dirigez chez Seuil une collection de livres qui aident à vivre. Vous êtes aussi l’autrice de plus de vingt titres d’épanouissement personnel. Votre engagement spirituel vous permet-il de mieux accepter les saisons de la vie ?
Une chose me donne des forces : je ne sépare rien, ni mon engagement spirituel ni ma vie professionnelle. Tout s’assemble. J’ai passé pendant plusieurs années quinze jours par mois dans un centre spirituel orthodoxe, et l’autre moitié du mois à Paris comme autrice et journaliste. C’était une sorte de grand écart. J’ai finalement réalisé que je n’avais pas deux vies comme je le croyais : à force de chercher, on peut parvenir à trouver une unité dans son existence. J’ai plusieurs visages, à moi de travailler à ce qu’ils soient tous authentiques.
« Ce qui nous fait mourir, ce n’est pas la mort, c’est de ne pas vivre »
Tout peut être vécu en harmonie. Les saisons de la vie m’ont chahutée, comme tout le monde, et continueront à le faire, mais j’ai maintenant plus d’un repère pour rebrancher la prise de ma batterie quand elle est vide. Je vois notamment les saisons extérieures comme une métaphore de nos talents, à identifier et à mettre successivement en valeur. Ce sont des forces que la vie met à notre disposition.
Quels conseils donneriez-vous pour ce printemps qui commence, et qui est le temps de la renaissance ?
Aller vers la grande vie. Car ce qui nous fait mourir, ce n’est pas la mort, c’est de ne pas vivre. Vivre, c’est ne pas se dénigrer, se responsabiliser de toutes les choses sur lesquelles on peut agir, et surtout aimer mieux. Dans le printemps qui commence, nous pouvons voir la lumière à l’extérieur, admirer la lumière dans les visages que l’on croise et apporter notre lumière à tout et à tous.
« Nos saisons. Une métamorphose intérieure », d’Anne Ducrocq (Editions de La Martinière, 192 p., 25,90 €).
Autrice spécialisée dans le développement spirituel, Anne Ducrocqdirige notamment la collection des livres de poche « Points Vivre » chez Seuil. Elle a publié une vingtaine d’ouvrages dans diverses maisons d’édition (Albin Michel, Flammarion, Jouvence, Marabout…), dont Jardins spirituels (Gründ, 2018).