Arte propose, depuis le 10 avril, « Faire l’histoire », un rafraîchissant magazine imaginé par Patrick Boucheron, professeur au Collège de France, pour « démocratiser le champ historique ».

Propos recueillis par Mouna El Mokhtari

Patrick Boucheron dans le magazine « Faire l’histoire », pour le numéro consacré au costume-cravate, sur Arte. LES FILMS D’ICI

arte – samedi 17 avril à 18 h 15 – magazine

Dans « Faire l’histoire », des historiens racontent et analysent un objet, chaque semaine sur Arte. Samedi 17 avril, c’est « le suaire de Turin, une relique pour le XXe siècle ». Patrick Boucheron, historien et professeur au Collège de France, explique pour Le Monde l’importance « d’élargir le champ historique et de le démocratiser ».

Pourquoi aborder l’histoire par le prisme des objets ?

A la suite du succès de notre première série documentaire, « Quand l’histoire fait dates », Arte nous a demandé un magazine hebdomadaire. On a eu cette idée de l’objet, car ils ont tous une histoire, et c’est une matière infinie.

C’est une manière d’élargir le champ historique et de le démocratiser. Nous souhaitions parler du stérilet [sujet de la première émission, samedi 10 avril] et du suaire de Turin, de la redingote de Napoléon et du costume-cravate. C’est-à-dire de choses banales et de choses qui ne le sont pas.

Quel rapport entre la hache polie, le suaire de Turin et le parasol ?

Pour moi, l’histoire est comme une gymnastique de l’inquiétude. Elle rapproche l’étranger et dépayse le familier : ce qui nous paraît évident ne l’est pas et ce qui nous paraît compliqué l’est moins qu’on ne le pense.

Le titre de l’émission est clair, nous tous, citoyennes et citoyens, faisons l’histoire, si elle ne se limite pas aux princesses et aux châteaux. Une histoire savante parce que des gens de métier parlent, mais populaire parce qu’ils parlent de tout.

Prenez les deux pilotes de l’émission [qui seront diffusés en septembre] : le premier concerne le buste de Néfertiti, découvert en Egypte en 1912 par une équipe allemande, on est là dans l’objet fétiche ; le deuxième parle de la brique, objet banal, matériau pauvre, mais dont les architectes s’emparent aujourd’hui. Tout est bon pour l’histoire.

Vous mettez des professionnels face caméra…

Quand quelqu’un commence à parler d’histoire à la télévision, on lui demande souvent de continuer – c’est d’ailleurs mon cas. On nous présente souvent comme populaire une histoire qui l’est assez peu. Ce sont toujours les mêmes [qui en parlent] et elle parle toujours de la même chose. Une pente inévitable amène à la monopolisation de la parole. Je voulais l’éviter.

Il s’agit ici au contraire de faire entendre un collectif d’historiens et d’historiennes, plutôt jeunes, à stricte parité. Et on compte proposer, quand les conditions de circulation le permettront, d’autres langues. Rendre visible au plus grand nombre le travail des historiens.

Y a-t-il de la place pour la subjectivité en histoire ?

Cent fois oui. C’est une science, elle doute. Et elle ne s’affaiblit pas en montrant que le doute est son moteur. J’espère que cela redonne confiance dans cette discipline et dans la capacité de la télévision à rééduquer l’œil à une certaine complexité.

Il faut pouvoir le dire, face au règne de l’opinion : tous les discours sur le passé sont légitimes, mais ceux qui résultent d’un travail historique n’ont pas le même régime de vérité. Quand les historiens de la commission Duclert [sur le génocide au Rwanda en 1994] sortent leur rapport de mille pages, fruit de plusieurs années de travail, la vérité historique qui y est contenue n’est pas symétrisée par l’opinion d’un chroniqueur, qui dirait : « Ben non, moi je ne pense pas… » Si les historiens revendiquent un régime de vérité, ce n’est pas parce qu’ils « sont » historiens, c’est parce qu’ils font ce qu’ils font. C’est un travail.

Y a-t-il un épisode en particulier qui vous a marqué ?

Celui sur le miroir, raconté par Philippe Artières, historien des écritures ordinaires. Il y décrit le rapport qu’il y a entre cet objet et la conscience de soi. Il pose un regard sur cet objet et je crois que chacun comprend que c’est le sien, que le sens qu’il donne n’est pas le seul possible. C’est très subjectif.

« Le suaire de Turin, une relique pour le XXe siècle », présenté par Patrick Boucheron et réalisé par Jean-Dominique Ferrucci (France, 2020, 18 min). Dans le cadre de l’émission « Faire l’histoire ». Disponible en replay sur Arte.tv jusqu’au 15 juin.

Mouna El Mokhtari

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