Une Martinique au cœur des enjeux européens
Lors de la rencontre entre les présidents des Régions ultrapériphériques (RUP) et les députés européens, Serge Letchimy, président de la Collectivité Territoriale de Martinique (CTM), a plaidé pour une réforme structurelle des politiques européennes envers les RUP, il a dénoncé les limites des modèles économiques actuels et proposé sa vision pour l’émancipation économique et écologique de ces territoires. Entre critique des monocultures, appel à une autonomie financière accrue, et mise en avant du rôle stratégique des RUP, son message est clair :
“…les régions ultrapériphériques doivent devenir des centres d’innovation et non de simples périphéries.”
Les RUP : des territoires stratégiques sous-exploités
Serge Letchimy a commencé par rappeler le poids stratégique des RUP pour la France et l’Union européenne. Avec 97 % des surfaces maritimes françaises et 80 % de la biodiversité européenne, ces territoires représentent des richesses inestimables. Pourtant, il a souligné le paradoxe : « Comment pouvons-nous être spectateurs de nos propres richesses ? » Ces régions, bien qu’au centre de flux mondiaux, sont victimes de politiques centralisées qui ne prennent pas en compte leur rôle géostratégique, écologique et économique.
Il a insisté sur l’importance des RUP en matière de politique écologique. Acteurs majeurs des puits de carbone et dotés d’écosystèmes uniques, ils devraient être au cœur des politiques européennes de développement durable. Cependant, ces atouts sont souvent relégués au second plan, au profit d’un modèle économique qui maintient les RUP dans une dépendance structurelle vis-à-vis de l’Europe continentale. Monsieur Letchimy a dénoncé cette situation comme un frein à l’émancipation des territoires, évoquant une « géographie cordiale » qui devrait permettre de valoriser leur proximité régionale, au lieu de les isoler.
Un modèle économique à réinventer : diversification et autonomie
Le président de la CTM a dressé un constat sévère sur le modèle économique des RUP, particulièrement celui de la Martinique. Il a mis en lumière les inégalités sociales criantes, avec 76 000 Martiniquais vivant sous le seuil de pauvreté et 35 000 bénéficiaires du RSA. Paradoxalement, la Martinique affiche l’un des PIB les plus élevés de la Caraïbe. Cette contradiction, selon lui, est le fruit d’une économie dominée par des monocultures – la banane et le rhum – qui accaparent 85 % des fonds du programme POSEI. Il a dénoncé cette concentration comme un obstacle majeur à l’autonomie alimentaire et à la diversification agricole.
« À quel moment je peux manger mon propre igname, mon fruit à pain, mes patates douces ? »
a-t-il lancé.
Pour lui, une réforme profonde du POSEI est indispensable, avec une décentralisation de sa gestion, pour permettre aux RUP de définir elles-mêmes leurs priorités agricoles. Il a également plaidé pour une adoption généralisée de modèles agricoles modernes et durables, comme l’agroécologie, afin de rompre avec les mécanismes hérités de la colonisation.
Autonomie financière et intégration régionale : des priorités pour l’avenir
Serge Letchimy a également mis en avant la nécessité d’une autonomie financière et fiscale accrue pour les RUP. Il a souligné l’importance des zones franches de grande ampleur pour stimuler l’investissement et réduire la dépendance aux fonds européens. Ces mesures, selon lui, permettraient de libérer les RUP des contraintes imposées par des normes parfois inadaptées à leurs réalités.
Un autre point central de son discours a été l’intégration régionale. La Martinique s’apprête à intégrer le marché commun de la CARICOM, une première pour un territoire d’Outre-mer. Cette double appartenance – au marché européen et caribéen – constitue une opportunité historique de développer des synergies économiques et de renforcer la position stratégique de la Martinique comme pont entre l’Europe et les Amériques. Il a toutefois insisté sur la nécessité d’un « plan d’équivalence des normes » pour faciliter les échanges commerciaux avec les pays voisins.
Vers une révolution démocratique et économique
Le président de la CTM a conclu son discours en appelant à une véritable révolution démocratique et économique pour les RUP. Il a dénoncé les « chaînes de la colonisation et de l’esclavage » qui continuent de structurer les mécanismes de production et de gouvernance.
Pour lui, il est impératif de déconstruire les lois et les modèles économiques inadaptés pour laisser place à une nouvelle forme de démocratie économique. Cette transformation passe par une domiciliation des fonds européens, comme le FEDER ou le FSE+, directement dans les territoires concernés.
Enfin, Serge Letchimy a lancé un appel à l’Union européenne et à la France :
« Nous ne devons pas être une périphérie quelconque, mais un des centres particuliers de l’Europe et du monde. »
À travers cela, il aspire à faire des RUP des acteurs centraux du développement économique et écologique, capables de tracer leur propre voie.