par Thomas Legrand

Et maintenant… Christiane Taubira

Mais pourquoi donc l’ancienne ministre de la justice envisage-t-elle de se lancer ? Cette présidentielle est, en réalité, le siège de deux compétitions distinctes. Ce n’est ni formulé, ni vécu comme tel par ses protagonistes, mais il y a bien deux batailles parallèles, deux compétitions connexes. La 1ère, basique : pour l’’Elysée. Qui sera le prochain Président ? La 2nde se sert de la présidentielle, mais, au fond, l’Elysée n’est pas le sujet. Cette bataille est culturelle.  Bataille sur la façon de voir le monde. Ça va plus loin que le classique clivage gauche/droite. Nous revenons, contre toute attente, en 2021 (2022), à une vieille querelle que l’on croyait réglée et qui ressurgit à la faveur d’interrogations existentielles sur la pérennité de la France dans la mondialisation, à un moment trouble où l’on sent bien qu’aucune des grandes solutions à nos grands problèmes ne se réglera au niveau national. Autrement dit, sommes-nous toujours maître de notre destin et que faut-il faire, qui faut-il être (se demandent Eric Zemmour et peut-être Christiane Taubira) pour retrouver les manettes ? L’irruption d’Éric Zemmour est une réponse. Une vieille réponse sortie des greniers du pays : la France éternelle, la France des cathédrales, mêlée curieusement à celle des années 50, la France du roman national (forcément plus beau que la réalité), la France de la jeunesse des électeurs (c’est-à-dire des quinquas aux septuagénaires)… Une nostalgie. Une France blanche, catholique, hétérosexuelle, industrielle, socialement ordonnée comme quand on était petit et que l’avenir était beau (puisqu’on était petit et qu’il n’y avait ni chômage ni réchauffement). Éric Zemmour c’est cette vision, ce fantasme. Il fallait qu’une image inversée apparaisse.  

Et c’est Christiane Taubira ?  

Il y a quelques semaines Christiane Taubira nous confiait qu’elle ne voulait pas se présenter, prendre le risque d’être qualifiée au 2nd tour et possiblement rester dans l’histoire (vu l’état de l’opinion) comme celle qui aurait permis à Marine le Pen de devenir Présidente. La situation a changé : l’apparition d’Éric Zemmour rebat les cartes, divise l’extrême-droite Emmanuel Macron (pour l’instant du moins) n’est pas menacé d’être éliminé au 1er tour. Et si Christiane Taubira ne voulait pas prendre le risque de concourir dans la compétition pour l’Elysée (pour les raisons que je viens de rappeler), pourquoi ne pas relever le gant, en revanche,  de l’autre compétition : la bataille culturelle ? Pourquoi ne pas proposer un autre récit, républicain, fraternel, métissé, universaliste à opposer à l’identitarisme dépressif et sombre d’Éric Zemmour ? Ils ne l’avoueront jamais, ils ne se le formulent sans doute pas mais pour la gauche (candidats ou électeurs), il ne s’agirait déjà plus de gagner l’élection et d’accéder à l’Elysée en 2022 mais bien d’apporter une contradiction plus franche et claire à la vision du monde proposée par Zemmour et Le Pen et leurs puissants relais. En Janvier, si Christiane Taubira confirme sa candidature, il y aurait une campagne pour l’Elysée caractérisée par le duel Macron/Pécresse, et la campagne pour la prédominance culturelle qui occuperait nos colonnes et nos écrans, caractérisée par le duel Taubira/Zemmour. Les cercles de la raison et de la passion, séparés en deux campagnes pour une seule élection, en quelque sorte. 

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