Après les rivages niçois, c’est à Beaulieu-sur-Mer que Laurent Cypria poursuit son itinéraire sensible sur la Côte d’Azur. Dans cette nouvelle escale, il ne s’agit ni de tourisme ni de reportage : c’est une immersion, une lente traversée de l’âme d’un lieu qui refuse le spectaculaire pour mieux s’offrir en douceur. Avec son style évocateur et poétique, l’auteur nous livre ici une méditation sur la beauté tranquille, l’élégance discrète, la mémoire qui affleure. Beaulieu n’est pas seulement un décor — c’est une respiration. Et peut-être un miroir de soi.
Beaulieu-sur-Mer, la splendeur tranquille
Je suis arrivé à Beaulieu-sur-Mer un après-midi de lumière cristalline, quand le soleil semble vouloir s’asseoir un moment pour contempler son œuvre de son regard perçant. Rien ne clignote ici. Rien ne déborde. La mer elle-même semble hésiter entre l’immobilité et le soupir. C’est une ville-papier de riz, fine, presque effacée, mais dont la douceur vous enveloppe comme un linge de lin sur une peau brûlée.
Beaulieu ne cherche pourtant pas à éblouir. Elle vous accueille sans vanité, sans cette fièvre du paraître qu’on sent dans les villes voisines. Elle se tient là, comme une vieille dame vêtue de soie qui a cessé de séduire mais continue de rayonner. Ici, le luxe n’est pas une proclamation, mais une respiration. Les façades, bien que patriciennes, gardent une retenue d’ambre; elles ne crient rien, elles savent.
Sous les palmiers du port, j’ai vu des couples âgés tenir leurs mains avec lenteur, comme s’ils remplissaient l’un la coupe de l’autre. J’ai entendu des silences qui parlaient plus fort que toute l’éloquence de la Côte. Les bateaux, eux, ne claquent pas. Ils somnolent. Même les voiles ont l’air de méditer.
J’ai longé la Baie des Fourmis comme on suit une ligne de vie. À gauche, la mer, soyeuse, presque diaphane; à droite, des jardins d’agrumes au parfum contenu, civilisé. Et partout, ce calme noble, cette élégance ancienne qui ne se démode pas. C’est la splendeur tranquille : celle qui ne demande pas à être vue, mais à être reconnue.
Une femme brune, coiffée d’un turban écarlate, vendait des paniers tressés à l’ombre d’un eucalyptus. Elle m’a souri comme on sourit à un frère qu’on n’a pas revu depuis longtemps. Elle m’a dit : « Ici, y’a rien de bruyant. Mais tout est là. » Et elle avait raison. Beaulieu ne se donne pas, elle s’installe en vous, doucement, comme un baume.
Dans une ruelle discrète, j’ai découvert un bougainvillier furieux de beauté, jaillissant d’un mur trop blanc. C’était une révolte silencieuse, un cri de fleur dans l’ordre minéral. Là, j’ai senti que Beaulieu, sous ses manières feutrées, cache une force tranquille, presque spirituelle.
La lumière tombait en éventail sur la mer quand je me suis assis près du cap Ferrat. J’ai fermé les yeux. Je n’ai pas rêvé, je me suis souvenu. D’un rivage lointain, des rires sur la terrasse ensablée, de Rex, la chiennede mon père aboyant pour rien. Et Beaulieu, sans rien dire, m’a offert cela : la mémoire rendue à la tendresse.
On repart de Beaulieu-sur-Mer comme d’un temple où l’on n’a pas prié, mais où quelque chose, en soi, a fléchi. Un lieu qui n’exige rien, mais donne tout.