Alors que le gouvernement de François Bayrou s’apprête à dévoiler les contours d’un budget 2026 placé sous le signe d’une austérité inavouée, les territoires d’outre-mer, et particulièrement la Guadeloupe et la Martinique, s’inquiètent de devenir les variables d’ajustement d’un plan d’économies sans précédent. Confronté à un déficit public abyssal, culminant à près de 6 % du PIB, et à une dette qui flirte avec les 3 300 milliards d’euros, l’exécutif n’a d’autre choix, selon ses propres termes, que d’engager un « Himalaya budgétaire » : 40 milliards d’euros d’économies à réaliser en une année, sans recourir à une hausse généralisée des impôts.
Pour parvenir à cet objectif, Matignon a imposé à l’ensemble des ministères une méthode dite « à base zéro », exigeant que chaque euro dépensé soit désormais justifié. Cette rigueur, inédite dans l’histoire budgétaire récente, s’accompagne d’une volonté affichée de transparence et d’un discours de vérité censé préparer l’opinion à des choix douloureux. Un comité d’alerte budgétaire a été mis en place dès le printemps, réunissant élus et partenaires sociaux, afin d’anticiper les résistances et de désamorcer les mécontentements.
Le plan du gouvernement repose sur quatre piliers.
Le premier vise la réduction des dépenses de l’État, avec un gel des budgets hors Défense, le non-remplacement de certains départs à la retraite, l’allongement du délai de carence pour les arrêts maladie dans la fonction publique, et le gel du point d’indice. S’y ajoute une réforme des agences publiques, dont un tiers pourrait être supprimé ou fusionné, pour un gain espéré de 14 milliards d’euros. Le deuxième pilier concerne les collectivités territoriales, qui devront faire face à une « année blanche » : le gel des dotations de l’État, équivalant à une baisse en volume de 8 milliards d’euros, les contraindra à mutualiser leurs services et à rationaliser leurs dépenses. Le troisième levier porte sur les dépenses sociales, avec un ralentissement de la progression de l’ONDAM, la promotion de la chirurgie ambulatoire, la responsabilisation des patients et la révision des modalités d’indexation des retraites et prestations sociales. Enfin, le gouvernement entend préserver la stabilité fiscale, tout en explorant des pistes ciblées telles que la reconduction de la contribution exceptionnelle sur les très hauts revenus, la réduction de certaines niches fiscales et une fiscalité écologique renforcée.
Pour la Guadeloupe et la Martinique, ces annonces se traduisent par une pression immédiate sur des services publics déjà exsangues.
Comment entretenir les réseaux routiers, rénover les écoles ou maintenir l’éclairage public lorsque les dotations se figent et que l’État se désengage ? Dans ces territoires marqués par une pauvreté structurelle, un chômage endémique et des infrastructures vieillissantes, l’assèchement des finances locales risque d’alimenter une grogne diffuse, mais profonde, sur l’insuffisance de la commande publique et la dégradation des conditions de vie.
Le raisonnement gouvernemental, qui consiste à demander aux collectivités de « faire leur part » sans leur transférer de moyens supplémentaires, dissimule mal une logique de recentralisation rampante.
Derrière les discours technocratiques sur la « mutualisation des services » ou la « responsabilisation des dépenses sociales », c’est une réalité politique qui s’impose : les collectivités ultramarines, maintenues dans une dépendance financière quasi absolue, sont sommées d’assumer une charge budgétaire que l’État refuse de porter. Ce choix, qui épargne la fiscalité nationale et mise sur une croissance encore hypothétique, expose les territoires à un double risque. D’une part, les élus locaux pourraient être contraints d’augmenter la fiscalité locale, au risque de provoquer la colère de populations déjà précaires. D’autre part, la réduction drastique des prestations et des services publics accentuerait le sentiment d’abandon et de rupture du pacte républicain.
En Guadeloupe, où le tissu associatif supplée souvent les défaillances institutionnelles, chaque coupe budgétaire menace directement la cohésion sociale.
Loin d’une rationalisation douce, c’est une cure d’austérité imposée qui se profile, sans marge de manœuvre locale. Le dialogue entre l’État et les territoires prend alors la forme d’un monologue autoritaire, où les décisions tombent d’en haut sans considération pour les spécificités locales.
L’enjeu dépasse le débat technique sur les finances publiques. Il s’agit désormais de savoir si les collectivités d’outre-mer pourront encore jouer leur rôle de relais de la République, ou si elles seront réduites à de simples guichets en faillite, incapables de répondre aux attentes de leurs populations. En traitant la Guadeloupe et la Martinique comme de simples lignes budgétaires, l’État prend le risque de rompre un pacte déjà fragilisé avec ses périphéries. Si la rigueur doit s’appliquer, elle doit être juste, équilibrée et concertée. Faute de quoi, ce ne sont pas seulement les chiffres qui seront en rouge, mais aussi la paix sociale et la confiance institutionnelle.
Jean-Marie Nol économiste