Les antibiotiques ont sauvé des millions de vies depuis les années 1940. En effet, ils restent toujours l’une des armes les plus efficaces contre les infections bactériennes malgré le phénomène d’antibiorésistance qui accompagne leur trop grand usage. Craint par les médecins du monde entier, ce dernier n’est pourtant pas seul à poser problème.
Publié sur www.presse-citron.net – Par Camille Coirault
À force d’être convoqués au moindre symptôme (toux, fièvre, etc.), ils amoindrissent une frontière en la floutant : celle qui sépare l’urgence clinique de l’usage routinier. Ce flou, une équipe de chercheurs de l’Université Rutgers (New Brunswick, New Jersey) a choisi de le questionner à l’échelle d’une génération. Leur étude, publiée le 16 avril dans la revue Journal of Infectious Diseases, a exploré les conséquences de l’administration précoce d’antibiotiques ; avant deux ans ; sur la santé des enfants. Leurs conclusions indiquent que nous gagnerions sérieusement à redoubler de vigilance sur le sujet.
Plus d’antibiotiques, plus d’asthme
Le coeur de l’étude repose sur l’analyse épidémiologique de 1,06 million d’enfants suivis dès leur naissance au Royaume-Uni, dont les traitements antibiotiques et les diagnostics ultérieurs ont été systématiquement croisés. Les chercheurs y ont observé une corrélation nette entre l’exposition précoce aux antibiotiques et l’apparition plus fréquente d’asthme, de rhinite allergique, et d’allergies alimentaires.
Des résultats déjà robustes en raison de la taille de l’échantillon, mais également par la méthodologie utilisée par les chercheurs. Ceux-ci ont comparé les données entre frères et sœurs ; un protocole qui permet d’atténuer les biais liés à l’environnement familial ou à la génétique. Grâce à cette analyse intra-familiale, l’équipe a mis au jour une relation proportionnelle : plus un enfant a reçu d’antibiotiques tôt, plus le risque de développer ces pathologies augmente.
C’est ce qu’on appelle un effet dose-réponse : il se manifeste lorsqu’un changement dans l’ampleur de l’exposition (la « dose » d’antibiotiques reçue, dans ce cas) est associé à un changement graduel dans la probabilité ou la sévérité d’un effet (ici, la « réponse », soit le risque accru de développer les pathologies en question).
Autre constat, tout aussi préoccupant : une possible association entre l’usage précoce d’antibiotiques et des formes de handicaps intellectuels. En revanche, aucune corrélation n’a été établie avec d’autres pathologies testées, comme le trouble du spectre autistique, la maladie cœliaque (intolérance au gluten), le diabète de type 1 ou l’anxiété.
Ce que la prescription efface avec ce qu’elle soigne
Une hypothèse traverse l’étude : celle du microbiome abîmé. Chez les jeunes enfants, la flore intestinale ; communauté bactérienne qui participe au développement immunitaire ; est encore en construction. Or, de nombreux antibiotiques pédiatriques sont dits « à large spectre ». Ils éliminent les agents infectieux, mais aussi les bactéries bénéfiques participant à la consolidation de la flore. Ce nettoyage aveugle déséquilibrerait ainsi le microbiome de l’enfant, ce qui pourrait provoquer plus tard des dérèglements immunitaires durables.
Ces effets ne sont pas nouveaux, mais l’étude de Rutgers les relie à un autre phénomène bien documenté : la surprescription. Une recherche antérieure citée par les auteurs révèle que dans les hôpitaux américains, un enfant sur quatre recevant des antibiotiques n’en avait probablement pas besoin. Le Dr Daniel Horton, pédiatre et co-auteur de l’étude, résume en ces mots : « Les antibiotiques sont importants et parfois vitaux, mais toutes les infections chez les jeunes enfants ne justifient pas leur usage ».
L’étude en question ne disqualifie en rien la prescription d’antibiotiques, mais lui redonne un aspect négligé : sa potentielle gravité. C’est une posture de désescalade médicale : ni alarmiste, ni laxiste. Prescrire un traitement puissant à un enfant de quelques mois n’est pas une formalité, mais un acte engageant dont les effets peuvent se loger dans la durée en dehors de la stricte guérison. C’est d’ailleurs l’un des enjeux éthiques de la médecine pédiatrique, qui ne doit pas se contenter du diktat du résultat immédiat ; elle doit également anticiper les conséquences différées. Les auteurs n’appellent donc pas à priver, mais à discerner et surtout d’apprendre à faire la part entre l’urgence réelle et la réponse médicamenteuse dictée par l’habitude clinique.