Il y a plus de 1500 ans, en Martinique et dans les autres îles de la Caraïbe, le peuple saladoïde gravait son art dans la pierre. Malgré le temps et les vagues de colonisation, quelques-uns de ces sites ont su traverser les époques. Aujourd’hui, en Martinique, trois sont recensés. Focus sur cet art que les spécialistes peinent encore à interpréter.
Qui a la fibre d’un Indiana Jones, un vaillant archéologue à la poursuite de trésors millénaires ? Qui se sent l’âme d’un Jean-François Champollion, déchiffreur de hiéroglyphes ? En Martinique, les deux sont possibles. En effet, l’île recèle un trésor méconnu : ses roches gravées. Des pierres gravées dont la signification échappe aujourd’hui encore aux scientifiques. Certains sites de roches gravées sont encore à découvrir.
En Martinique, qui dit roches gravées, dit Montravail, à Sainte-Luce. Le site connu pour sa forêt dans laquelle le visiteur peut gambader recèle aussi un trésor archéologique, des roches gravées par le peuple saladoïde entre 350 et 700 de notre ère. Elles sont étudiées depuis 1970, l’année où les roches gravées ont été officiellement mises au jour. Les roches de Montravail sont inscrites au titre des Monuments historiques. Depuis, la commune de Sainte-Luce a fait l’acquisition du terrain. Un projet est dans les cartons.
« L’idée, c’est d’en faire un parc archéologique qui serait ouvert aux visiteurs »,
précise Sebastien Perrot-Minot, archéologue et spécialiste des roches gravées.
Deux ambiances : abstrait ou réalisme
Si pour la plupart, Montravail est associé aux roches gravées, il existe un autre site arborant des roches gravées. Il se trouve à Trinité tout près de l’usine sucrière du Galion, inscrit depuis peu au Monument historique. Les roches sont situées entre l’exploitation agricole du Galion et le bord de la forêt lacustre. Autre site, autre style. « Les roches gravées de Montravail montrent des visages schématiques tandis que celles de Trinité représentent un style essentiellement abstrait », explique Sébastien Perrot-Minot. Difficile de se rendre compte de visu, les roches du Galion sont difficilement accessibles. « Le style n’est pas du tout le même », juge Sébastien Perrot Minot. Dans un cas comme dans l’autre, il y a un ensemble de roches gravées. Là où Montravail se distingue par des visages très simplifiés, le site du Galion arbore des formes abstraites. L’archéologue fait remarquer qu’un même symbole se retrouve sur les deux sites. Il s’agit d’un visage qui présente une bouche en forme de trident. « On ne le voit sur aucun autre site d’art rupestre des Antilles. C’est une preuve que ces deux sites, Montravail et le Galion sont liés», souligne l’archéologue. Deux sites mais la même ambiance. Même époque, même civilisation.
Elles sont officiellement trois. Peut-être quatre. Seulement voilà, la localisation du quatrième site reste un mystère. Pour preuve d’existence, une vieille photo sépia publiée dans un livre de 1929. Difficile d’en évaluer la taille ou l’endroit où a été pris le cliché. Selon les recherches de Sébastien Perrot-Minot, la roche « secrète » devrait se trouver à Sainte-Anne, du côté de la Savane des pétrifications.
Un art expressif encore sibyllin
Malgré les études poussées sur les roches gravées le mystère entourant la signification de cet art rupestre reste entier. « Il n’y a pas de tradition amérindienne relative à cet art rupestre qui est venues jusqu’à nous », regrette Sébastien Perrot-Minot. Ce dernier explique qu’à l’arrivée des premiers colons les sites étaient déjà abandonnés. La communauté scientifique avance prudemment des interprétations. « Le fait que ces sites soient à l’écart du village et des lieux de vie est déjà significatif. C’était des lieux retirés qui étaient très probablement liés à la religion. Ils devaient remplir une fonction rituelle. » Mystère également sur la fonction des dessins. Là encore, l’archéologue ne peut qu’avancer des hypothèses. « Nous ignorons ce que représentent les visages gravés, peut être les esprits des ancêtres. Ce que nous pouvons dire c’est que ces sites sont très probablement à vocation rituelle, religieuse et initiatique », suppute l’archéologue.
Des sites rupestres à découvrir
La Martinique n’est pas la seule à abriter des roches gravées. Elles sont présentes dans toutes les îles majeures de la Caraïbe. Entre Grenade et les Îles vierges, Sébastien Perrot Minot estime qu’il existe au moins une centaine de sites de roches gravées avec néanmoins des constantes. « Il y a des pétroglyphes qui sont bien répandus. C’est normal puisque cet art a été pratiqué très probablement le peuple saladoïde. Ce peuple allait d’île en île. »
La Martinique se distingue de ses voisines caribéennes par son faible nombre de sites. Trois seulement quand on en compte une trentaine en Guadeloupe et encore une dizaine à Sainte-Lucie. Dans le département, il peut y avoir des sites qui n’ont pas été répertoriés ou fait l’objet de reconnaissance approfondie, prévient Sébastien Perrot-Minot. « En Martinique, la situation est étonnante étant donné qu’ont été recensés plus d’une centaine de sites amérindiens mais très peu de sites d’art rupestre. »
Du pain béni pour les archéologues en herbe
Outre Montravail et le Galion, un troisième site existe. Il se situe dans une propriété privée dans un jardin au bord de la rivière à Jambette, Fort-de-France. « Presque tous les archéologues qui y sont allés ou ont vu les roches en photo, estiment qu’il s’agit d’art rupestre amérindien. Néanmoins, certains d’entre eux demeurent sceptiques quant à savoir s’il s’agit de gravure pré-colombienne », précise Sébastien Perrot-Minot. Il existerait un quatrième site de roches gravées. « On peut en voir une photo dans un livre consacré à la Martinique sorti dans les années 1920. » Sébastien Perrot Minot affirme que l’on peut voir dans ce livre des photos d’antiquités pré colombienne. « On y voit une roche qui semble être grande et gravée de motifs géométriques », remarque l’archéologue. Seulement, l’auteur du fameux livre de précise où a été prise la photo de la roche gravée. « J’ai émis l’hypothèse que cette relique pré-colombienne se trouve à Sainte-Anne peut-être du côté de la savane des pétrifications », explique-t-il.
Une expérience en 3D pour des reliques vieilles de 1700 ans
Sauvegarder ce qui peut encore l’être et pour cela utiliser la technologie. C’est un peu le parcours des roches gravées, de la terre aux écrans d’ordinateur. Les roches figées maintenant pour l’éternité, les archéologues et les curieux auront tout le loisir d’inspecter les fameux écrits.
Afin de rendre accessibles les roches gravées à tous, les pétroglyphes ont été numérisés et reconstitués en 3 dimensions. Derrière cette initiative et au cordon de la bourse, la DAC (direction des affaires culturelles) et derrière le clavier, le martiniquais Georges-Emmanuel Arnaud qui maîtrise les jumeaux numériques. Il s’agit, avec les outils du numérique, de reproduire fidèlement un objet. Rien ne prédestinait Georges-Emmanuel Arnaud à l’archéologie. Le Martiniquais fait ses premiers pas professionnels dans la mode. Pendant quinze ans, il fait des retouches pour la haute couture. Ce qui ne l’empêche pas lors de son temps libre de s’essayer à d’autres technologies comme les jumeaux numériques. C’est cette compétence qui lui ouvre la porte des roches gravées de l’île. Très vite, il est happé par le mystère dégagé par les roches de Montravail aux inscriptions sibyllines. Pour ne pas que le fruit de son travail tombe dans des archives qui ne seront pas consultées, il met la reconstitution numérique des roches gravées gratuitement sur le site de son association. Le profil des roches sont disponibles sur le site Archéologie des Caraïbes. « J’ai voulu proposer un accès au plus grand nombre », explique Georges-Emmanuel Arnaud. Ce dernier se rendra dans des musées et des écoles pour faire des conférences et expliquer son travail sur les roches gravées. Pour avoir un résultat satisfaisant il aura fallu en amont nettoyer les roches « sinon on scanne de la mousse et du lichen. » La pluie s’est également invitée à la partie. « Il y a un micro climat à Montravail qui fait qu’il y a souvent des averses. » Deux semaines auront été nécessaires pour recréer les roches gravées.
Une expérience qui s’est avérée concluante pour le technicien de l’informatique. « Les outils numériques ont un rôle à jouer pour donner une nouvelle vie à certains patrimoines. »
Laurianne Nomel