Le 22 mai 2025, la ville de Saint-Pierre a rendu un bel hommage aux esclavisés affranchis de 1848. Une journée mémorielle ponctuée de prises de parole, d’émotion, d’art, de pédagogie et d’histoire partagée. Un mémorial est en gestation : il portera les 4 402 noms retrouvés de celles et ceux que la catastrophe de 1902 avait effacés des archives.
Dans les jardins de la Mairie, ce 22 mai 2025 n’était pas un jour comme les autres. C’était un rendez-vous avec l’histoire, une rencontre avec la mémoire, un acte de transmission intergénérationnel et collectif. Cette journée a vu converger élèves, artistes, élus, historiens, citoyens, représentants de l’État et descendants des anciens esclavisés, tous réunis autour d’un projet commun : rendre leur nom aux « nouveaux libres » de 1848.
Une mémoire ravivée, une mémoire reconstruite
C’est le maire de Saint-Pierre, Christian Rapha, qui ouvre la cérémonie avec des mots justes :
« Saint-Pierre est la matrice de notre histoire. C’est ici, après la révolte du 22 mai 1848, que le gouverneur Rostolan proclama l’abolition immédiate de l’esclavage. C’est ici que furent attribués pour la première fois des noms de famille à ceux qu’on n’appelait jusque-là que par un prénom ou un sobriquet. »
Mais en 1902, l’éruption de la Montagne Pelée a balayé les registres d’individualité. Ces noms ont disparu. Aujourd’hui, grâce au travail conjoint des associations CM98 et AMARISFA, 4 402 noms ont été retrouvés, après des années de recherches.
Ce sont ces noms-là que portera un mémorial, appelé à être inauguré à Saint-Pierre le 22 mai 2026, dans le jardin Louis Arnoul, en hommage au premier maire de la ville refondée après l’éruption.
Un mémorial conçu par les jeunes, pour l’avenir
Ce projet de mémorial est aussi un acte pédagogique et artistique fort, confié non pas à un cabinet de design, mais aux étudiants du lycée Victor Anicet. Sous la direction de leurs enseignants, Daniel Hierso et Valérie John, les élèves de première année de design espace et graphisme, ainsi que de CAP signalétique, ont conçu une œuvre profondément symbolique.
« Ce ne sera pas un monument aux morts, mais un espace dédié à la vie », explique Valérie John. « Un lieu de mémoire, mais aussi de rencontre, de jeu, de contemplation. Un lieu où l’on pourra s’asseoir, s’adosser, interroger l’histoire. »
La scénographie imaginée s’appuie sur la lumière et la typographie, de manière à ce que les noms projetés au sol évoluent au fil du jour et des saisons. Un passage de l’ombre à la lumière, au propre comme au figuré.
La parole aux jeunes : entre fierté et responsabilité
Pour les étudiants, ce projet va bien au-delà d’un simple exercice. C’est une immersion historique et civique, une prise de conscience.
« Le 22 mai, c’est une journée de liberté », explique l’un d’eux.
« Nous avons voulu que ce mémorial laisse une trace durable, qu’il redonne vie à des milliers de personnes oubliées. »
Leur engagement émeut jusqu’à la sénatrice Catherine Conconne, qui a salué avec force leur travail :
« Vous nous avez éblouis. Vous incarnez la relève. Et vous nous rappelez que nous devons tous tracer des sillons, planter des graines. »
L’histoire restaurée, le patrimoine partagé
Autre moment fort de cette journée : l’exposition photographique de Sylvain Demange, présentée en plein air dans les jardins de la mairie. Ce photographe passionné par la Martinique depuis 2003 a choisi de mêler portraits de descendants et paysages chargés d’histoire, dans un récit visuel poignant.
« Ces visages sont des passeurs de mémoire. Ils portent en eux l’Atlantique, les révoltes, les cicatrices et la transmission. »
Une démarche saluée par Bertrand Clerc, chef d’entreprise et mécène de l’exposition :
« Ce travail, c’est un hommage à nous, Martiniquais. Et la mairie de Saint-Pierre fait ici un travail remarquable de mise en lumière. »
Une mémoire à transmettre, une vigilance à maintenir
La sous-préfète Amélie de Sousa a souligné l’importance de cet engagement collectif :
« Ce sont des moments rares, d’une grande force émotionnelle. L’histoire, on la transmet dans les livres, mais aussi dans les symboles de l’espace public. »
Et de rappeler :
« Il faut que les jeunes sachent que l’humanité est capable du pire comme du meilleur. L’esclavage, ce n’est pas qu’un passé lointain : c’est une blessure, mais aussi une leçon. »
Un travail de mémoire en mouvement
Cette journée du 22 mai à Saint-Pierre n’était pas seulement une commémoration. C’était un acte de résistance par la mémoire, un appel à la lucidité, à la dignité, à la continuité historique.
Les 4 402 noms retrouvés ne sont plus oubliés. Ils entreront dans la lumière, dans un espace vivant, pensé par des jeunes Martiniquais pour toutes les générations.