Par Béatrice Parance, Professeur de droit de l’environnement à l’Université Paris VIII Vincennes – Saint-Denis
Le débat a fleuri au printemps : les aides délivrées aux entreprises par le Gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire sans précédent doivent-elles être conditionnées à des engagements en matière environnementale et sociale ? La réponse semble relever de l’évidence : bien entendu qu’un tel déploiement de deniers publics doit être mis en orbite avec les choix environnementaux et les impératifs sociaux ! Pourtant, comme à son habitude, le diable se cache dans les détails et à bien y réfléchir, les réponses sont plus subtiles.
« Chèque en blanc » aux entreprises ?
La question s’est posée dans un premier temps au regard des aides allouées par l’exécutif aux entreprises dans la période de confinement qui a paralysé l’économie. Qu’il s’agisse du chômage partiel ou du prêt garanti par l’État (PGE), pouvaient-ils être versés aux entreprises qui pratiquent l’optimisation fiscale (quel joli euphémisme !) et ne devaient-ils pas conduire à interdire aux entreprises de verser des dividendes à leurs actionnaires alors qu’elles profitaient de la manne publique ? Rien de tel a été exigé en dépit des déclarations publiques de notre ministre de l’Économie.
La question est revenue sur le devant de la scène avec une acuité plus forte au sujet du plan de relance de 100 milliards d’euros qui poursuit trois objectifs, accélérer la transition écologique, relancer l’emploi et rendre le pays plus compétitif. Sur ce dernier point, le Gouvernement a fait le choix de diminuer les impôts de production des entreprises, satisfaisant ainsi une vieille revendication du patronat. Mais l’opposition, certains syndicats et ONG s’insurgent face à l’absence de contreparties demandées aux entreprises qui reçoivent l’argent public. Selon le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, « on ne peut pas faire un chèque en blanc ! ». Est revenu en mémoire à cette occasion le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) lancé par François Hollande en 2013 pour lequel les entreprises s’étaient engagées à créer de nombreux emplois qui ne sont pas venus.
La seconde vague de l’épidémie complexifie la donne
Pourtant, les choses sont plus complexes à bien y réfléchir. D’une part, la seconde vague de l’épidémie fait douter du fait que la relance est d’actualité, c’est plutôt le règne de l’urgence qui s’impose. Ces questionnements résonnent d’ailleurs tant à l’échelle européenne que française. Ainsi, la Commission européenne s’interroge sur la structuration du plan de relance historique de 750 milliards d’euros adopté dans des conditions exceptionnelles face à l’intensité de cette deuxième vague : ce plan conçu pour accompagner les États dans une phase de reprise est-il adapté à une situation de très forte récession économique ? Néanmoins, les conditions de son adoption ont été si laborieuses qu’il apparaît difficile de soulever des interrogations qui pourraient remettre en cause l’équilibre précaire obtenu après tant de luttes. De la même manière, le Gouvernement français introduit en dernière minute au sein du plan de relance des dispositions afin de venir en aide aux plus vulnérables et de continuer à soutenir les entreprises face au nouveau confinement, éléments qui relèvent plus sûrement de la gestion de la crise que de la relance.
D’autre part, le mécanisme même de la conditionnalité apparaît bien difficile à instaurer. Il supposerait que soient dessinés les contours de la stratégie industrielle propice à la transition écologique voulue par la France. Or, si de nombreux rapports, tel celui du Haut Conseil pour le Climat, ont prôné les voies que devrait prendre la transition écologique, il est beaucoup plus difficile ensuite de la décliner secteur par secteur, territoire par territoire et finalement entreprise par entreprise.
Des contreparties incitatives plus qu’obligatoires
C’est dire si le mécanisme de conditionnalité adopté en définitive par la majorité apparaît tout juste satisfaisant. Ne pouvant renoncer à toute conditionnalité, ce qui apparaissait trop injuste, les députés de la majorité ont porté un amendement qui demande aux entreprises quelques informations sur leurs engagements. Ainsi, les entreprises de plus de 250 salariés devront produire un bilan d’émissions de gaz à effet de serre qui sera un rapport simplifié sur leur empreinte carbone pour celles dont l’effectif est compris entre 50 et 250 salariés. Le but annoncé est de produire une photographie à un instant T dans le but d’accompagner celles qui ont le plus besoin de s’améliorer. En outre, elles devront aussi publier un index de l’égalité professionnelle femmes-hommes autour de 5 critères, et consulter leur comité social et économique sur le montant, la nature et l’utilisation des aides obtenues. Ces attentes n’ont qu’une vocation incitative et non coercitive et ne pourront donner lieu à des sanctions, ce qui a conduit le député Mathieu Orphelin à le qualifier « d’amendement Canada dry »! Le vote définitif du budget vers la mi-novembre permettra de savoir si ces dispositions vont être renforcées ou conservées en l’état. Quoiqu’il en soit, il s’agit d’interrogations bien complexes dont la légitimité n’écarte pas les difficultés de mise en œuvre concrète.