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Une étude de Santé publique France révèle que les niveaux d’imprégnation progressent et dépassent ceux observés dans la plupart des pays européens et d’Amérique du Nord.
La consommation de céréales au petit-déjeuner est une des causes de la surimprégnation de cadmium chez les enfants en France.
Arsenic, cadmium, chrome, cuivre, mercure, nickel… Une liste impressionnante de métaux lourds aux multiples effets néfastes sur la santé est présente dans l’organisme de l’ensemble de la population française, y compris les enfants. Et à des niveaux qui progressent et dépassent souvent ceux observés chez nos voisins européens et en Amérique du Nord.
Ce tableau inquiétant est issu de la grande enquête épidémiologique Esteban (Etude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition), pilotée depuis plusieurs années par Santé publique France (SpF). Les résultats ont été publiés jeudi 1er juillet, après un volet centré sur le plomb en 2020 et les polluants dits « du quotidien » en 2019. C’est, en outre, la première fois qu’une étude permet de mesurer à l’échelle du pays le niveau d’exposition des enfants à ces métaux. La précédente, l’étude nationale nutrition santé (ENNS), réalisée entre 2006 et 2007, ne concernait que des adultes.
Les travaux ont été menés entre avril 2014 et mars 2016 sur un large échantillon (1 104 enfants et 2 503 adultes âgées de 6 à 74 ans), représentatif de la population française. Ils s’appuient sur des prélèvements biologiques (urines, sang et cheveux) et un questionnaire sur les habitudes de vie ou alimentaires. Leur analyse croisée a permis de quantifier la présence de ces métaux dans la population et de mieux connaître les sources d’exposition.
Santé publique France rappelle que ces métaux ne sont pas anodins : ils peuvent être à l’origine de l’apparition de maladies chroniques (avec des effets osseux, rénaux, cardiovasculaires ou encore neurotoxiques), de déficience immunitaire ou encore de cancers.
Le cadmium, toxique cumulatif
Les principaux résultats montrent que la contamination est généralisée, en augmentation et supérieure aux autres pays. L’exposition de la population à ces métaux concerne « l’ensemble des participants adultes et enfants » : plus de 97 % à 100 % de détection selon les substances. Pour le mercure et le nickel, les niveaux de concentration mesurés chez les adultes sont équivalents à ceux retrouvés dans l’étude ENNS de 2006-2007.
Ils sont en revanche en augmentation pour l’arsenic, le cadmium et le chrome. Avec des dépassements des valeurs guides sanitaires pour l’arsenic et le cadmium, également constatés pour le mercure (et le plomb dans l’étude de 2020). Pour le cadmium, près de la moitié de la population adulte française présente des niveaux supérieurs à la valeur recommandée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses).
Le cas du cadmium est aussi emblématique que problématique. Il est classé cancérogène pour l’homme depuis 2012 par le Centre international de recherche sur le cancer, et mutagène et toxique pour la reproduction selon la réglementation européenne. C’est un toxique cumulatif : le risque d’apparition d’effets délétères est lié à la dose qui s’accumule dans l’organisme dans le temps. Il a des effets toxiques sur les reins, le squelette, l’appareil respiratoire, et est fortement suspecté d’être un perturbateur endocrinien.
A l’instar des autres métaux, on le retrouve dans l’environnement (sols, air, eaux) du fait de sa présence dans la croûte terrestre. Mais les sources de pollution sont également d’origine anthropiques, liées aux activités industrielles et surtout agricoles. Le cadmium est en effet contenu dans les roches phosphatées utilisées pour fabriquer des engrais. Et la France est l’un des principaux consommateurs d’engrais phosphatés. Au point que leur utilisation est devenue la principale cause de contamination des sols au cadmium, et donc de l’alimentation, qui représente 90 % de l’exposition à cette substance pour les non-fumeurs.
Les « céréales au petit-déjeuner » en cause
Depuis plus de dix ans, les agences sanitaires alertent sur la nécessité de réduire son exposition. En 2009, l’Autorité européenne de sécurité des aliments a fixé un niveau hebdomadaire d’ingestion – 2,5 microgrammes/kg – à ne pas dépasser. Convaincue qu’il présente « un risque inacceptable pour l’homme et l’environnement », la Commission européenne a décidé de durcir sa réglementation en introduisant une limite pour la teneur en cadmium des engrais phosphatés. Passée de 60 milligrammes (mg)/kg en 2018 à 40 mg/kg cette année, elle doit encore être réduite de moitié d’ici à 2030.
Jusqu’ici, aucune étude n’avait mesuré le cadmium chez les enfants, hormis dans certaines situations locales de sites et sols pollués. SpF révèle que c’est « la consommation de céréales au petit-déjeuner » qui augmente les niveaux d’imprégnation chez les enfants. Chez les adultes, les niveaux sont plus élevés par rapport à ceux de 2006-2007. « Les hypothèses sont en cours d’évaluation, précise Clémence Fillol, responsable de l’unité surveillance des expositions à SpF. Mais l’explication pourrait être liée à l’augmentation des concentrations dans les sols et notamment agricoles par l’apport d’engrais minéraux phosphatés et fertilisants riches en cadmium et à l’augmentation des concentrations dans l’alimentation. »
SpF relève en outre une « surimprégnation » au cadmium de la population en France par rapport aux autres pays européens et nord-américains. C’est un autre enseignement de l’étude Esteban : la France se distingue des autres pays. A l’exception du nickel et du cuivre, les niveaux mesurés pour les adultes et les enfants sont « plus élevés que dans la plupart des pays étrangers (Europe et Amérique du Nord) ». Pour l’arsenic, les niveaux moyens sont 30 % supérieurs aux pays du nord de l’Europe mais inférieurs à ceux du sud comme l’Espagne. Pour le cadmium, ils sont deux fois supérieurs aux autres pays, et même un peu plus pour le chrome.
Poissons, fruits de mer, tabac
Comment expliquer cette « surimprégnation » française ? Pour SpF, elle est d’abord à chercher dans les habitudes alimentaires. « La France est un pays consommateur de poissons et de produits de la mer dans des proportions plus importantes que les pays d’Europe du Nord, mais moins que ceux d’Europe du Sud, ce qui se voit dans les comparaisons pour l’arsenic et le mercure, notamment », explique Clémence Fillol. Or les mers et les océans sont de plus en plus pollués à l’arsenic, au mercure ou au chrome.
Une des hypothèses privilégiées par SpF pour expliquer l’élévation des niveaux d’arsenic et de chrome chez les Français depuis l’étude de 2006 réside précisément dans « l’augmentation des concentrations en arsenic et chrome dans les poissons et produits de la mer ». Les habitudes de consommation alimentaire de poissons et fruits de mer n’ont en effet pas changé depuis 2006. Quant à la consommation de tabac, une autre source d’exposition à ces métaux, elle a même diminué.
Aussi, SpF rappelle que si les poissons et produits de la mer ont « beaucoup de qualités nutritionnelles, leur consommation influence les concentrations en arsenic, cadmium, chrome et mercure ». L’agence nationale de santé publique ne va toutefois pas jusqu’à remettre en cause les recommandations du programme national nutrition santé de consommer deux fois par semaine du poisson, dont un gras (pourtant susceptible de contenir davantage de métaux), en variant les espèces et les lieux de pêches.
Elle préfère insister sur le tabac et « la nécessité d’ancrer davantage la lutte contre le tabagisme », y compris passif, afin de réduire l’exposition au cadmium ou au cuivre. Pour le cadmium, l’étude souligne que « le tabac entraîne une augmentation de plus de 50 % d’imprégnation chez les fumeurs ». De manière générale, SpF juge qu’« il est nécessaire de poursuivre les mesures visant à diminuer les expositions de la population générale à ces substances en agissant en particulier sur les sources d’exposition ». Outre l’alimentation et le tabac, SpF a identifié d’autres sources : les plombages dentaires pour le mercure ou les implants médicaux pour le chrome.