Telle est la dynamique engagée par les élus de la Collectivité Territoriale de Martinique pour sortir des limites constatées dans la gestion du quotidien et inscrire le Pays Martinique dans une relation plus constructive et prospective avec la France et le Monde. Cette relation, qui n’est pas celle de l’indépendance, ni celle du statuquo, s’inscrit dans un processus de responsabilisation collective. Elle trace avec détermination l’exigence de la différenciation, l’exigence de la reconnaissance d’un peuple dans son espace géographique. Dès lors, il s’agit de poser les bases de l’unidualité. Oui, nous devons affirmer cette unidualité car le Pays Martinique, à l’instar des autres Pays signataires de l’Appel de Fort-de-France, est dans une relation complexe à la France. L’unidualité, expression empruntée à Edgar Morin, signifie que deux logiques sont unies sans que la dualité se perde dans cette unité. L’action se trouve alors portée par une irremplaçable richesse intérieure. Il nous appartient de dépasser ainsi l’alternative « ou bien la France ou bien la Martinique » pour faire dialoguer la complémentarité des antagonismes et les forces de l’intelligence collective. L’exercice est donc plus subtil et trace une autre voie dans l’assainissement de nos rapports avec la France.
Cette démarche impulsée par les élus de la CTM est commentée par certains sous le prisme classique et simpliste « conservatisme / indépendance ». Ces commentaires tentent d’instaurer délibérément une peur chez les Martiniquais pour préserver les intérêts de la classe économique dominante. Lorsque ces commentateurs implorent les élus de la CTM de ne s’occuper que du quotidien, c’est en réalité une demande claire qui vise à préserver leurs propres intérêts au détriment des intérêts d’une large frange de Martiniquais. Les intérêts de cette classe dominante prospèrent ainsi sur la pauvreté grandissante creusant davantage les inégalités. Elle a donc intérêt à ce que l’on se contente de gérer le statuquo.
Les attaques contre le drapeau, l’hymne et le créole participent d’une logique coloniale : celle d’un empêché identitaire, celle d’un effacement consenti de l’être-au-monde martiniquais.
C’est cette même logique coloniale qui conduit à analyser les problèmes de la Martinique sous l’angle du « handicap ». L’Appel de Fort-de-France invite à s’affranchir de cette fausse notion relationnelle de handicap pour appréhender les problèmes sous l’angle des contraintes et des opportunités, mais aussi et surtout sur la base de nos atouts et l’actif de nos ressources. Cette approche nous conduit sur les voies de l’innovation qui dépasse la contrainte structurelle, qui considère l’état actuel du monde, et qui remet en marche sans attendre une pensée politique capable de réoxygéner nos rapports à la France
Délier notre société de ses entraves structurelles qui, quoi qu’on dise, existent encore en profondeur, demeure une tâche extrêmement difficile, mais c’est en cela qu’elle est à la fois nécessaire, vitale et exaltante. Mais nous nous devons de trouver les mots et les formes pour mobiliser les Martiniquais qui ont tant besoin de trouver la voie de la confiance en eux.
Nous formulons trois suggestions :
- Maintenir la démarche de l’unité-diversité
Nous devons comprendre que les années d’attente immobile n’ont pas pour autant anesthésié les vouloirs nouveaux, les initiatives nouvelles, ni supprimé les possibles ; qu’il s’agit maintenant, à la fois de les réveiller et de les mettre en perspective, dans une orientation partagée.
Maintes fois, dans notre trajectoire historique s’est exprimé le fait que nous ne voulons pas demeurer, simples figurants dans l’en-aller du monde.
L’émergence d’une opinion publique forte, l’expression d’une maturité de la conscience collective, nécessite le maintien d’une démarche d’unité, au mitan du débat, au mitan des réponses à signifier, aux critiques ou réserves exprimées de manière constructive.
Telles que formulées, ces critiques actuelles nous semblent participer de ce que nous qualifions de broderie de l’immuable. C’est-à-dire qu’au-delà de leur formulation plus ou moins sophistiquée, elles expriment leur atavique refus de modification structurelle de la donne rentière. Et aujourd’hui elles n’hésitent pas à utiliser les outils de la peur.
Mais, passer d’une conscience collective encore naïve, sacralisant l’Ailleurs et l’objet-gadget, à une conscience collective analysante et démystifiante, sortir des naïvetés du consensus pour habiter les stratégies du compromis de coexistence permettant l’émergence de légitimités nouvelles, imposent le maintien de la démarche d’unité-diversité.
- S’initier à la pédagogie d’un imaginaire neuf
Faire le choix de la responsabilisation collective c’est entamer le processus de définition de la société que nous voulons dans un monde que nous aurons analysé ; c’est aussi bâtir de nouveaux socles et inventer d’autres chemins de civilité, de citoyenneté.
Dans ce processus, s’impose aujourd’hui de nous préparer à assumer la complexité du monde tel qu’il est : les changements en culbute, l’improbable, les restructurations permanentes, la présence-prégnance du Tout-monde, les menaces sur le vivant.
Faire le choix de la responsabilisation collective c’est donc entamer ce processus nous permettant collectivement de vivre et d’appréhender la complexité du monde[1].
- Formuler quelques impératifs de la responsabilisation collective
- La responsabilisation collective passe par des voies d’accès nouvelles coconstruites
- La responsabilisation collective passe par la proximité
- La responsabilisation collective passe par l’interdépendance maîtrisée
- La responsabilisation collective passe par l’exercice du décryptage de l’information
- La responsabilisation collective passe par l’échange, le débat, la contradiction
- La responsabilisation collective passe par une pensée économique et un modèle de développement autres, capables de faire exploser le cadre du modèle colonial et capitaliste (ou colo-capitaliste) pour une plus juste répartition de la richesse produite.
Quand un peuple jeune a pu se relever de l’esclavage, a su transmuer le projet colonial d’une société raciste, stratifiée et balkanisée en une communauté composite, métisse et créole ; on est en droit de beaucoup attendre, de beaucoup espérer de lui : d’exiger de ce jeune-peuple-nation qu’il s’inscrive activement dans le Monde et « qu’il produise de son intimité close, la succulence des fruits ».[2]
Atelier des Socios : Patrick Chamoiseau, Serge Domi, Hector Elizabeth, Danielle Laport, Philippe Palany
[1] – L’ouvrage de Patrick Chamoiseau : « Faire-Pays », constitue à cet effet, une remarquable initiation à cette pédagogie d’un imaginaire neuf.
[2] Dans cette perspective, nous invitons tous ceux qui sont intéressés par une telle démarche à participer à nos échanges et à nos ateliers en nous contactant à l’adresse : atelierdessocios.martinique@gmail.com