La filière canne-sucre-rhum de Martinique a tenu ce jeudi 12 octobre une conférence de presse pour dresser le bilan de la campagne de récolte 2023 qui s’achève. Si la production de canne est en hausse, de nombreux défis restent à relever pour assurer la pérennité de cette filière agricole stratégique dans l’île. Photos Roland DORIVAL
Avec 208 632 tonnes de cannes récoltées, en augmentation de 10% par rapport à 2022, le rendement agricole s’améliore grâce à une météo plus clémente cette année. Cependant, de fortes disparités régionales subsistent, le manque d’eau restant un facteur limitant dans le Sud notamment.
L’enherbement et le retrait progressif des produits phytosanitaires, sans solution alternative durable, compliquent aussi les cultures. La filière salue néanmoins une meilleure écoute des pouvoirs publics, avec le lancement annoncé des travaux sur les réseaux d’irrigation du Nord et du Centre Atlantique.
Côté production, 1 034 tonnes de sucre et 18,6 millions de litres de rhum ont été produits. Un volume insuffisant par rapport aux capacités, la sucrerie du Galion n’ayant pu broyer que 32 793 tonnes de cannes sur un objectif de 37 000 tonnes, faute de cannes disponibles.
Nous avons interrogé Charles Larcher, président du CODERUM, Michel Béroard, directeur de la sucrerie du Galion, et Olivier Grolleau, le nouveau directeur du Centre Technique de la Canne et du Sucre, sur les perspectives pour la filière. Etait aussi présent lors de cette conférence de presse SICA CANNE UNION, représenté par son président Justin Céraline, Mr Marc Sassier, président de l’AOC Martinique n’a pu faire le déplacement
. Ils nous livrent leurs analyses sur ces résultats mitigés et les défis à relever pour assurer l’avenir de la production martiniquaise de sucre et de rhum.
Philippe Pied
CODERUM : Charles Larcher fait le point sur les défis actuels de ce secteur clé.
La récolte de canne à sucre 2023 s’est achevée récemment en Martinique. Quel bilan en dressez-vous ?
Nous avons de nouveau dépassé les 200 000 tonnes de canne récoltées, ce qui est satisfaisant. Cependant, des pluies en fin de récolte ont pénalisé les rendements industriels. Nous avons produit 18,5 millions de litres de rhum, un volume identique à 2022. Certains adhérents devront faire des arbitrages entre commercialisation du rhum blanc et mise en vieillissement du rhum agricole.
Quelles sont les principales difficultés auxquelles la filière est confrontée actuellement ?
Notre plus grosse difficulté cette année, c’est vraiment l’explosion des coûts de nos matières sèches : bouteilles, cartons, capsules, étiquettes… Avec des hausses de plus de 40% à 50%, nous avons dû augmenter certains prix, ce qui pèse sur les ventes en Martinique et à l’export. L’inflation impacte directement notre profession.
Y a-t-il un risque de pénurie de rhum vieux ?
Non, nos stocks sont importants. Il faut juste que la prochaine récolte permette de compléter ce que nous avons pu mettre en vieillissement. Certains préfèrent vendre du rhum blanc pour avoir du cash, mais il n’y a pas de risque de pénurie de rhum vieux.
La filière fait donc face à des défis économiques importants. Comment envisagez-vous la poursuite de vos activités dans ce contexte inflationniste ?
Nous sommes en négociation avec nos fournisseurs pour faire baisser les coûts des intrants. Mais c’est compliqué. La récolte 2023 est encore correcte, même si le rendement industriel plus faible augmente les coûts de production. Nous espérons que l’inflation se stabilisera pour préserver la compétitivité de notre filière, vitale pour l’économie martiniquaise.
CTCS : La filière canne confrontée au défi de l’attractivité et de la compétitivité
Olivier Grolleau, vous dirigez le Centre Technique de la Canne et du Sucre de Martinique. Dans quel état se trouve actuellement la filière canne selon vous ?
La filière fait face à plusieurs difficultés. Le changement climatique provoque des déficits de pluie qui limitent les rendements. La concurrence des mauvaises herbes est aussi un problème, avec moins de molécules efficaces pour les combattre. Surtout, on constate une diminution du nombre de planteurs, liée au manque d’attractivité et à la pénibilité du travail agricole. C’est un enjeu majeur pour l’avenir.
Quelles solutions proposez-vous pour rendre la filière plus attractive ?
Il faudrait trouver des techniques culturales moins pénibles et donc plus attractives pour les jeunes générations. Nous travaillons sur l’ergonomie des outils au Centre Technique pour améliorer les conditions de travail. Redonner de l’attrait à ce métier passe aussi par une meilleure rémunération des planteurs.
La canne à sucre est-elle confrontée à des maladies particulières ?
Non, grâce à notre travail de sélection de variétés résistantes, nous parvenons à nous prémunir des principales maladies connues. Le vrai défi vient des adventices, ces mauvaises herbes concurrentes de la canne. Les méthodes chimiques de désherbage ont un coût trop élevé pour les planteurs, d’où le recours accru au désherbage manuel, plus pénible. Dans une culture à faible rentabilité, ces surcoûts grèvent les revenus et la compétitivité de la filière.
La relance de la filière canne passera donc à la fois par des innovations techniques et une meilleure rémunération des producteurs ?
Tout à fait, c’est en conjuguant solutions agronomiques et attractivité économique que nous parviendrons à assurer la pérennité de cette filière stratégique pour l’agriculture martiniquaise. Le Centre Technique de la Canne et du Sucre travaille au quotidien dans ce sens, main dans la main avec les planteurs.
Le Galion : La sucrerie face au défi d’approvisionnement en canne à sucre
Monsieur Béroard, quelle a été la principale difficulté de cette saison sucrière à la sucrerie du Galion ?
Notre préoccupation majeure, c’est l’approvisionnement en canne à sucre, notre matière première. Nous avons cherché de nouveaux fournisseurs et en avons trouvé. Cependant, nous n’avons pas pu récolter toutes les cannes qui nous étaient destinées, à cause de problèmes techniques et du manque de coupeurs.
Cette pénurie de canne a donc empêché d’atteindre vos objectifs de production ?
Tout à fait. Nous espérions revenir au moins au tonnage de 2022, mais n’avons pas pu aller chercher toute la canne disponible, faute de moyens humains. C’est notre principal défi : augmenter les volumes de canne récoltée pour maximiser notre production.
Quel est le besoin du marché martiniquais en sucre actuellement ?
Il est d’environ 4 000 tonnes par an en sucre de bouche. Nous n’en avons produit cette année que 1 300 tonnes. Il y a donc encore un déficit important à combler pour répondre à la demande locale. Notre objectif est d’atteindre 2 500 à 3 000 tonnes dans les prochaines années.
Comment comptez-vous augmenter vos approvisionnements en canne localement ?
Nous avons un plan sur 5 ans pour accroître les rendements à l’hectare. Nous comptons aussi sur des producteurs qui se réorientent de la banane vers la canne, ou diminuent d’autres productions. L’enjeu est de mobiliser toutes les terres disponibles pour la canne et optimiser la logistique de récolte.
La pérennité de la filière canne repose donc sur une meilleure valorisation de la production agricole locale ?
Oui, c’est l’objectif. Nous devons valoriser au maximum le potentiel de production martiniquais, par des partenariats étroits entre la sucrerie et les planteurs. C’est la condition pour maintenir cette filière stratégique et notre souveraineté alimentaire.