La Martinique perd ses habitants, et ce n’est plus un simple constat : c’est une alerte. Depuis 2018, l’association Alé Viré, fondée par la sénatrice Catherine Conconne, tente d’inverser cette tendance en accompagnant les Martiniquais qui souhaitent rentrer au pays. Lors d’un apéro-réseau organisé à la BRED de Fort-de-France, elle est revenue sur le sens de cette initiative, sur les chiffres, les freins au retour, et sur ce que signifie, concrètement, « reconstruire sa vie chez soi ». Rencontre avec une femme déterminée, lucide, mais toujours tournée vers l’action.
Alé Viré, c’est plus qu’un apéro-réseau. Quelle est la philosophie derrière ces rendez-vous ?
Quand on rentre au pays, ce n’est pas si simple. Il faut reprendre pied, reconstruire un réseau d’amis, de collègues, parfois même se refaire un cercle social ou professionnel. Ces apéros-réseaux, ce sont des espaces de rencontres, où l’on peut échanger sur des sujets très sérieux dans une ambiance cordiale. On peut y croiser un futur recruteur, un partenaire, ou simplement quelqu’un qui vous rassure sur votre retour. Le réseau, c’est fondamental, et ça ne se reconstruit pas en restant chez soi. Alé Viré, c’est ça : mettre les gens en lien, les aider à se ré-ancrer.
Vous parlez souvent de l’importance de “reprendre pied”. Qu’est-ce qui rend le retour si complexe pour ceux qui l’envisagent ?
Rentrer, c’est un bouleversement. Il ne s’agit pas juste de trouver un emploi. Il faut quitter un logement, vendre des meubles, tourner une page. Et une fois ici, on découvre qu’on a perdu ses repères, ses amis, parfois même ses habitudes. Il faut retrouver un rythme, un environnement social, parfois même une place dans la société. C’est pour cela qu’on parle de « projet de vie ». Ce n’est pas un simple billet d’avion retour. C’est un chemin. Nous, on essaie de rendre ce chemin un peu moins escarpé.
Vous avez mentionné que 2 000 familles ont déjà été accompagnées. Que leur proposez-vous concrètement ?
D’abord, une écoute et un accompagnement. On ne donne pas de primes, on ne paye pas les billets d’avion ni les déménagements. Mais on construit un cadre : un réseau, des événements comme celui-ci, des contacts utiles, de la visibilité sur les opportunités. On a aussi lancé une résidence de retour à Thibault, un logement temporaire pour les personnes fraîchement rentrées. Et surtout, on travaille à revaloriser l’image du pays, même quand ce n’est pas facile. Il faut que les gens aient envie de revenir — et qu’ils sentent qu’ils ne seront pas seuls.
Comment réagissez-vous face à ceux qui doutent ou qui critiquent l’utilité de cette démarche ?
On a eu notre lot de critiques au départ. On nous a dit que ça ne servait à rien, qu’on faisait du vent. Mais aujourd’hui, on a la preuve que ça fonctionne. J’ai croisé des familles dans le métro parisien qui m’ont dit : « Madame, on rentre grâce à vous. » Et ça, c’est la plus belle récompense. Il y aura toujours des gens pour râler. Mais nous, on a choisi d’agir. On préfère mettre en avant les forces du pays plutôt que ses faiblesses, même si on ne les nie pas. C’est un acte de foi dans notre territoire.
Pour vous, le retour en Martinique, c’est une forme de militantisme ?
Oui, sans doute. C’est dire : « Je choisis ce pays, avec ses défauts et ses atouts. » Revenir, c’est poser un acte d’amour et de courage. Ce pays ne sera beau, dynamique, plein de perspectives, que si nous décidons qu’il le sera. Il faut une génération déterminée pour porter ça. Et Alé Viré est là pour les soutenir, pas pour leur vendre du rêve, mais pour leur dire : « Tu n’es pas seul. On peut réussir ici. »
Parce que chez soi, ça reste toujours le plus beau pays du monde.