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PLUS ON EST DE FOUS, PLUS ON RIT
Des dizaines de virus jusqu’ici inconnus ont été découverts gelés dans deux glaciers de l’Himalaya par des chercheurs de l’Université d’Etat de l’Ohio.Stéphane GayetAJOUTER AU CLASSEURLECTURE ZEN
Atlantico : Les glaciers archivent l’histoire de notre planète et on y trouve la matière pour mieux comprendre notre monde. Lorsque l’on creuse en leur sein, on découvre une vie enfermée depuis des milliers d’années, y compris des virus. Dans des glaciers himalayens, des échantillons de carottes de glace ont livré une collection de virus et autres microbes vieux de près de 15 000 ans. En découvrant de nouveaux virus dans la glace, qu’essaient de comprendre les chercheurs ?
Stéphane Gayet : La phylogénèse, cette partie de la biologie qui traite de l’évolution des espèces, s’est longtemps fondée sur l’étude des fossiles qui sont des empreintes solidifiées d’êtres vivants ayant vécu au cours d’autres ères. Depuis que l’on maîtrise la recherche et l’étude des acides nucléiques (ARN et ADN) dans le permafrost, ce sol qui reste gelé toute l’année, ainsi que dans la glace permanente des glaciers, on dispose d’un autre moyen d’étude phylogénétique.
Les acides nucléiques des êtres vivants, qui constituent leur information génétique, sont bien conservés par le grand froid négatif. De simples cellules vivantes le sont également : c’est comme cela que l’on conserve les ovocytes et les spermatozoïdes.
Les virus sont à la frontière entre le monde vivant et le monde biologique inerte. Ils sont essentiellement constitués d’un acide nucléique (ARN ou ADN), protégé par une capside, associé à quelques enzymes et parfois entouré d’une enveloppe non protectrice mais dans ce cas indispensable au pouvoir infectieux viral. Les virus sont une information génétique infectieuse, ni plus ni moins. Ils sont remarquablement conservés dans le grand froid négatif.À LIRE AUSSIAux origines du Covid-19 : alerte à Wuhan face à la menace du Sars-CoV-2
Ces agents infectieux corpusculaires infectent obligatoirement une cellule vivante : c’est leur seul mode d’existence. En dehors d’une cellule vivante, ils s’inactivent plus ou moins rapidement, ou au contraire persistent si les conditions physicochimiques sont favorables, comme c’est le cas dans le grand froid négatif.
Tous les êtres vivants ont leurs virus, qui ne sont pas forcément pathogènes ; il est même fréquent qu’une cellule vivante soit infectée par un virus sans en être perturbée. Il y a des virus pour tous les animaux, y compris les protozoaires (êtres zoologiques unicellulaires), les végétaux, y compris les algues unicellulaires et même les bactéries (être vivants unicellulaires rudimentaires, à la frontière entre le règne animal et le règne végétal).
Il est maintenant devenu assez aisé et même courant de rechercher et d’étudier des virus dans le permafrost de Sibérie, ainsi que dans la glace permanente ancienne (profonde) de certains glaciers bien préservés, comme au Tibet.
Dans ce glacier tibétain, beaucoup des virus découverts ne ressemblent à aucun de ceux que les chercheurs connaissent déjà : 28 des 33 virus découverts sont nouveaux pour la science. Ce travail date de 2015 : le forage a été effectué dans la calotte glaciaire de Guliya, sur le plateau tibétain. Pour éviter toute contamination des prélèvements profonds avec des microorganismes de surface, ce travail a utilisé une nouvelle technique qui consiste à retirer la couche extérieure de glace de chaque carotte, puis à la baigner dans un mélange d’alcool et d’eau pour la désinfecter et donc en inactiver les éventuels virus.
La découverte de virus dans ces biotopes figés offre la possibilité d’augmenter et d’améliorer nos connaissances sur le monde vivant et surtout son évolution. Les biotechnologies modernes nous permettent de séquencer relativement rapidement les acides nucléiques ; la connaissance du code génétique nous permet de décrypter l’information qu’ils détiennent. Ensuite, on procède à des comparaisons avec d’autres virus connus, on essaie de comprendre quelles espèces vivantes ces virus pouvaient bien infecter et quels étaient leurs rôles dans le monde vivant de l’époque.
En sortant les virus de la glace, n’y a-t-il pas un risque de les libérer ? Dans quelle condition cela serait-il possible ?
C’est vrai pour tous les agents infectieux, qu’il s’agisse de virus ou de bactéries : le nombre d’espèces virales et bactériennes du monde terrestre est absolument gigantesque (des millions et plutôt des milliards), eu égard au nombre de celles qui sont capables d’infecter l’être humain de façon pathogène (car, comme nous l’avons vu plus haut, il n’est pas rare et même assez fréquent que des virus infectent un être vivant sans le perturber, du moins en apparence).
Ces virus d’une autre ère que l’on ramène à la surface congelés pour les étudier, n’ont pas de raison de constituer une menace pour les êtres humains ni les animaux, parce qu’ils sont bien différents ce ceux auxquels on a affaire aujourd’hui : ils étaient adaptés aux êtres vivants de leur époque. Il faut bien garder à l’esprit le fait qu’il existe, plus avec les virus qu’avec les bactéries, une habituelle spécificité d’espèce, selon laquelle chaque virus est plus ou moins étroitement adapté à une espèce vivante précise. Bien sûr, on pense aux zoonoses virales, ces maladies infectieuses qui passent de l’animal à l’homme, mais cela ne se fait pas brutalement et nécessite une grande proximité de vie qui se prolonge dans le temps.
En réalité, ces virus datent d’une ère où les êtres vivants se résumaient à des bactéries et des amibes (protozoaires) ; de plus, le climat était alors glacial ; en d’autres termes, il s’agit de virus adaptés au grand froid et non pas aux êtres vivants homéothermes (« à sang chaud ») dont fait partie l’espèce humaine.
Cependant, certains chercheurs estiment que le risque pour l’Homme constitué par ces virus n’est pas nul ; toutefois, les méthodes de travail mises en œuvre consistent à extraire l’acide nucléique viral qui, lorsqu’il est isolé, n’a plus de pouvoir infectieux.
En étudiant de tels organismes, cela serait-il une piste intéressante pour mieux appréhender notre métabolisme face au changement climatique ?
Étant donné que l’on sait que ces virus datent d’une ère glaciale, cela permet d’étudier le métabolisme dans de telles conditions climatiques. Car, si un virus est effectivement dépourvu de métabolisme (pas de nutrition, ni de respiration, ni de locomotion, ni de synthèse protéique…), il est toujours à l’intérieur d’une cellule qu’il infecte et il participe donc à son métabolisme cellulaire. En étudiant des virus, on obtient des informations sur les cellules qu’ils parasitent.
Ils constituent donc une double source de connaissances : d’un côté, ils offrent la possibilité d’étudier les microorganismes de cette période et leurs communautés ; de l’autre, ils permettent d’approcher le métabolisme des êtres vivants rudimentaires avec lesquels ils étaient en relation. En effet, c’est peut-être une porte ouverte vers la compréhension de l’adaptation du monde vivant aux changements durables de température ; donc, du grain à moudre pour essayer de nous projeter dans une ère plus ou moins proche et où les conditions climatiques seront très différentes