La lutte contre la corruption est aujourd’hui un enjeu de premier rang, comme en témoigne le plan national pluriannuel de lutte contre la corruption lancé le 9 janvier 2020 par la garde des Sceaux. Elle représente chaque année, selon le FMI, un coût entre 1.500 et 2.000 milliards de dollars US (soit environ 2% du PIB mondial) et constitue une infraction pénale réprimée dans toutes les réglementations nationales, dont certaines ont une portée extraterritoriale.
La Loi Sapin II du 9 décembre 2016 a quant à elle innové en instituant l’obligation pour les groupes établis en France, employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros, de mettre en place, depuis le 1er juin 2017, un programme de conformité anti-corruption comportant 8 séries de mesures, sous peine de sanctions pécuniaires à l’encontre du représentant légal et de l’entité contrôlée, sous le contrôle de l’Agence Française Anti-corruption.
Toutefois, la corruption n’est pas l’apanage des juridictions pénales étatiques. Elle peut être appréhendée par les tribunaux arbitraux dans le cadre de procédures d’arbitrage international, notamment lorsque l’une des parties soulève une « défense de corruption » pour refuser d’exécuter ses obligations contractuelles, alléguant que le contrat en question a été obtenu à la suite d’une corruption ou qu’il constitue l’acte de corruption.
En effet il est désormais établi, en droit français, que le tribunal arbitral est tenu de retenir sa compétence, notamment pour apprécier la conformité des faits allégués à l’ordre public international, dont la lutte contre la corruption fait partie. Ce, d’autant plus que la sentence arbitrale est susceptible d’un contrôle très détaillé du juge français de l’annulation ou de l’appel contre l’ordonnance d’exequatur (en l’occurrence, la cour d’appel de Paris) qui examinera l’éventuelle existence « d’indices graves, précis ou concordants » de corruption.
Lorsque les faits relèvent de la compétence des juridictions pénales françaises, ces situations soulèvent la question de l’articulation stratégique des procédures arbitrales et pénales amenées à statuer sur les mêmes faits : l’opportunité de saisir le juge pénal français avant le tribunal arbitral ; la possibilité (et l’intérêt) de solliciter le sursis à statuer dans l’attente de la procédure pénale ; la question de l’autorité de la chose jugée d’une décision correctionnelle française sur une sentence dans le cadre d’un arbitrage international ; le standard de preuve à atteindre dans chaque procédure et le rôle proactif ou non des parties concernées dans la démonstration des faits allégués de corruption.
L’affaire Indrago constitue une bonne illustration des interactions existantes entre les procédures. En l’espèce, une sentence arbitrale, qui avait été rendue à Londres, avait obtenu l’exequatur en France en 2015. En 2016, à la suite d’une plainte déposée en 2009 en France, un jugement correctionnel français a établi que le contrat concerné avait été obtenu à la suite de faits de corruption. Ceci a conduit, fin 2016, la cour d’appel de Paris à refuser l’exequatur de la sentence au motif de la violation « manifeste, effective et concrète » de la conception française de l’ordre public international. L’arrêt a été confirmé par la 1ère chambre civile de la Cour de cassation le 13 septembre 2017.
En outre, sous l’influence de la loi Sapin II, il est probable que certaines parties tenteront de soutenir à l’avenir, au cours d’arbitrages internationaux, que les obligations de conformité anti-corruption font désormais partie de l’ordre public international devant être appréciées par les tribunaux arbitraux, au même titre que des faits avérés de corruption, pour juger de la validité ou de l’exécution d’obligations contractuelles.
Ainsi, dans le cadre d’un arbitrage récent aux Etats-Unis, une partie invoquait le refus de son cocontractant de lui fournir des informations détaillées relatives à l’entité bénéficiaire des paiements pour ne pas procéder au paiement des commissions auxquelles elle est tenue contractuellement, au motif qu’elle était soumise à des obligations d’évaluation des tiers au titre de la loi Sapin II.
Dans un arrêt récent, la Cour d’appel de Paris a néanmoins considéré que le non-respect de « stipulations contractuelles de prévention de la corruption » ne suffisait pas à caractériser une violation de l’ordre public international.
Par Ludovic Malgrain et Christophe von Krause, associés chez White & Case, partenaire du Club des juristes en collaboration avec Jean-Lou Salha, counsel