Tandis que les candidatures se déclarent pour les élections de la CTM du mois de juin, que les consultations se multiplient pour mettre au point des accords entre partis politiques  en vue du second tour, aucune déclaration n’est faite concernant le fonctionnement de l’outil proprement dit, comme si une fois encore les élus espérant sortir vainqueurs de la consultation sont convaincus de pouvoir assurer une saine gouvernance aux commandes d’une institution inadéquate. 

 

Seul Claude Lise a récemment invoqué le sujet, il l’a fait dans le cadre du cycle de conférences du groupe Renaissance qui a l’ambition d’offrir une tribune à des conférenciers de différents horizons.  

 

Le président Lise avec lequel nous nous entretenions de cet aspect mis de côté du dysfonctionnement de la Collectivité Territoriale de la Martinique a eu la gentillesse de tenir à notre disposition le texte de son intervention auprès de ce mouvement. Nous le publions in extenso. 

  Les intertitres sont d’Antilla. 

 

État de la question. 

 

Les difficultés de fonctionnement de la Collectivité Territoriale de Martinique

 Sont-elles la conséquence d’une mauvaise conception de l’outil institutionnel mis en place en décembre 2015, conformément au choix fait par les électrices et les électeurs martiniquais lors de la consultation de 2010 ?

    Ou sont-elles imputables aux élus ? Qui, soit ne seraient pas jusqu’ici parvenus à maitriser le fonctionnement de ce nouvel outil institutionnel, soit auraient délibérément fait le choix d’un mode de fonctionnement inapproprié.

 Ce sont là les questions auxquelles je vais m’efforcer d’apporter des réponses, à partir de ce que je peux constater depuis le poste “privilégié” (si l’on peut dire) que j’occupe au sein de l’Assemblée. Et cela après avoir participé aux Congrès des élus départementaux et régionaux de 2008 et 2009 ainsi qu’aux débats sur le projet de loi instituant la CTM.

 Une fois posé le diagnostic, je vous proposerai les solutions qui, de mon point de vue, pourraient mettre à l’abri la CTM des dysfonctionnements actuels. Car, permettez au médecin que je suis de vous affirmer que si l’on en reste au seul diagnostic, sans envisager une thérapeutique adéquate, le pronostic ne pourra s’avérer que très sombre.

 

Un mode particulier de gouvernance. 

 

En ce qui concerne, tout d’abord, la conception de la Collectivité Territoriale de Martinique, une question mérite d’être posée d’emblée : pourquoi la loi a-t-elle prévu pour la Martinique (contrairement à la Guyane) un mode de gouvernance basé sur la séparation entre Exécutif et Assemblée délibérante ?

   

 Ce mode de gouvernance est tout à fait normal dans le cas d’une collectivité de l’article 74 dotée de l’autonomie, comme la Polynésie ; ou dans le cas d’une collectivité comme la Nouvelle Calédonie (qui se situe, comme vous le savez,  hors du titre XII de la Constitution). Ces collectivités disposent d’un certain pouvoir législatif – puisqu’elles votent des “lois de pays”-. S’applique donc dans leur cas, la distinction fondamentale entre pouvoir législatif et pouvoir exécutif. Mais la Martinique, elle, a choisi en 2010 de demeurer dans le cadre de l’article 73 de la Constitution, c’est à dire dans le régime juridique dit de “l’identité législative”. On est donc en droit de considérer que, contrairement à ce qui s’est passé pour la Guyane, ce choix n’a pas été respecté, mais  en quelque sorte « contourné ».

 

Cela a relevé d’une décision du Président de la République de l’époque, Nicolas SARKOZY. La raison avancée officiellement, c’est qu’il aurait voulu tenir compte de la position exprimée par les participants au Congrès de 2009. Dans un premier temps, en effet, une nette majorité d’entre-eux avait opté pour une évolution institutionnelle dans le cadre de l’article 74 et donc, tout naturellement, une gouvernance avec séparation des pouvoirs entre Exécutif et Législatif.

 

Après le rejet d’un changement institutionnel par les électeurs, ces élus auraient dû, logiquement et plus encore démocratiquement, se prononcer en faveur du mode de gouvernance « classique » des collectivités de l’article 73. Mais un certain nombre d’entre eux se sont laissé convaincre par l’idée que le système de séparation des pouvoirs permettrait un meilleur contrôle de l’Exécutif (l’idée étant qu’une collectivité unique gérant des compétences et un budget beaucoup plus importants, l’Exécutif devrait être davantage soumis au contrôle de l’Assemblée et être responsable devant celle-ci). Il y a eu, c’est vrai, une majorité (toutefois plus faible que la précédente) en faveur de ce système. Mais ce n’est pas ce qui a été déterminant. Pour ceux, comme moi, qui ont participé aux discussions avec le Président de la République, il est clair que la décision de celui-ci a relevé d’un arbitrage politique. C’est manifestement une concession qui a été faite au dirigeant d’un Parti qui estimait que la nouvelle collectivité devait être une collectivité « suis generis ». Je n’entends évidemment pas m’engager ici sur une analyse des motivations de cet arbitrage politique.

 

On peut dire en tout cas que la loi du 27 juillet 2011 a créé ce que j’appelle « un hybride institutionnel » !

 

Un texte mal rédigé.  

   

   Mais, la rédaction manifestement bâclée du texte et les conditions dans lesquelles il a été débattu ont fait de cet « hybride institutionnel » une institution qui, loin de répondre à la préoccupation d’un meilleur contrôle de l’Exécutif, allait permettre de créer un modèle de fonctionnement hyper présidentiel où l’Exécutif concentre à son niveau l’essentiel du pouvoir.

  Le projet de loi a été débattu en procédure accélérée d’abord au Sénat en mai 2011. J’y siégeais encore et ai participé très activement au débat. Deux dispositions m’ont d’emblée paru susceptibles de nuire à un fonctionnement démocratique et  en même temps à un fonctionnement efficace :

 

Tout d’abord, l’existence d’une prime majoritaire importante.

Dans le projet gouvernemental elle était fixée à 11 sièges (pour une collectivité de 60 élus). Le Sénat, suivant sa commission des Lois, a accepté de réduire la prime à 9 sièges (c’est à dire au même taux que celui fixé pour la Collectivité de Corse), un niveau pour moi encore excessif. Il faut d’ailleurs rappeler qu’au Congrès de 2009, les élus s’étaient prononcés pour une élection à la proportionnelle sans prime majoritaire. Malheureusement, non seulement il n’a pas été possible de la réduire, mais elle est remontée à 11 sièges lors du débat à l’Assemblée Nationale, un député martiniquais ayant même présenté un amendement pour qu’elle passe à 12 sièges ! Il s’agit, je suis quand même obligé de le signaler, de celui qui avait le plus argumenté en faveur d’une collectivité « sui generis ».

 

La deuxième disposition que j’ai trouvée inacceptable, c’est l’absence de représentation de l’Opposition au Conseil Exécutif. 

Ce conseil est en effet élu par l’Assemblée au scrutin majoritaire de liste. J’ai évidemment dénoncé le danger que représente le cumul d’un Exécutif homogène et d’une prime majoritaire importante. A l’appui d’un amendement visant à introduire une représentation de l’Opposition au sein du Conseil Exécutif, j’ai mis en garde sur les conséquences en ces termes :

 

… Le Parti ou la coalition de Partis de la liste gagnante bénéficiera tout à la fois de la présidence du Conseil Exécutif, de 8 postes de conseillers exécutifs, de la présidence de l’Assemblée et des 9 sièges supplémentaires [c’était le chiffre du moment] résultant de la prime majoritaire, étant entendu que, par ailleurs, les sièges libérés par les conseillers élus au Conseil Exécutif seront remplacés par des membres de la formation majoritaire.”

 

Je vous cite la réponse du Rapporteur de la commission des Lois Christian COINTAT car je la crois éclairante sur la position du Gouvernement et du Président SARKOZY :

 

Je comprends votre approche, Monsieur LISE ; elle me semble digne d’intérêt. Il est vrai aussi que parmi les élus que nous avons rencontrés, certains n’avaient visiblement pas bien perçu qu’il s’agirait d’un exécutif monocolore ; une fois qu’ils l’ont compris, ils se sont demandé s’ils n’auraient pas mieux fait d’opter pour le régime guyanais. Mais un choix a été fait, et nous devons aller au bout de la logique… Votre amendement est bien pensé, bien rédigé, mais il ne s’insère pas dans le schéma qui a été retenu par le Gouvernement et une majorité d’élus martiniquais.”

 

Refusant, à sa demande, de retirer mon amendement, je devais ajouter, ce dont je me félicite aujourd’hui :

J’ai le sentiment que l’on s’apprête à créer une sorte d’exécutif omnipotent… Si tel est le projet du Gouvernement, chacun doit prendre ses responsabilités, mon rôle d’élu, après avoir consulté nombre de mes collègues, est de mettre en garde contre de telles perspectives.”

 

D’autres dispositions du texte appelaient, selon moi une clarification. Notamment celle concernant l’ordre du jour des plénières. J’ai pu, là, faire passer un amendement destiné à bien préciser que c’est l’Assemblée qui fixe son ordre du jour ; malgré cela, une ambiguïté est demeurée à cause de la rédaction d’un autre article stipulant que l’Exécutif dispose d’une priorité des questions qu’il présente, dans l’ordre dans lequel il les présente. Cette ambiguïté a déjà, vous le savez, suscité de sérieux incidents de séances.

 

   A l’issue des débats, j’ai donc considéré que je ne pouvais pas voter le texte en l’état. Voici un extrait de mon explication de vote :

   

   

Monsieur le Président, au terme de ce débat, je voudrais

vous faire part de ma déception et de ma très vive inquiétude.

   En quelques mots – l’heure est en effet tardive-, je veux vous dire la déception que m’inspire la manière dont se sont déroulés nos débats, s’agissant d’une question tout de même très importante pour l’Outre-mer. Souvent, quand il est question de l’Outre-mer, on va vite et on écoute peu ;  on commet, de la sorte,  des erreurs que l’on met des années à réparer. La preuve en est que le texte d’aujourd’hui visait à corriger certaines erreurs dont l’origine remontait à 1982.

   Je suis déçu par la conception qui prévaut de la Collectivité unique. Sans conteste, le choix a été fait de concentrer un maximum de pouvoirs entre les mains du Parti ou du regroupement de Partis ayant gagné les élections à l’Assemblée de Martinique : dans ce système, la représentation de l’Opposition sera évidemment réduite à la portion congrue. En somme, on a délibérément choisi de privilégier l’efficacité au détriment de la démocratie. Je maintiens, pour ma part, qu’il n’y a pas de développement y compris économique, sans démocratie. Renforcer à ce point l’Exécutif en croyant faire œuvre d’efficacité provoquera des difficultés et des crises nombreuses.”

   Eh bien je peux vous dire aujourd’hui que j’avais sous-estimé les problèmes que nous allions connaître quelques années plus tard en matière de fonctionnement, notamment démocratique de la CTM.

 

Un texte imprécis

 

En effet, ce qui n’était pas évident à l’examen du texte de la loi de juillet 2011, c’était de prévoir les conséquences de certaines imprécisions qu’elle comporte. Celles-ci se sont en effet avérées susceptibles de mettre en cause l’esprit même du texte et notamment le principe affiché de séparation des pouvoirs entre l’Assemblée et l’Exécutif.

 

   Ainsi, le texte n’a pas précisé la procédure permettant à l’Assemblée de gérer son budget (par exemple en faisant du président de l’Assemblée un ordonnateur secondaire). Eh bien, l’interprétation qui a prévalu, c’est que le budget de l’Assemblée doit être géré par le président de l’Exécutif. Ce qui est tout à fait inconcevable ! Et je peux vous dire qu’un conseiller de la Chambre Régionale des Comptes a été très étonné de constater que je ne pouvais répondre à aucune des questions qu’il me posait concernant le budget de l’Assemblée. C’était au mois de juillet 2020 alors que débutait un contrôle des comptes de la CTM. C’est d’ailleurs ce conseiller de la CRC qui a pu me donner un tableau récapitulatif des dépenses effectuées sur le budget de l’Assemblée de 2016 à 2019.

 

En ce qui concerne maintenant les moyens en personnel. Rien n’est précisé non plus dans la loi. Et, du coup, dans une collectivité disposant de quelque 4100 agents, je n’ai pu obtenir que la mise à disposition d’une dizaine d’agents dont seulement 3 cadres A (il ne m’en reste d’ailleurs plus que 2) et un cadre B.

 En comparaison, le Président de l’Assemblée de Corse dispose de plus de 25 collaborateurs dont une dizaine de cadres A.

 

   Je ne dispose d’aucun service mis à disposition, pas même le service de l’Assemblée, c’est à dire le service chargé d’assurer le bon déroulement des plénières : organiser le déroulement des travaux, rédiger les convocations, transmettre les rapports, réaliser la transcription des débats, assurer la régie audiovisuelle, etc. sans oublier la préparation de la salle de plénière et la sécurité. (La loi stipulant que le Président de l’Assemblée a la police des lieux).

 

Je ne dispose pas non plus du service des délibérations alors que, conformément à la loi, je dois signer les délibérations adoptées en plénière avant que celles-ci soient adressées au contrôle de légalité.

 Pour le Président de l’Exécutif, la signature des délibérations par le Président de l’Assemblée ne semble constituer qu’une simple formalité alors qu’elle engage, bien entendu, la responsabilité du signataire.

Je ne dispose pas non plus de ce que l’on peut appeler un service d’appui administratif aux commissions. 

Les élus qui siègent au sein des différentes commissions de l’Assemblée ont des avis à donner sur les rapports qui leurs sont adressés par l’Exécutif. Mais ils doivent également faire des propositions, élaborer leurs propres rapports. Ils ont donc besoin d’un minimum d’accompagnement par du personnel administratif mis à disposition pour cela. S’ils ne peuvent compter que sur les administratifs envoyés ponctuellement par l’Exécutif pour défendre ses propres dossiers, on ne peut plus envisager de co-construction entre l’Assemblée et le Conseil Exécutif. Et en définitive, c’est la capacité d’initiative et je dirais même la capacité de créativité de l’Assemblée qui s’en trouvent singulièrement réduites.

Je dois vous faire remarquer que l’absence de moyens que je viens d’évoquer rend en pratique impossible l’application de certains articles de la loi comme par exemple :

L’article 7222-20 qui stipule que: 

« l’Assemblée de Martinique assure la diffusion de l’information auprès de ses membres, par les moyens matériels qu’elle juge les plus appropriés. »

 La question, c’est avec quels personnels et quels moyens 

matériels ?

L’article 7222-26 qui précise notamment :

« l’Assemblée peut affecter aux groupes d’élus, pour leur usage propres ou pour un usage commun un local administratif, du matériel de bureau et prendre en charge leurs frais de documentation, de courriers et de télécommunication. […] »

  Même question !

L’article 7222-24 qui prévoit les conditions :

 « […] de la création d’une mission d’information et d’évaluation par l’Assemblée chargée de recueillir des éléments d’information sur une question d’intérêt local ou de procéder à l’évaluation d’un service public de la collectivité territoriale de Martinique.»

  Là encore, même question.

 

 Parmi les imprécisions du texte qui peuvent permettre de porter atteinte aux pouvoirs de l’Assemblée, je veux encore mentionner le fait que les conseillers exécutifs ont la possibilité d’intervenir sur les sujets inscrits à l’ordre du jour sans que ne soient prévues de limites à la fréquence et la durée de ces interventions.  

Le résultat, c’est que les conseillers exécutifs ont tendance à s’immiscer dans les débats de l’Assemblée.

 

Un exécutif sans contrôle véritable. 

 

Mais, pour en terminer avec cette analyse portant sur  les problèmes que pose la rédaction du texte de loi, je  dois évoquer un point encore plus important : l’absence de dispositions précisant les procédures selon lesquelles l’Assemblée de Martinique pourrait effectuer très normalement sa mission de contrôle de l’Exécutif. N’est seulement prévue qu’une procédure qui ne peut se concevoir que dans le cadre d’une crise politique majeure et qui, par ailleurs, est très difficile à mettre en œuvre.

 

Elle est prévue à l’article L 7225-2  au chapitre V intitulé : Rapport entre l’Assemblée et le Conseil exécutif de Martinique. Un chapitre qui, en dehors de cet article, ne comporte qu’un article fixant les conditions d’intervention des conseillers exécutifs en séance et deux autres concernant les conditions de transmission des rapports de l’Exécutif et les modalités de fixation de l’ordre du jour des plénières !

 Que dit cet article :

 

L 7225-2 du Chapitre V 

 

«l’Assemblée de Martinique peut mettre en cause la responsabilité du Conseil Exécutif par le vote d’une motion de défiance. Celle-ci n’est recevable que si elle est signée par au moins 1/3 des conseillers à l’Assemblée de Martinique. Chaque conseiller ne peut signer qu’une motion par année civile … seuls sont recensés les votes favorables à la motion de défiance, qui ne peut être adoptée qu’à la majorité des 3/5ème des conseillers à l’Assemblée de Martinique ». 

 

On comprend aisément qu’une telle procédure ne puisse être utilisée et surtout ne puisse aboutir que dans des circonstances tout à fait exceptionnelles.

 

   Je crois donc que l’on peut à bon droit considérer que la loi du 27 juillet 2011 est une loi qui a été mal conçue, mal rédigée et mal débattue.

 

   Mais, comme mon propos a déjà commencé à vous le montrer, force est de reconnaitre qu’elle est depuis, mal appliquée. Et cela met évidemment en cause les élus qui ont eu la responsabilité de la mettre en application.

 

Une loi, de plus,  mal appliquée. 

 

En fait, dès les premiers jours d’installation des deux organes de la CTM, une conception de leurs champs de responsabilité et de leurs rapports a été clairement affichée par le PCE (Ndr: Président du Conseil Exécutif)et s’est imposée dans les rangs de la Majorité : le PCE doit être considéré comme le Président de la CTM. Le terme a d’ailleurs été largement utilisé dans des documents de la Collectivité, notamment dans les premières moutures de son organigramme. Il a été vite repris par les médias et différents partenaires. Aujourd’hui encore, il est fréquemment utilisé, même par des hauts fonctionnaires de l’Etat !

 Dans cette conception, l’Assemblée dépend évidemment de l’Exécutif ! Elle n’a donc pas à revendiquer de moyens en personnels ni à prétendre gérer son propre budget.

 

 La notion de séparation des pouvoirs se réduit alors à celle d’un cloisonnement entre les organes exécutif et délibératif ; le premier concentrant l’essentiel du pouvoir, le second étant réduit à la situation d’une sorte de conseil consultatif sans moyens ! 

 

Je précise sans moyens, car le CESECEM ( Ndr: Le Conseil Économique, Social, Environnemental, de la Culture et de l’Éducation de Martinique) dispose de moyens mis à disposition notamment pour permettre d’assurer le secrétariat de ses séances ainsi que celui de ses sections et commissions.

 

   Je peux d’ailleurs ajouter l’existence d’un deuxième cloisonnement qui, lui, restreint beaucoup les possibilités d’échanges entre les élus de l’Assemblée et l’administration territoriale ; laquelle n’est censée avoir de relation, sauf autorisation, qu’avec les conseillers exécutifs. 

 

Le règlement intérieur voté le 19 janvier 2016 n’a fait que confirmer et renforcer cette conception. L’article 38 par exemple stipule que lorsque des propositions sont élaborées au sein des commissions sectorielles « après examen par le Conseil Exécutif, ces propositions feront l’objet de rapports de présentation du Président du Conseil Exécutif adressés au Président de l’Assemblée qui le soumet pour avis aux commissions sectorielles concernées ». Autrement dit, c’est le Président du Conseil Exécutif qui devient l’auteur d’un rapport éventuellement élaboré par une commission !

 

Une pyramide du pouvoir. 

 

De fait, on a assisté à l’installation d’un système de pouvoir organisé de façon pyramidale, où tout se décide au sommet, où beaucoup d’informations – notamment dans les domaines budgétaire et financier – sont difficiles à obtenir. 

 

Un système dans lequel l’administration est soumise à un management autoritaire, laissant très peu de marge d’initiative à chaque échelon.

 

   Toutes les tentatives tendant à permettre à l’Assemblée de jouer un rôle de co-construction, qui ne pourrait être que  bénéfique pour les politiques mises en œuvre, ont échoué.

 

Si je devais évoquer devant vous toutes les rencontres effectuées (en tête à tête entre les deux présidents, ou avec les deux présidents et le premier vice-président) et tous les courriers adressés, pour réclamer un changement, nous en aurions pour des heures.  

 

   Sachez seulement que la première rencontre en ce sens s’est déroulée le 14 mars 2016 (nous étions à 3 mois de mandature !). J’ai introduit la réunion (où nous étions trois : Alfred MARIE-JEANNE, Yan MONPLAISIR et moi) en lisant un texte où j’ai fait état de l’absence de réunions régulières, du manque de moyens de l’Assemblée et de l’hyper concentration du pouvoir exécutif. Le 1er courrier que j’ai adressé à l’Exécutif pour protester contre le mode d’articulation constitué entre l’Assemblée et le Conseil Exécutif date du 22 mai 2016. (Nous étions au 5ème mois de mandature !). 

 

A plusieurs reprises, nous avons fait des propositions, nous avons suggéré la tenue de séminaires de réflexion, nous avons proposé un déplacement en Corse pour étudier le mode de fonctionnement de cette collectivité qui est la plus proche sur le plan institutionnel de la nôtre : en vain !

 

L’affaire Séguineau le point culminant. 

 

   Et malheureusement, la situation n’a cessé de s’aggraver. Le point culminant a été atteint, il y a quelques mois, dans l’affaire dite de « Séguineau », avec le refus obstiné du PCE d’appliquer une délibération de l’Assemblée, alors même que celle-ci est devenue pleinement exécutoire.

   

   Comment une telle conception, qui est aux antipodes de ce qu’avait souhaité la grande majorité des élus réunis en Congrès a-t-elle pu prévaloir ? C’est évidemment parce qu’une majorité d’élus de la coalition majoritaire (dite  Gran Sanblé Pou Ba Peyi A An Chans) a longtemps accepté qu’il en soit ainsi.

 

 Certains l’ont fait par conviction : parce qu’ils sont partisans d’un pouvoir fort, d’une politique conçue et mise en œuvre par un petit nombre d’élus regroupés autour d’un leader dont l’autorité ne doit souffrir d’aucune contestation. Pour eux, toute délégation de pouvoir, aussi bien à des élus qu’à des cadres de l’administration territoriale risque d’affaiblir l’Exécutif et nuire à une bonne gestion des affaires publiques. Ils s’appuient, pour faire admettre leur point de vue, sur certaines dispositions de la loi de 2011 qui, comme nous l’avons vu, favorise l’Exécutif ; mais aussi sur toutes les imprécisions que comporte cette loi. Ils s’alignent en l’occurrence sur les interprétations que l’on  peut qualifier de littéralistes de leur leader. Pour celui-ci, il ne faut tenir compte que de la lettre d’un texte ; il n’est pas question de se référer à l’esprit de celui-ci. Pas question de considérer qu’il y a des dispositions implicites.

  Et tant pis si cela peut aboutir à des situations qui défient le bon sens et confine à l’absurde ! L’exemple en la matière, c’est la situation du questeur de l’Assemblée. Celui-ci ne dispose pas, en effet, de la questure puisque ses missions relatives aux questions de moyens de travail, de formation et de mise en mission des élus de l’Assemblée sont assurées par l’Exécutif. La loi n’a en effet pas expressément prévu que le questeur gère la questure ! Nous sommes donc la seule assemblée d’une collectivité territoriale  dont le questeur ne dispose que d’un titre honorifique !

 

A côté de ceux qui soutiennent ce fonctionnement par conviction, il y a ceux qui le font par discipline de Parti. Leur nombre  a diminué suite à la crise survenue dans le principal Parti de la Majorité.

 

Il y a aussi ceux qui le font en échange de certains avantages, notamment en matière de soutien politique.

 

   Il y a enfin ceux, également moins nombreux actuellement, qui trouvent plus confortable de faire la politique de l’autruche que de prendre le risque de se faire durement attaquer. Car pour les tenants du pouvoir fort, la moindre critique est considérée comme une mise en cause personnelle du PCE, une trahison et un acte de sabotage de la politique qu’il mène et que l’on ne peut qu’approuver sans réserve. 

 

Et l’État dans tout ça ?

 

Je ne peux cependant terminer l’analyse des causes de la situation des dysfonctionnements qui prévaut à la CTM sans dénoncer la part de responsabilité de l’Etat.

    Elle est évidente s’agissant des conditions dans lesquelles, sous la présidence SARKOZY, a été conçue, rédigée et débattue au Parlement, la loi de juillet 2011. Mais elle n’est pas moindre s’agissant des conditions dans lesquelles l’application de la loi s’est effectuée sous les deux présidents suivants. Car il y a eu de nombreuses démarches effectuées auprès des autorités de l’Etat à tous les niveaux. Elles ont consisté à réclamer des améliorations du texte par le vote d’amendements ou la prise de décrets d’application, ou au moins, l’envoi de circulaires au Préfet, pour mettre fin à l’exploitation des  imprécisions de la loi.  Les seules réponses que l’on ait obtenues se résument à : « Arrangez-vous entre vous » ! C’est très précisément ce que m’a, à deux reprises, conseillé l’actuel Président de la République.

 

Et maintenant que faire ?

 

Après avoir dressé un tel constat, je me dois bien sûr d’évoquer les solutions qui me paraissent envisageables. Avant tout, ce qui me semble-t-il, constitue une évidence, c’est qu’il faut veiller à confier les rênes de la CTM à d’authentique démocrates.

 

   Mais on ne peut, avec un instrument institutionnel tel que je vous l’ai décrit, se reposer sur la confiance que peuvent inspirer des candidats  au pouvoir. Car, croyez-moi, il existe une pathologie du pouvoir : des personnes saines peuvent finir par en être victimes ; des personnes prédisposées, voir déjà plus ou moins atteintes, font rapidement des formes graves, le plus souvent incurables.

 

Il faut donc, pour limiter les risques de dysfonctionnements de la CTM :

  – soit améliorer la loi,

  – soit la remplacer par une autre.

 

Que peut-on faire en matière  d’amélioration de la loi ?

 

1°- On peut, à minima, faire voter par le Parlement quelques amendements de cohérence et de précision. Il faut notamment que soient précisés d’une part :

-a) Les moyens dont doit disposer l’Assemblée :

  • Un budget géré par son président et couvrant toutes les dépenses de fonctionnement de l’Assemblée.
  • Du personnel mis à disposition : un cabinet d’au moins 5 cadres A disposant d’assistants et de secrétaires. Un service de l’Assemblée. Un service des délibérations et un service d’appui aux commissions.
  • Une questure disposant des moyens pour accomplir ses missions au service des élus.
  • Des locaux dédiés.
  • Notons que certains éminents juristes consultés estiment que le Président de l’Assemblée doit disposer de crédits d’investissement pour l’achat de matériel et la maintenance et la réparation des locaux dédiés et doit pouvoir passer des marchés à cette fin.  

– b) Les procédures permettant à l’Assemblée d’exercer ses missions de contrôle.

 2°- Si on veut aller plus loin dans l’amélioration :

 – il faut obtenir une réduction de la prime majoritaire qui, selon moi, ne devrait pas dépasser 5 sièges.

 -il faut amender la procédure de motion de défiance pour qu’elle ne dépende pas seulement d’une crise politique majeure.  Il faut certainement pour cela que les conseillers exécutifs démissionnés puissent retrouver un siège au sein de l’Assemblée.

 

  1. II) Si l’on veut remplacer l’actuelle loi par une autre :

 

-Le plus simple, c’est évidemment d’adopter le « système guyanais » avec un seul président et une commission permanente où l’Opposition est représentée. Un fonctionnement classique de toutes les collectivités territoriales de l’article 73 de la Constitution.

 

 

-Mais on peut aussi envisager de modifier le mode d’élection. Pour éviter une représentation trop morcelée du territoire du type que nous avons connu au Conseil général. Mais éviter aussi les inconvénients du scrutin de liste à la proportionnelle qui rend les élus trop dépendants d’une tête de liste et les éloignent de leurs électeurs, il peut être intéressant de recourir à un scrutin mixte. Je cite souvent un exemple qui me parait intéressant c’est celui de la Principauté d’Andorre ; elle est dotée d’une Assemblée composée pour moitié de membres élus à la proportionnel sur tout le territoire et de moitié de membres élus dans des sortes de cantons appelés paroisses.

   Mais dans la situation actuelle, et à quelques mois des élections territoriales, j’aurai tendance, pour ma part, à choisir ce qu’on a le plus de chance d’obtenir et dans les délais les plus rapides, c’est-à-dire le vote d’une série d’amendements de précisions et de cohérence.

 

   Car il faut que le plus vite possible la nouvelle Majorité puisse disposer d’un instrument institutionnel amélioré.

 

   Cela est indispensable pour lui permettre d’opérer, dans les meilleures conditions possibles, une rupture avec les dérives antidémocratiques, et génératrices d’inefficacités, auxquelles on a assisté à la CTM depuis cinq ans.

 

    Il faut que cette Majorité ait ainsi la possibilité de remotiver un personnel dont le potentiel est actuellement sous-utilisé. La possibilité de mettre beaucoup plus de transversalité  dans la gouvernance de la Collectivité, de libérer l’initiative des élus

 

De donner ainsi un maximum d’efficacité aux politiques menées et de pouvoir être à la hauteur des enjeux des temps difficiles que nous allons connaitre.

 

Claude Lise Président de l’Assemblée de la CTM.

 

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