Le chef de l’État a réuni autour de lui, cette nuit, les ténors de sa majorité pour discuter économies budgétaires. Les prévisions en matière de déficit public sont, en effet, de plus en plus sombres, ce qui semble provoquer un début de panique au sein de l’exécutif. Il paraît de plus en plus clair qu’un effort va être demandé aux collectivités locales. Mais lequel ?
Source : www.maire-info.com – Par Franck Lemarc
C’est une petite musique qui est jouée de plus en plus fort à Bercy et ailleurs. La semaine dernière, il était annoncé que la Cour des comptes a été chargée de rédiger, d’ici le mois de juin, un rapport sur les possibilités de contribution des collectivités à la réduction du déficit public. Ce matin, ce sont plusieurs voix de la majorité qui s’élèvent pour pointer des dépenses « trop importantes » des collectivités et la nécessité pour celles-ci de « participer à l’effort » général.
Réflexion sur de nouvelles économies
Il est désormais certain que les chiffres à venir, en matière de déficit public, vont être encore plus mauvais que le gouvernement le redoutait. L’Insee va publier, mardi prochain, le chiffre officiel du déficit budgétaire pour l’année 2023. Alors que le gouvernement tablait sur 4,9 % du PIB, Bruno Le Maire a avoué il y a 15 jours qu’il serait « significativement » au-dessus de 5 %, et tout porte à croire que le chiffre qui sera révélé par l’Insee, mardi prochain, sera de 5,6 %. C’est une très mauvaise nouvelle pour le gouvernement, qui rend quasiment impossible l’atteinte de l’objectif fixé pour cette année 2024, à savoir un déficit ramené à 4,4 % du PIB.
Le chef de l’État a donc réuni hier, d’abord, plusieurs ministres, pour discuter avec eux des pistes d’économies budgétaires. L’identité de ces ministres laisse peu de place au doute sur les pistes envisagées : il s’agit de Catherine Vautrin (chargée du travail et de la sphère santé/social)… et de Christophe Béchu, ministre de tutelle des collectivités territoriales.
Plus tard dans la soirée, Emmanuel Macron a convié les ténors de la majorité pour un « dîner de travail » qui s’est achevé après minuit, là encore avec l’objectif de réfléchir à des annonces sur de nouvelles économies, puisque l’exécutif reste, pour l’instant, ferme sur sa décision de ne pas augmenter les impôts.
Car pour réduire le déficit, il n’y a que deux solutions : augmenter les recettes ou réduire les dépenses. Côté recettes, le gouvernement excluant d’augmenter les impôts, le seul motif d’espoir passe par « la lutte contre la fraude sociale et fiscale » engagée par le gouvernement, qui consiste à essayer de faire en sorte que « tous ceux qui doivent payer des taxes et des impôts les payent réellement ».
Mais tout porte à croire que la solution qui va être privilégiée – comme le gouvernement l’a déjà entamé avec une première coupe de 10 milliards d’euros dans les dépenses de l’État en février – sera une réduction drastique des dépenses, et des annonces « désagréables ». Les dépenses sociales sont notamment dans le viseur et le chef de l’État dit n’avoir « aucun tabou ». Le gouvernement réfléchit donc à une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, voire à la suppression de certaines prestations sociales.
Une « note » très opportune
Reste la question des collectivités territoriales. Très opportunément, quelques heures avant ce dîner de travail, le député Renaissance Jean-René Cazeneuve a diffusé une note vantant la bonne santé des finances locales (lire article ci-contre) – note dont l’AMF ne partage aucune des conclusions. Sur l’air de « tout va très bien, madame la Marquise », le député du Gers estime que les collectivités sont en bonne santé financière, ce qui est le prélude tout trouvé pour proposer qu’elles « contribuent » à l’effort de réduction du déficit.
Selon les informations glanées par Le Parisien au sortir de ce dîner, les « hauts cadres » de la majorité s’en sont donnés à cœur joie sur ce sujet : « Toutes les études montrent que les collectivités territoriales sont celles qui ont été les plus dépensières ces dernières années. C’est donc qu’il y a de la marge », aurait par exemple expliqué l’un d’eux. « Tant qu’on leur rapporte des recettes, elles le dépenseront », aurait même affirmé un autre, qui semble donc clairement estimer qu’il faut réduire ces « recettes », c’est-à-dire les dotations.
« Comment allez-vous ralentir les dépenses ? »
Interrogé ce matin sur France info, le ministre chargé des Comptes publics, Thomas Cazenave, a souhaité calmer le jeu en affirmant qu’aucune décision n’a été prise à cette heure. Il a expliqué que sa méthode ne consiste pas à « élaborer un budget tout seul dans (son) bureau », mais à demander à « tous ceux qui contribuent à la dépense publique » de « prendre conscience de la nouvelle donne et de faire des propositions ».
Mais sur le fond, la mélodie est la même. « L’État a fait sa part », avec l’annonce des 10 milliards d’économies, a expliqué le ministre – comme si ces économies n’affectaient pas directement les autres acteurs, dont les collectivités. Il faut donc maintenant que « les autres », c’est-à-dire les partenaires sociaux, d’une part, et les collectivités, d’autre part, fassent la leur. « C’est un fait, a asséné Thomas Cazenave : les dépenses des collectivités progressent beaucoup. Bruno Le Maire et moi, nous allons recevoir toutes les associations d’élus en leur disant (…) : comment allez-vous ralentir les dépenses ? ».
Le ton est plus conciliant que les échos rapportés par Le Parisien sur la réunion de l’Élysée, mais une fois de plus, il n’est tenu aucun compte du fait que les collectivités ne sont pour rien dans le creusement du déficit public puisque, faut-il le rappeler une fois de plus, elles sont légalement dans l’obligation de présenter des budgets où recettes et dépenses sont à l’équilibre. Et le gouvernement fait aussi mine d’oublier que « l’effort » du bloc communal a commencé depuis 2010 avec le gel puis la baisse des dotations, qui ont généré 71 milliards d’euros d’économies pour l’État. Sans compter les compensations partielles de la fiscalité locale supprimée, qui ont permis à l’exécutif de réaliser des économies sur ces réformes.
Et comme d’habitude, cette façon de présenter les choses (« comment allez-vous ralentir les dépenses ? » ) est destinée à marteler que les « dépenses » des collectivités sont forcément de la « mauvaise dépense », une forme de gâchis d’argent public. En cherchant à faire oublier que les dépenses des collectivités, en investissement comme en fonctionnement, permettent de faire vivre le service public local et créent, de surcroît, une quantité considérable d’activité économique. À l’heure où le gouvernement redoute une diminution de la croissance, est-il raisonnable de demander aux collectivités de ralentir leurs investissements ?
Que prépare le gouvernement ? Va-t-on aller vers une nouvelle période de baisse des dotations, ou vers un nouveau type de « contrats de Cahors » pour obliger les collectivités à réduire leurs dépenses ? Ou alors, la solution trouvée par le gouvernement sera-t-elle, comme le prône le ministre de l’Économie, de « rationnaliser l’organisation territoriale » en supprimant une strate de collectivités ? Toutes ces questions semblent clairement sur la table, et aucune d’entre elles ne constitue une perspective réjouissante pour les collectivités.