Dans les mois précédant le jour de l’élection présidentielle aux États-Unis, on prédisait que Donald Trump n’accepterait pas le résultat du scrutin en cas de défaite, sèmerait le doute sur la légitimité des votes par correspondance et tenterait de proclamer sa victoire avant que le dépouillement complet des votes ne soit terminé. Jusqu’ici, deux de ces trois prédictions se sont réalisées.
Rien d’extraordinaire à cela, puisque pour jouer les devins, il suffisait… de prendre au pied de la lettre les déclarations du président. Il avait en effet affirmé de façon infondée que les bulletins de vote par correspondance ne seraient envoyés qu’aux électeurs démocrates, et passé des mois à décrédibiliser la procédure de vote par courrier, tentant même de couper les fonds des services postaux américains pour mettre des bâtons dans les roues des Démocrates, plus susceptibles de voter par correspondance.
Lors d’une conférence de presse donnée depuis la Maison Blanche, aux premières heures du 4 novembre, Trump s’est dit prêt à demander à la Cour suprême de faire interrompre le décompte des votes. De façon tout aussi inquiétante, il a prématurément déclaré victoire, et prétendu à tort avoir remporté des États dont les résultats n’étaient pas encore connus, comme la Géorgie et la Pennsylvanie.
Une déclaration prématurée
Si de telles manœuvres sont rares dans une démocratie libérale, la proclamation prématurée d’une victoire est une constante des régimes non démocratiques, notamment présidentiels. Comme le montrent mes recherches, l’une des caractéristiques les plus fréquentes des régimes autoritaires est l’adoption d’institutions formellement démocratiques qui leur permettent de justifier leur maintien au pouvoir tout en faisant mine de donner satisfaction aux demandes de démocratisation émanant de leur population et de la communauté internationale.
Depuis la fin de la guerre froide, les observateurs internationaux ont rendu la tâche plus difficile aux autocrates qui tentent de frauder. Ceux-ci doivent donc recourir à d’autres moyens pour s’assurer de remporter les élections sans les truquer de façon trop évidente, et s’appuyer sur toutes sortes d’irrégularités plutôt que sur la fraude à proprement parler. Outre les habituelles agressions physiques d’opposants, le contrôle des médias et la nomination de personnes de confiance à la tête des commissions électorales, les dirigeants de régimes autoritaires sont prompts à déclarer leur victoire lors de scrutins aux résultats serrés.
En Turquie, Recep Tayyip Erdoğan s’est empressé de se proclamer vainqueur de l’élection présidentielle de juin 2018, avant même que tous les votes aient été comptés et le résultat ratifié par la commission électorale. Le « règne » d’Erdoğan constitue l’un des exemples les plus flagrants de dérive autoritaire du pouvoir exécutif et de recul de la démocratie. Sous sa férule, la Turquie voit ses droits civils menacés et son système judiciaire politisé.
En 2013, quand l’autoritarisme du gouvernement vénézuélien ne faisait pas encore consensus, l’héritier politique d’Hugo Chávez, Nicolas Maduro, a remporté de justesse l’élection présidentielle avec une marge de moins de 2 %. Le candidat n’a pas perdu de temps pour crier victoire, déclenchant les protestations de l’opposition qui a exigé un recomptage des voix. En 2018, M. Maduro a « remporté » les élections avec une marge beaucoup plus importante ; là encore, l’opposition a remis en question la validité des résultats.
Autre exemple : la Côte d’Ivoire, qui vient de traverser une séquence électorale troublée. Suite au boycott du scrutin par l’opposition, le président Alassane Ouattara a pu être réélu avec 94 % des voix d’après les résultats provisoires annoncés le 3 novembre.