L’épidémie mondiale du Covid-19 a largement interrogé le modèle du secteur pétrolier. À la crise sanitaire s’est superposée une crise des prix du baril. Au pire de l’effondrement de la demande en or noir, en avril, des prix négatifs du baril ont été enregistrés sur le marché américain. Un épiphénomène qui n’a fait que mettre en exergue une fragilité structurelle des entreprises pétrolières face à la transition énergétique.
Lors des Assemblées générales, les dirigeants ont été largement interrogés sur l’avenir du pétrole, sur les renouvelables, sur les politiques climat. Les géants américains veulent soutenir leur modèle traditionnel en misant sur une part prépondérante des fossiles à l’avenir. Les pétroliers européens s’engagent doucement mais sûrement vers la transition énergétique ne faisant plus du pétrole l’alpha et l’oméga de leur business model. Deux voix l’illustrent celle de Darren Woods, PDG d’ExxonMobil et celle de Patrick Pouyanné, PDG de Total.
LE PÉTROLE EN 2040
“Nos fondamentaux à long terme demeurent forts et inchangés. Les économies vont repartir. La demande d’énergie va augmenter de 20 % dans les deux prochaines décennies.” *
Pour Darren Woods, le PDG depuis 2017, l’avenir du secteur pétrolier et gazier s’annonce radieux. Celui-ci reste accroché à sa stratégie à long terme basée sur une demande d’énergie qui “va continuer d’augmenter de 20 % dans les deux prochaines décennies“. Il martèle que la transition énergétique se fera avec le pétrole et le gaz qui, dans un scénario à 1,5° de réchauffement, “devraient représenter plus de 40 % des besoins d’énergie d’ici 2040“. Et Exxon veut sa part ! Le pétrolier veut donc continuer à développer de nouvelles capacités de production de pétrole.
“Le pic de la demande de pétrole va être atteint vers 2030 et ensuite elle va se stabiliser ou être légèrement inférieure“*
Pour Patrick Pouyanné, la transition énergétique n’est pas l’affaire d’un “grand soir“. C’est un processus qui demandera des investissements “sur 15 ou 20 ans“, mais il est inéluctable en particulier à la faveur de la transition de la motorisation thermique vers le véhicule électrique. Dans le cas du pétrolier français, cela se traduit par des prévisions de changement radical du mix énergétique. En 2017, l’entreprise réalisait son chiffre d’affaires à 66 % grâce au pétrole, 33 % avec le gaz et moins de 1 % avec l’électricité. En 2040, le pétrole (dont les biocarburants) représentera 20 %, le gaz et le gaz vert 40 % et les “électrons verts” 40 %.
LES PÉTROLIERS, PRODUCTEUR D’ÉNERGIES RENOUVELABLES
“Les énergies renouvelables ont un rôle important à jouer, mais ne sont pas suffisantes pour fournir de l’énergie moins émettrice” *
Pour l’américain, c’est un non catégorique. La production d’énergie renouvelable, “cela serait un nouveau métier, qui consisterait à descendre dans la chaîne de valeur“. ExxonMobil déclare néanmoins travailler sur des technologies de réduction des gaz à effet de serre, mais toutes basées sur les énergies fossiles. Le pétrolier concentre sa R&D sur trois secteurs : les transports pour lesquels il développe notamment de nouveaux biocarburants, la production d’énergie moins émettrice, en développant des procédés de capture du CO2 moins chers, et les procédés industriels.
“Nous avons la ferme conviction que la stratégie bas carbone représente un avantage compétitif créateur de valeur à long terme“*
Total est engagé depuis plusieurs années dans le solaire et les batteries, désormais également dans l’éolien offshore. Lors de l’assemblée générale, le PDG a rappelé l’objectif fixé en 2019 de 25 GW d’énergies renouvelables en 2025 (un peu plus de 8 GW aujourd’hui). Si le PDG n’hésite pas à invoquer “le combat pour le changement climatique“, il fait aussi appel à un certain pragmatisme : “Des contrats d’énergies renouvelables sur 15 ans avec des prix garantis (…) contribuent à la solidité et à la résilience du portefeuille“. Pour Patrick Pouyanné, cela doit aussi permettre de revaloriser Total sur les marchés comme une entreprise du “nouveau monde de l’énergie“, sachant que les pétroliers ont beaucoup perdu en valeur ces dernières années.
LA NEUTRALITÉ CARBONE, COMME AXE STRATÉGIQUE
“Cela nécessitera des changements importants des réglementations, des préférences des clients et de la demande. On ne peut pas le piloter mais on peut y participer.” ExxonMobil
Pas question de se fixer un objectif de neutralité carbone pour le groupe américain. Pour Exxon, la neutralité carbone est du ressort des politiques gouvernementales et des préférences des clients. “On ne peut pas la piloter, mais on peut y participer“, assure toutefois Darren Woods, le PDG. Il se repose pour cela sur l’ambition de fournir des énergies moins émettrices. ExxonMobil fonde beaucoup d’espoirs sur une technologie de capture du CO2 dans l’air qui, si elle aboutit, “pourrait changer le cours des émissions dans le monde et pourrait en fait conduire à des secteurs à émissions négatives“.
“En tant qu’entreprise européenne (nouveau statut voté en AG, ndr), Total soutiendra activement les politiques de neutralité carbone, y compris les politiques de tarifications du carbone“
Total aura mis du temps à prendre des objectifs clairs. Mais la pression mise à travers l’engagement actionnarial de Climate Action 100+ entre autres a poussé le groupe français à dévoiler une nouvelle politique climat visant la neutralité carbone en 2050 allant “de l’extraction jusqu’à l’utilisation de nos produits par nos clients“. La principale solution avancée par le PDG est le recours à des puits de carbone, “essentiellement ceux fondés sur la nature (comme la reforestation, ndr) ou le captage, le stockage et la valorisation du carbone“.
Arnaud Dumas @ADumas5 et Ludovic Dupin @LudovicDupin
*Les citations sont extraites des Assemblées générales d’ExxonMobil le 27 mai 2020, et de Total du 29 mai 2020.