Joe Biden, à la Maison Blanche, le 24 février 2021. 

Le président des Etats-Unis a signé un décret présidentiel afin de sécuriser les filières d’approvisionnement américaines des puces, des batteries, des principes actifs de médicaments et métaux rares face à la Chine 

Par Arnaud Leparmentier(New York, correspondant)

JONATHAN ERNST / REUTERS

Début février, à Kansas City, General Motors a fermé son usine d’assemblage de Chevrolet Malibu et de Cadillac XT4. Dans la même ville, Ford est passé de deux à trois équipes dans l’usine de fabrication de pick-up F-150. En cause, la pénurie de microprocesseurs, qui affecte la planète entière. Ruée sur l’électronique grand public pendant l’épidémie de Covid-19, rebond plus fort qu’attendu dans l’automobile consommatrice de puces électroniques et trop grande dépendance vis-à-vis de l’Asie (Corée du Sud, Japon, Chine, Taïwan) : voici les ingrédients qui font que les usines automobiles américaines sont en partie à l’arrêt, au grand dam du président Joe Biden, qui a axé une grande part de sa campagne électorale sur le soutien aux grands constructeurs traditionnels américains et à l’électorat syndiqué.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  « La bataille des terres rares passe par la relance de la production hors de Chine »

De fait, le président des Etats-Unis a convoqué à la Maison Blanche en grande pompe une dizaine de sénateurs, républicains et démocrates, pour bien montrer que l’affaire dépassait les clivages partisans, et signé, mercredi 24 février, un décret présidentiel pour sécuriser les filières d’approvisionnement américaines. Il lance pour cela une étude, qui va durer cent jours, concernant trois autres domaines décisifs : les batteries électriques, les terres rares, qui entrent dans la production des matériaux modernes, et les produits pharmaceutiques. La fabrication de 70 % des principes actifs pharmaceutiques aurait été délocalisée, selon la Maison Blanche.

Humiliés

Les Américains furent humiliés de manquer de masques au début de la pandémie, lorsque les Chinois ont réorienté leur production vers leur propre population. « Les Américains ne devraient jamais faire face à des pénuries de biens et de services sur lesquels ils comptent, que ce soit leur voiture, leurs médicaments sur ordonnance ou la nourriture de l’épicerie locale », a déclaré le président Biden, mercredi, relançant ainsi les hostilités avec la Chine, sans la nommer. « Nous ne devrions pas avoir à compter sur un pays étranger  en particulier un pays qui ne partage pas nos intérêts ou nos valeurs  pour protéger et subvenir aux besoins de notre population en cas d’urgence nationale. »

Les démocrates du Congrès sont derrière le président. Le New-Yorkais Chuck Schumer, leader de la majorité démocrate au Sénat, a annoncé son intention de déposer un projet de loi pour « gagner la compétition contre la Chine et créer de nouveaux emplois américains ». Le texte est censé encourager les investissements dans les semi-conducteurs, qualifiés de « point faible dangereux de notre économie », ainsi que la 5G, l’intelligence artificielle et la recherche biomédicale.Article réservé à nos abonnés Lire aussi  « L’Amérique de Joe Biden s’apprête à défendre son rang de première puissance économique mondiale »

Les semi-conducteurs sont le nerf de la guerre technologique face à la Chine. Les Américains ont constaté avec satisfaction que les Chinois n’étaient pas encore au niveau : leurs constructeurs téléphoniques Huawei et ZTE ont été lourdement handicapés lorsque l’administration Trump a décidé de leur bloquer l’accès aux puces les plus modernes. L’administration Biden est sur la même ligne, qui veut les empêcher de rattraper leur retard.

Les Américains connaissent, eux aussi, des difficultés, depuis que le champion national Intel s’est laissé distancer par des concurrents coréens (Samsung) et taïwanais (Taiwan Semiconductor Manufacturing Company) pour la production physique des microprocesseurs les plus performants (de nombreux groupes américains ne font que leur conception). Ce problème était connu sous Donald Trump : en juin 2020, des parlementaires américains des deux bords avaient proposé d’aider les fabricants de semi-conducteurs à hauteur de 20 milliards de dollars pour qu’ils produisent sur le sol américain.

Toutefois, la pénurie actuelle n’a pas grand-chose à voir avec la course technologique en cours : les microprocesseurs dont manque cruellement l’industrie automobile ne sont pas les plus puissants, ils étaient largement produits par le premier fabricant chinois SMIC, mais cette entreprise, qui avait besoin d’équipement américain, s’est vu imposer des sanctions commerciales par l’administration Trump, ce qui n’a pas amélioré la pénurie mondiale. Les Américains sont donc en partie responsables de leur infortune.https://platform.twitter.com/embed/Tweet.html?dnt=false&embedId=twitter-widget-0&frame=false&hideCard=false&hideThread=false&id=1364691620516360194&lang=fr&origin=https%3A%2F%2Fwww.lemonde.fr%2Feconomie%2Farticle%2F2021%2F02%2F25%2Fjoe-biden-veut-muscler-le-buy-american-act_6071142_3234.html&siteScreenName=lemondefr&theme=light&widgetsVersion=889aa01%3A1612811843556&width=550px

Pour le moment, l’administration Biden n’a levé aucune des sanctions imposées à Pékin. Toutefois, différence majeure avec Donald Trump, le président mentionne sans cesse la coordination avec les alliés et ses équipes sont en discussion avec Taïwan pour résoudre la crise. « Nous contactons nos alliés, les sociétés de semi-conducteurs… pour accélérer la production afin de nous aider à résoudre les goulets d’étranglement », a-t-il déclaré.

Relocaliser

Entre préoccupations sécuritaires et protectionnisme, la ligne de crête est étroite. Certes, les Chinois mettent les bouchées doubles dans la voiture électrique, mais les Américains sont bien pourvus. Il ne suffit pas aux Etats-Unis d’être la patrie de Tesla, leader mondial du secteur, qui exploite dans le Nevada, avec le japonais Panasonic, une usine géante de batteries. « Alors que les Etats-Unis sont un exportateur net de véhicules électriques, nous ne sommes pas le leader dans la chaîne d’approvisionnement associée à la production de batteries. Les Etats-Unis pourraient mieux profiter de leurs réserves de lithium et de leur savoir-faire industriel pour étendre leur production nationale », écrit la Maison Blanche.

Le secteur des terres rares, est plus complexe à reconquérir : elles contiennent des matériaux indispensables dans l’informatique, l’aéronautique et tous les matériaux modernes

Ainsi Joe Biden, avec son projet « Build Back Better », poursuit la stratégie engagée par Donald Trump sous le slogan « Make America Great Again ». On est en rupture complète avec le slogan inscrit au dos des iPhone d’Apple : « Conçu en Californie, assemblé en Chine ». C’est toute la chaîne de production que le président des Etats-Unis entend relocaliser.

Le quatrième secteur, celui des terres rares, est plus complexe à reconquérir : ces terres, qui ne sont pas rares, contiennent des matériaux indispensables dans l’informatique, l’aéronautique et tous les matériaux modernes. Mais ceux-ci sont présents en quantité faible, ce qui exige d’exploiter des mines gigantesques, peu rentables, avec en corollaire une pollution forte. Sans surprise, ce sont les Chinois qui fournissent plus des trois quarts de la production mondiale.

De nouveau, Joe Biden marche dans les pas de Donald Trump, qui avait commencé à s’attaquer au dossier. Le Pentagone avait décidé, sous son règne, de financer MP Materials. Cette entreprise a racheté la mine de Mountain Pass, au nord du désert de Mojave en Californie, qui était jusque dans les années 1980 le premier producteur mondial de terres rares. Les Américains ont compris leur vulnérabilité lorsque les Chinois menacèrent de sanctionner le groupe aéronautique et militaire Lockheed Martin. L’action MP Materials a bondi de 14,5 % mercredi, mais l’administration Biden risque de se heurter aux préoccupations environnementales de ses partisans.

Arnaud Leparmentier(New York, correspondant)

Partager.

Comments are closed.

Exit mobile version