L’échange verbal qui a opposé Daniel Boukman, créoliste avéré à De Jaham, apôtre de « Tous créoles », relève moins d’un divorce que d’un malentendu, ce qui est pire. Venu porteur d’une pancarte contre l’épandage aérien, il ne vise que par la bande moins le De Jaham de « Tous créoles » que le descendant des colons « béké ». Et sous quelque angle qu’on l’envisage, ce malentendu reste une méprise.
Sous l’angle de la langue et de la culture créoles, Boukman est trop marqué de culture « classique » pour ignorer que tout le monde est le créole d’un natif-natal, d’un autochtone : le français, l’espagnol, le portugais, le roumain sont les « créoles » du latin des troupes de Jules César ; les langues anglo-saxonnes sont les créoles d’une matrice celte, etc… Le sensible auteur de « Chant pour hâter la mort du temps des Orphées» a poussé sa résilience jusqu’à endosser le nom d’un esclave haïtien révolté et refuser de faire partie des troupes colonisatrices, lors de la Guerre d’Algérie
Sous l’angle de l’histoire, le continent américain, en recevant les déshérités de l’Europe, puis les déracinés de l’Afrique, ne pouvait que développer une culture créole, au sens où « créole » connote ce qui est né dans la colonie, loin des terreaux originels. C’est la puissante leçon qui nous vient du Jazz, lequel, en terre de migration volontaire (comme les békés ») ou forcée, (comme les Africains), n’est pas plus africain qu’européen, il est la musique d’un peuple mixte : »Tous créoles ».
Nous sommes donc, tous des créoles, des produits de la colonie d’accueil ou d’atterrissage. Nous sommes devenus, après l’extinction des premiers autochtones Amérindiens, les nouveaux autochtones, tous par droit du sol, et non par la naissance.
Si, comme nous invitent à l’envisager, sous des angles d’approches différents, et Bernabé et Cyrulnick, et Charles-Nicolas, nous considérons la résilience sous l’angle de la performance sportive, comme une prise d’élan sur la planche du trauma pour « rebondir », Boukman et De Jaham, rebondissent, chacun à sa manière, mais dans deux disciplines différentes : l’un, au terme de la trajectoire verticale d’un saut en hauteur, retombe près de sa planche d’élan. Il aura promu, en hauteur, sa langue et sa culture (et cette trajectoire semble celle des artistes, bondir vers la lumière, ou vers le ciel). L’autre, au terme de la trajectoire parabolique d’un saut en longueur, retombe 7 ou 8 mètres plus loin. cherche à prendre des distances historiques, longitudinales, par rapport au passé. Et Jean Bernabé, le Pape du créole, l’a lui-même confirmé : c’est ce rebond en longueur qui a permis à Césaire de retomber, plus loin que le négritude dépassée, dans la fraternité universelle.
«Tous créoles », à sa manière, est une invitation active et volontariste à l’universelle fraternité de tous les fils de la terre martiniquaise, toutes « races confondues ».
Joseph Jos