Pour sa troisième édition, La Martinique Ensemble va distinguer des talents martiniquais. Ce jeudi, cinq personnes seront mises à l’honneur, pour leurs initiatives tant originales que ingénieux. La cérémonie Yo Fe’Y est « l’ocasion de rappeler la place dans notre histoire des faits culturels et identitaires de notre pays ». Catherine Conconne, chef de file du groupe politique La Martinique Ensemble, raconte les tenants et les aboutissants d’un événement comme Yo Fe’Y.
Comment est né Yo Fe’Y ?
Dans notre déclaration de création, nous avons mis beaucoup en avant à La Martinique Ensemble, tout ce qui doit faire notre fierté. Cette fierté, c’est aussi ce que produisent les Martiniquais malgré les difficultés, l’éloignement du centre d’approvisionnement. On arrive quand même à produire de très belles choses autour d’initiatives. On en parle très peu. Globalement, on a surtout tendance à parler de faits divers tragiques, de problèmes, de grève et ces Martiniquais passent sous les radars. Via ce prix, nous avons voulu encourager la création et la production martiniquaises. Chaque année, nous remettons à 5 ou 6 lauréats.
Comment dénichez-vous les talents que vous récompensez ?
On va chercher au fil de nos rencontres ou de nos visites de terrain des gens qui ont fait des choses extraordinaires dans un pays où ce n’est pas facile. Cette année par exemple, nous mettons à l’honneur un jeune martiniquais dont la mère a un élevage. Ce jeune a décidé de se former pour transformer la viande. Il a monté une boucherie très originale. Elle ne ressemble à aucune autre en Martinique. Il accommode la viande martiniquaise de façon très originale pour sortir des coupes traditionnelles. Une autre lauréate, Magali Cléry perd son emploi à la suite de la crise de 2009. Elle ouvre par la suite une exploitation avec des chèvres et fabrique l’unique fromage fait en Martinique. Elle arrive même à diversifier ses produits.
Vous ne distinguez pas que les jeunes entrepreneurs. Pourquoi ?
En 2022, nous avons récompensé la Comia. C’est la véritable première entreprise de transformation agro alimentaire de la Martinique. Comia a aujourd’hui 45 ans. Les fondateurs, Marcel Osenat et Alex Bilas, ne sont pas loin d’avoir 80 ans. Leurs enfants ont pris la relève. Nous ne distinguons pas uniquement les jeunes mais tous ceux qui font la Martinique. Investir et créer ici n’est pas faciles y compris avoir accès aux financements. Nous identifions pendant toute l’année au travers de nos rencontres de terrain des personnes qui nous racontent leur parcours.
Comment mettez-vous en valeur la culture locale ?
Des personnes comme Alex Bilas et Marcel Osenat n’ont quasiment jamais eu de reconnaissance. On ne les avait jamais vraiment mis en valeur. Chaque année en toile de fond, on illustre ce moment avec un élément de création de notre patrimoine propre à la Martinique. La première année, il était fait honneur à la biguine qui est une création 100% martiniquaise. Nous avions fait intervenir Valérie-Ann Edmond-Mariette, doctorante en Histoire à l’université des Antilles. Un orchestre illustrait de sa musique la conférence de Valérie-Ann Edmond-Mariette. L’an dernier, nous avons fait la part belle au carnaval martiniquais. Il est unique au monde dans sa spontanéité et son désordre apparent. Cette année, ce sera le bélè. Il y en a trois types, celui qui se jouait et dansait dans les habitations du sud, celui du nord, et le bélè Bas Pwent.
Yo Fe’Y est-elle une invitation pour le retour au pays ?
Tous les lauréats, sauf une qui fait des va et vient, habitent ici. Ce message traverse l’océan pour un jeune dans l’Hexagone qui a un savoir-faire et qui a envie d’entreprendre. Il y en a qui regardent nos publications et cela les interpelle. Cela doit donner envie aux Martiniquais d’ici et de l’Hexagone. Nous avons un beau pays, nous en sommes fiers. Même au milieu de grandes difficultés, se faire financer, assurer ses stocks, la Martinique peut produire des choses originales. Les biscuits haut de gamme place Hurrard font un carton et sont dignes d’être vendus chez Fauchon et d’autres épiceries fines réputées et c’est fait au François en Martinique. L’an dernier, nous avions mis en valeur Man’Nicol. Une dame qui avait perdu son emploi et qui a alors décidé de faire du boudin. C’est devenu aujourd’hui une jolie industrie.
Comment se déroule la cérémonie ?
On remet aux lauréats un très beau trophée en verre soufflé que l’on fait faire par Robert Manscour. C’est lui qui confectionne nos trophées qu’il améliore d’année en année. Ce sont des entrepreneurs qui n’ont pas forcément besoin d’accompagnement mais s’ils sont en difficultés et qu’ils nous recontactent, ce qui est déjà arrivé, nous les accompagnons et leurs ouvrons des portes.
Que voulez-vous transmettre à travers Yo Fe’Y ?
La fierté, la confiance en soi, l’envie de faire, l’envie de prendre des initiatives, c’est cela le message. La mise en lumière est bien pour eux parce que ce sont des personnes qui ont droit à la reconnaissance. Quand on est entrepreneur et que l’on a des doutes sur la direction à prendre, voir des Martiniquais comme vous-mêmes disent « bravo, continuez ! », c’est un capital confiance extraordinaire. Je connais peu de cérémonies dans lesquelles on distingue les entrepreneurs martiniquais. Nous sommes un parti politique. On s’attend toujours à nous trouver sur des terrains électoraux à parler de politique au sens propre du terme. Mais un parti politique qui prône la fierté martiniquaise doit aussi le montrer. L’an dernier, nous avons mis en lumière les frères Bernard qui ont été rejoints par leurs enfants. Nous les avons mis à l’honneur. Ils ont une discographie extraordinaire. On allait aux concerts de Fal Frett. Les frères Bernard sont toujours là, ils continuent de se produire.
La transmission est-elle importante pour vous ?
Il y a parfois de très belles entreprises en Martinique qui meurent faute de repreneur. Je prends le cas de la Comia où les enfants des fondateurs ont repris l’affaire, c’est extraordinaire. La transmission est importante. Nous sommes de moins en moins nombreux, la baisse démographique est là. Man’Nicol commence à prendre des jeunes qui travaillent avec elle pour prendre la relève.
Il s’agit de la troisième édition. Doit-on s’attendre à la voir se pérenniser ?
On a organisé la première édition en 2022, sortie un peu de ma tête. Je me disais qu’il nous fallait nos légions d’honneur à nous. Donc nous avons fait Yo Fe’Y qui a tout de suite rencontré le succès. C’est gratuit pour les lauréats. Nous utilisons les cotisations du parti pour payer la manifestation. Elle nous coute 5000 à 6000 euros chaque année. Mais cela fait partie de nos dépenses, c’est budgété. Cela donne du sens à notre ambition politique. Il ne s’agit pas seulement de parler ou d’écrire notre ambition, il s’agit de le montrer. Si nous avions plus de moyens, nous aurions rempli l’Atrium ! (rires) Je parle de mon pays toujours avec des superlatifs. On a tellement tendance à être dans le superlatif contraire donc moi, je suis dans le superlatif positif. Quand je parle de la Martinique, je dis toujours : « Bienvenue dans le plus beau pays du monde. Je veux qu’on aime ce pays là car quand on aime quelque chose, on ne le casse pas, on ne le brûle pas, on ne le salit pas. C’est primordial d’aimer le pays. La Martinique regorge de créations. En quatre siècles d’existence, on a fait des choses extraordinaires.
Propos recueillis par Laurianne Nomel