“Etre conscient de la difficulté permet de l’éviter.”
Lao-Tseu
La problématique de la vie chère est de nature structurelle, et donc ne peut être réglée par des mesures conjoncturelles et limitées dans le temps, telles que la baisse au demeurant illusoire des marges,la péréquation financière, la continuité territoriale trop coûteuse , la baisse de l’octroi de mer et de la TVA contre productive à moyen terme . Ce ne sont là que des cautères sur une jambe de bois !
La problématique de la vie chère en Guadeloupe et en Martinique est l’un des principaux facteurs de tensions sociales et économiques dans ces territoires. Ce phénomène, qui pèse lourdement sur le quotidien des habitants, trouve ses racines dans des dysfonctionnements structurels profonds qui nécessitent une refonte complète du modèle économique et social pour être résolus. Toute solution durable à cette question doit passer par un changement de paradigme qui prenne en compte les spécificités locales, notamment la dépendance économique, les monopoles de distribution, les inégalités sociales et le cadre législatif particulier des départements d’outre-mer.La première raison pour laquelle la solution à la vie chère passe par une refonte structurelle tient à la forte dépendance économique des Antilles françaises vis-à-vis de la France métropolitaine. Une part importante des biens de consommation, qu’il s’agisse de nourriture, de produits manufacturés ou même de services, est importée, principalement de l’Hexagone. Cette dépendance entraîne des surcoûts importants liés au transport, mais aussi à l’absence de concurrence locale dans certains secteurs. En conséquence, les prix des produits de première nécessité sont souvent beaucoup plus élevés qu’en métropole. Pour remédier à cette situation, il est impératif de repenser la structure économique des îles en encourageant le développement de filières locales capables de produire une partie des biens consommés sur place. Cela suppose un soutien accru à l’agriculture locale, à l’artisanat et aux entreprises locales, mais aussi une meilleure intégration économique avec les voisins caribéens, ce qui pourrait permettre de diversifier les sources d’approvisionnement et de réduire les coûts.Ensuite, le modèle de distribution monopolistique qui prévaut dans ces territoires est un autre facteur structurel de la vie chère. Une poignée de grandes entreprises, souvent issues de groupes métropolitains ou d’oligarchies locales, contrôlent les circuits d’importation et de distribution, ce qui leur permet de fixer les prix de manière quasi arbitraire. Ce manque de concurrence réelle dans certains secteurs de l’économie, comme la grande distribution, freine la baisse des prix et limite le pouvoir d’achat des consommateurs. Pour briser ce modèle, il est nécessaire de repenser la régulation du marché et d’encourager l’émergence de nouvelles entreprises locales capables de concurrencer les monopoles en place. Cela pourrait passer par des réformes fiscales et des incitations à l’entrepreneuriat, ainsi que par un encadrement plus strict des pratiques anticoncurrentielles.De plus, la question de la vie chère est indissociable de l’inégalité des revenus et de la précarité sociale qui caractérisent la Guadeloupe et la Martinique. Les inégalités de revenus sont particulièrement marquées dans ces territoires, avec une fracture entre les classes sociales les plus favorisées, souvent employées dans la fonction publique ou dans des secteurs protégés, et les classes populaires, confrontées à un marché de l’emploi précaire et à des salaires souvent bas. Ces inégalités aggravent les tensions sociales et accentuent la perception d’une économie injuste et inéquitable. Pour résoudre cette question, une refonte du modèle social est nécessaire, avec des politiques plus ambitieuses en matière de redistribution des richesses, d’accès à la formation et d’égalité des chances. Il est essentiel de repenser le rôle de l’État dans ces territoires, non pas uniquement comme un pourvoyeur de transferts financiers, mais comme un acteur facilitant le développement de structures économiques autonomes et résilientes.En outre, les spécificités législatives des départements d’outre-mer, qui incluent des dispositifs tels que l’octroi de mer ou certaines formes d’exonérations fiscales, contribuent à renforcer la vie chère en protégeant certains secteurs économiques de la concurrence extérieure. Bien que ces dispositifs visent à protéger les industries locales, ils ont souvent pour effet pervers de maintenir des prix élevés en raison d’une faible concurrence et d’une faible incitation à l’innovation et à l’amélioration de la productivité. La refonte du modèle économique doit donc inclure une réévaluation de ces dispositifs afin de mieux encourager la compétitivité locale tout en favorisant une baisse des prix.Enfin, la question de la vie chère ne peut être résolue sans une vision à long terme du développement durable. Les Antilles françaises sont confrontées à des enjeux environnementaux majeurs, notamment liés aux changements climatiques, à la gestion des ressources naturelles et à la protection de la biodiversité. Un modèle économique basé sur une exploitation intensive des ressources ou une dépendance excessive aux importations est incompatible avec ces défis. La solution à la vie chère doit donc inclure une transition vers une économie plus durable, basée sur l’exploitation raisonnée des ressources locales, le développement des énergies renouvelables et la promotion d’une agriculture respectueuse de l’environnement. Ce modèle plus durable pourrait, à terme, réduire les coûts pour les habitants tout en assurant une meilleure résilience face aux crises économiques et climatiques à venir.
Les Antilles françaises, la Guadeloupe et la Martinique, se trouvent depuis longtemps dans une situation économique qui, malgré de nombreux efforts, semble ne jamais aboutir à des solutions satisfaisantes. À chaque crise ou mouvement social, les mêmes maux sont dénoncés : chômage endémique, inégalités criantes, dépendance économique, vie chère et dysfonctionnements structurels. Mais pourquoi l’analyse macroéconomique semble-t-elle si déficiente dans ces territoires ? Pourquoi les politiques publiques peinent-elles à apporter des réponses durables et structurantes ? Pour tenter de comprendre, il est nécessaire d’examiner les dynamiques économiques spécifiques des Antilles françaises, mais aussi de s’interroger sur la manière dont la macroéconomie est appliquée dans ces territoires ultra-marins.La première caractéristique fondamentale de l’économie guadeloupéenne et martiniquaise est leur dépendance à la métropole. Les deux îles fonctionnent largement sur le modèle d’une économie de rente, où l’essentiel des revenus provient de transferts publics de l’État. Ces transferts prennent la forme de subventions, de salaires pour les fonctionnaires, mais aussi de programmes sociaux qui visent à compenser une production économique locale insuffisante. En effet, les structures productives locales sont faibles, marquées par une forte dépendance aux importations et un tissu industriel réduit. La production agricole, bien qu’historiquement centrale avec des monocultures comme la banane ou la canne à sucre, est en déclin. Cette situation place les territoires dans une dépendance extrême vis-à-vis de l’extérieur, notamment de la France hexagonale, rendant ainsi leur économie vulnérable aux fluctuations des politiques publiques et des marchés internationaux.Dans ce contexte, l’analyse macroéconomique classique, telle qu’elle est enseignée et pratiquée dans des économies de marché plus autonomes, semble mal s’appliquer. Les outils standards de la macroéconomie, qui cherchent à modéliser les interactions entre production, consommation, inflation et chômage, perdent de leur pertinence dans une économie où les flux financiers sont essentiellement externes. Les indicateurs économiques, tels que le PIB, le taux de chômage ou le niveau d’inflation, ne reflètent qu’une partie de la réalité. Par exemple, le chômage dans ces territoires dépasse régulièrement les 15 à 20 %, un chiffre qui en Europe continentale serait synonyme de crise, mais qui dans les Antilles perd de sa signification lorsqu’une part importante de la population vit de revenus sociaux ou d’une économie informelle. Ainsi, l’analyse macroéconomique classique échoue à saisir la complexité des dynamiques économiques locales et des solutions alternatives doivent être envisagées pour adapter cette grille de lecture aux spécificités de ces régions.Un autre facteur expliquant la faiblesse de l’analyse macroéconomique en Guadeloupe et Martinique réside dans la structure sociale. Ces territoires sont marqués par de profondes inégalités, à la fois historiques et actuelles, qui rendent toute tentative d’analyse économique plus difficile. Les inégalités de revenus entre les natifs des îles et les métropolitains installés localement sont flagrantes, tout comme les écarts entre le secteur public et le secteur privé. Le poids des fonctionnaires, qui représentent une proportion élevée des emplois dans ces îles, fausse la perception des problématiques économiques locales. Tandis qu’une partie de la population bénéficie de la stabilité de l’emploi public et des salaires souvent plus élevés qu’en métropole, une autre partie est confrontée à la précarité, à l’instabilité et à des difficultés croissantes à joindre les deux bouts. Cela génère un sentiment d’injustice et d’inégalité, qui se traduit régulièrement par des mouvements sociaux violents, comme les grèves générales ou les émeutes. Les tensions sociales deviennent ainsi un indicateur économique à part entière, souvent oublié par les analyses macroéconomiques traditionnelles.La question du coût de la vie est un autre élément qui échappe souvent à l’analyse macroéconomique classique. La vie en Guadeloupe et en Martinique est nettement plus chère qu’en France métropolitaine, notamment en raison de la dépendance aux importations. Les produits de première nécessité, comme la nourriture, les carburants ou les matériaux de construction, sont majoritairement importés, entraînant des coûts supplémentaires liés au transport. Alors le combat contre la vie chère est -t-il mission impossible ?
La situation financière actuelle de la France rend effectivement difficile la mise en œuvre de mesures coûteuses, pour lutter contre la vie chère comme celles envisagées pour la Martinique et potentiellement applicables pour l’ensemble des territoires d’outre-mer . Ainsi , L’État pourrait tenter de financer ces mesures en réallouant des ressources à l’intérieur du budget la mission outre-mer . Cela impliquerait des choix difficiles, notamment des réductions dans d’autres domaines (santé , éducation, social , aides économiques, etc ) pour financer ces nouvelles mesures. Mais le gouvernement doit également tenir compte des tensions sociales importantes dans les territoires d’outre-mer. La crise de 2009 en Martinique, Guadeloupe et d’autres territoires avait déjà montré les dangers d’une mauvaise gestion de ce type de crise. Mais ne pas répondre aux revendications pourrait exacerber les tensions sociales et entraîner des perturbations économiques encore plus coûteuses à court -moyen -long terme. Cependant à très court terme, cela semble mission impossible. La marge de manœuvre financière de l’État français est très limitée dans le contexte actuel. Il sera difficile de financer des mesures coûteuses comme la suppression de la TVA, la mise en œuvre de la continuité territoriale ou la péréquation pour le fret maritime sans aggraver encore le déficit public ou la dette. Toutefois ceci paraît impossible en un court laps de temps, aussi je crains fort des grincements de dents et des craquements propices à de nouvelles turbulences au niveau du front de la lutte des activistes et syndicats. Cette situation accentue l’impression d’une économie dysfonctionnelle et génère une frustration sociale immense. Pourtant, cette réalité est rarement prise en compte de manière adéquate dans les analyses économiques, qui se concentrent sur des agrégats tels que l’inflation sans tenir compte de la spécificité des structures de coûts locales. Le mécanisme de formation des prix est ici crucial et devrait être intégré plus systématiquement dans l’analyse macroéconomique.En parallèle, la dynamique démographique des deux îles vient complexifier la situation. La Guadeloupe et la Martinique subissent un phénomène de dépeuplement, notamment parmi les jeunes diplômés, qui préfèrent s’installer en métropole où les perspectives d’emploi sont plus favorables. Ce “brain drain” affaiblit encore davantage le potentiel productif local et exacerbe la dépendance aux transferts publics. Dans un tel contexte, les politiques publiques peinent à jouer leur rôle de levier économique. Les plans de relance, basés sur des investissements en infrastructures ou sur des aides à l’emploi, ne peuvent fonctionner de manière optimale lorsque les compétences locales sont en fuite et que la main-d’œuvre qualifiée est absente.Par ailleurs, la surreprésentation des petites entreprises et des très petites entreprises dans le tissu économique local constitue un frein supplémentaire à l’analyse et à la mise en œuvre de solutions macroéconomiques. Ces entreprises, souvent informelles, évoluent dans un environnement de faible concurrence, dominé par quelques grandes entreprises ou des monopoles, notamment dans le secteur de la grande distribution. Ce phénomène, couplé à un accès limité au financement et à un marché restreint, complique la tâche des économistes et des décideurs publics qui cherchent à appliquer des modèles de croissance ou de développement économique reposant sur des structures plus classiques.Face à ce constat, que faire ? Il apparaît évident que les solutions économiques pour les Antilles doivent sortir des schémas traditionnels d’analyse macroéconomique. Les spécificités locales doivent être prises en compte de manière plus systématique, notamment la dépendance aux importations, la structure sociale inégalitaire, la fuite des cerveaux et la centralité des transferts publics. L’économie de rente, dans laquelle ces territoires sont enfermés, doit être repensée, non pas simplement à travers des transferts toujours plus importants de l’État, mais en mettant en place des stratégies de développement local adaptées aux réalités du terrain. Cela passe par une relance de l’agriculture, un soutien plus marqué aux entreprises locales, une meilleure formation des jeunes et des investissements dans des secteurs porteurs comme le tourisme ou les énergies renouvelables.En définitive, la faiblesse de l’analyse macroéconomique en Guadeloupe et Martinique réside dans l’incapacité des outils traditionnels à rendre compte de la complexité des réalités locales. Ces territoires, situés à la croisée des influences françaises, caribéennes et mondiales, nécessitent une approche plus fine et plus adaptée, qui tienne compte de leur histoire, de leur géographie et de leur société. Tant que cette approche ne sera pas développée, les crises sociales et les violences continueront d’être les symptômes d’une économie en souffrance, incapable de trouver son équilibre dans les schémas classiques de la macroéconomie.En définitive , la vie chère en Guadeloupe et en Martinique est le résultat d’un ensemble de facteurs structurels, liés à la dépendance économique, aux monopoles de distribution, aux inégalités sociales et au cadre législatif particulier des départements d’outre-mer. Toute solution durable à cette question doit impérativement passer par une refonte profonde du modèle économique et social actuel. Cette refonte doit viser à renforcer l’autonomie économique des territoires, à promouvoir la concurrence, à réduire les inégalités et à favoriser une transition vers un modèle de développement plus durable. Sans une transformation radicale des structures en place, les Antilles françaises continueront de faire face à une économie déséquilibrée et à des tensions sociales récurrentes, alimentées par le poids insupportable de la vie chère
Jean marie Nol économiste