La Délégation sénatoriale aux outre-mer à confié aux sénateurs Stéphane Artano, président de la Délégation sénatoriale aux outre-mer et sénateur de Saint-Pierre-et-Miquelon (Rassemblement Démocratique et Social Européen) Micheline Jacques, sénateur de Saint-Barthélemy (Les Républicains) la mission d’envisager l’avenir des institutions des outre-mer français dans le sens de leur amélioration.

Le point de départ de leur réflexion, précisent les rapporteurs, est le rapport du sénateur Michel Magras intitulé « Différenciation territoriale outre-mer : quel cadre pour le sur-mesure ? », adopté par ses pairs qui entérinent « l’impérieuse nécessité d’un principe de différenciation du droit et des politiques publiques dans les outre-mer. » Et faisant le constat que l’idée de différenciation « peine à se traduire sur tous les territoires », que  la culture outre-mer manque encore.

En tenant compte également de  l’Appel de Fort de France que le  17 mai 2022, sept présidents d’exécutifs locaux ultramarins ont co-signé.  Aussi que plusieurs assemblées régionales, départementales ou territoriales ont été renouvelées. Sans omettre révision constitutionnelle pour la Nouvelle-Calédonie se profilant à l’horizon 2024 qui « … a ouvert une fenêtre d’opportunité pour repenser la place des outre-mer dans la Constitution. »

Des Politiques publiques inadaptées.

Il est constaté une  inadaptation qui concerne tant  la conduite des politiques publiques que le cadre normatif.

La plupart des  dispositifs prévus pour mieux adapter les politiques publiques telles  les  habilitations de l’article 73 de la Constitution ou les mécanismes de consultation préalable des collectivités ultramarines sur les projets de loi ou de décret sont des  correctifs qui ne fonctionnent pas est-il énoncé.

Sans omettre « l’État déconcentré » trop rigide et manquant  de moyens opérationnels. Le  « sens profond » de l’Appel de Fort-de-France exprimerait que l’on est arrivé « au bout d’un cycle. »

Le constat est fait d’une  demande de ‘co-construction » des politiques publiques, la formule employée étant : « Faire avec l’État est autant demandé que faire à sa place. »

 Un consensus sur les réponses.

Toutefois, ce constat partagé ne permet pas de dégager des solutions communes.

Les collectivités régies par l’article 74 de la Constitution, nous disent les sénateurs, ne sont pas demandeuses de profondes évolutions institutionnelles, seulement « d’aménagements à la marge. » Elles seraient  globalement satisfaites de leur statut.

La majorité des souhaits d’évolution exprimés n’appellerait  pas directement de modifications de la Constitution, mis à part

le souhait de la Polynésie française d’inscrire dans la loi fondamentale le fait nucléaire polynésien et de donner valeur législative aux lois de pays.

Certaines dispositions de l’article 74 pourraient être précisées tel le contenu attaché à la notion de collectivités « dotées de l’autonomie » qui pourrait être renforcé.

Enfin, à propos d’un projet de refonte globale du cadre constitutionnel des outre-mer, qui mettrait un terme à la dichotomie DOM-COM, certaines collectivités de l’article 74 se sont exprimées contre (Saint-Martin, Polynésie française), les autres demeurant ouvertes, sous réserve que cette refonte ne remette pas en cause leur statut actuel et leur autonomie.

Il est fait remarquer que la Guyane et la Martinique ont exprimé une volonté « forte » d’évolution, sans pour cela s’extraire du statut de collectivité régie par l’article 73 de la Constitution.  Cela passerait par  un pouvoir normatif autonome dans de nombreux domaines de compétence, ce que ne permet pas leur statut actuel. La Guyane allant jusqu’à solliciter une mention particulière dans la Constitution qui garantisse  son autonomie. Toutefois les rapporteurs, pointant du doigt cette contradiction note bien: «  le basculement vers l’article 74 n’a pas été formulé… »

Mayotte et le département de La Réunion restent  attachés au statu quo. Le département de la Réunion souhaitant  le maintien de l’amendement dit Virapoullé (Nb: L’amendement Virapoullé est une disposition de la Constitution française qui, en son article 73 alinéa 5, interdit à La Réunion une évolution institutionnelle autorisée aux départements français d’Amérique par les alinéas précédents. Elle tient son nom du sénateur Jean-Paul Virapoullé, qui l’a fait voter par le biais d’un amendement en 2003.) l’île Bourbon exprime néanmoins le souhait d’un partenariat renouvelé avec l’État, mettant l’accent sur la co-construction des politiques publiques et des consultations appuyées en amont. Toutefois, contrairement au département, la Région de La Réunion est favorable à la suppression de l’amendement Virapoullé et  est ouverte à de nouvelles compétences.

« Entre les deux – constatent nos rapporteurs – la Guadeloupe est ouverte à des évolutions, mais sans position totalement arrêtée… »

Les trois « scénarios » proposés.

Ce bilan des auditions a conduit la délégation à dégager trois principaux scénarios. L’efficacité des politiques publiques doit être la boussole de l’action et la question institutionnelle ne doit être posée que si elle permet de renforcer cette efficacité.

Le premier scénario est celui du statu quo constitutionnel accompagné d’une révolution des méthodes.

Cette option ne toucherait donc pas aux articles 73 et 74 dont une révision n’est pas envisageable dans le contexte politique actuel. Avec cependant un bémol d’importance: une révision drastique du mode d’organisation de l’organisation de l’État de ses méthodes d’élaboration des lois et décrets pour ces territoires. Précision faite qu’une « révolution des méthodes est indispensable, quelles que soient les réformes constitutionnelles ou institutionnelles envisagées. »

Les propositions en ce sens sont ainsi formulées: « Six recommandations paraissent particulièrement intéressantes pour mettre les outre-mer au cœur de la fabrique de la loi :

  • Consacrer chaque année au Parlement une semaine législative ou de contrôle aux outre‐mer au cours de laquelle une loi annuelle d’adaptation serait examinée – issue d’un projet de loi ou à défaut d’une proposition de loi. Des travaux de contrôle pourraient aussi être menés à cette occasion ;
  • Consulter les outre-mer au stade des études d’impact. Un travail majeur reste à faire pour que l’adaptation des dispositifs aux spécificités des outre-mer soit examinée dès l’élaboration des avant-projets de loi et de décret. Et non à la toute fin. C’est à ce stade des études d’impact que les collectivités ultramarines devraient être consultées ;

  • Lancer une revue générale des normes outre-mer code par code, afin de balayer les dispositions techniques inadaptées. Cette revue générale se ferait en concertation étroite et directe avec chaque territoire ;

  • Expérimenter outre-mer une déconcentration massive de l’État autour du préfet pour réellement co-construire les politiques publiques sur les territoires, pas à Paris ;

  • Aller vers un État accompagnateur, notamment dans la mise en œuvre des procédures d’habilitation de l’article 73 ;

  • Renforcer massivement les moyens de la DGOM (NB: Là direction générale des outre-mer), pour qu’elle joue pleinement son rôle de pilotage et d’évaluation des politiques publiques outre-mer. »

Le second  scénario consisterait en la modification et des compléments à apporter aux  articles 73 et 74 de la Constitution par plusieurs dispositions, accordant aux outre-mer de nouveaux outils, en particulier pour les collectivités de l’article 73.

Faisant néanmoins remarquer que si ce scénario éviterait  le  reproche d’immobilisme, sans ouvrir en grand le débat institutionnel »,  Il risque cependant de brouiller un peu plus le cadre constitutionnel des outre-mer, en érodant encore les différences entre les collectivités de l’article 73 et celles du 74.

Les modifications seraient souhaitables, notamment :

  • Réécrire le second alinéa du Préambule de la Constitution afin de supprimer la mention anachronique aux territoires d’outre-mer ;
  • Affirmer le principe de l’adaptation des normes aux spécificités des outre-mer en prévoyant une obligation d’adapter, sauf à justifier de la non-nécessité d’une adaptation. Aujourd’hui, c’est l’adaptation qui est une simple faculté et qui doit être justifiée. L’étude d’impact serait le document maître pour décliner ce principe ;

  • Ouvrir aux collectivités de l’article 73 la faculté d’exercer un pouvoir normatif autonome. Cette faculté pourrait prendre la forme d’une extension permanente des habilitations préalablement obtenues, sous réserve que le statut du territoire le prévoit et ait recueilli le consentement de la population. Si un pouvoir normatif autonome était ainsi admis pour les collectivités de l’article 73 demandeuses, un amendement Virapoullé modifié excluant La Réunion de ce dispositif serait imaginable. De la sorte, La Réunion pourrait recourir à la procédure d’habilitation (qui s’exerce sous le contrôle du Parlement et du Gouvernement ), mais continuerait à se distinguer parmi les collectivités régies par l’article 73 en s’interdisant tout pouvoir normatif autonome.

-Reconnaître aux collectivités de l’article 74, le droit à exercer toutes les compétences, à l’exception des compétences régaliennes, et selon un calendrier choisi par elles.

En revanche, il ne serait pas fait droit aux demandes de mention particulière du statut de certains territoires dans la Constitution, notamment la Guyane et la Polynésie française.

Le troisième scénario serait l’élaboration d’un cadre constitutionnel nouveau pour les outre-mer, partant du constat que la réforme constitutionnelle de 2003 a conduit à un paysage institutionnel des outre-mer « très éclaté », brouillant les lignes de partage traditionnelles conservant  une distinction entre les articles 73 et 74, mais  privant par   les outre-mer de l’article 73 de certains outils juridiques réservés aux collectivités de l’article 74.

Ce serait cette distinction qui alimente des « crispations sur la question des institutions » un syndrome de l’art 74, de  l’autonomie. Empêchant  une «  approche plus pragmatique, interrogeant d’abord l’efficacité du statut pour conduire les politiques souhaitées sur les territoires. »

Un  cadre unifié serait assimilable à « une boîte à outils au sein de laquelle chaque outre-mer pourrait choisir ceux qui lui conviennent dans le cadre d’une loi organique sur-mesure.  La disparition des articles 73 et 74 constituerait « une addition garantissant à chaque collectivité de pouvoir placer librement le curseur de ses compétences, de son autonomie, de sa différenciation normative. »

Les sénateurs toutefois de constater que si ce troisième scénario est « juridiquement et intellectuellement le plus satisfaisant », il soulève des oppositions  dans le Monde  économique, faisant craindre un « chamboule tout » institutionnel dont la pertinence pour résoudre les problèmes du quotidien n’est pas établie. »

Ainsi pour convaincre et rassurer, trois garanties ou préalables sont proposées:.

« Ce nouveau cadre constitutionnel ne s’appliquerait pas aux DROM souhaitant continuer à être régis par l’article 73 … cet article ne serait abrogé pour chaque territoire concerné qu’à compter de l’entrée en vigueur de la loi organique fixant son nouveau statut. Il demeurerait donc en vigueur pour ceux des territoires dont la population aurait rejeté le nouveau statut.

En deuxième lieu, …ce nouveau cadre constitutionnel ne créerait pas d’obligation d’évoluer institutionnellement. Ce cadre constitutionnel rénové serait permissif, sans être prescriptif …ce cadre renforcerait le principe de la consultation et de l’approbation populaire avant toute évolution institutionnelle substantielle. »

Gérard Dorwling-Carter

 

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