La sincérité de la Silicon Valley et de l’industrie du jeu vidéo multipliant les promesses peut être questionnée.

Les vagues de protestation contre le racisme institutionnel et les violences policières contre les personnes racisées, aux États-Unis et en Europe, font réagir le monde économique. Depuis la mort de George Floyd le 25 mai, les plus grandes entreprises de la tech et du jeu vidéo ont publié pléthore de communiqués de soutien, promettant dons aux associations et changements de pratiques.

Sous la pression de la rue, les entreprises s’adaptent et se voient forcées de réexaminer leur rôle dans la perpétuation des inégalités. Qu’elles soient à l’embauche, dans l’environnement de travail, au niveau des salaires ou des promotions, l’activité militante a contraint la Silicon Valley à s’adapter. Pour préserver image et chiffre d’affaires ou parce qu’une prise de conscience et un renversement des mœurs s’effectue peu à peu?

Jack Dorsey, patron de Twitter et de Square, a déclaré faire du 19 juin, date symbolique de l’émancipation de l’esclavage nommée Juneteeth, un nouveau jour férié pour ses employé·es américain·es. Tim Cook, PDG d’Apple, a lancé l’Apple Racial Equity and Justice Initiative le 11 juin, promettant une enveloppe de 100 millions de dollars [88 millions d’euros] pour «défier les barrières systémiques […] qui existent pour les personnes de couleur».

Sur son compte Facebook, Mark Zuckerberg a promis de donner «10 millions de dollars [environ 9 millions d’euros] additionnels aux groupes qui travaillent contre les injustices raciales», rappelant que son bras philanthropique, la Chan Zuckerberg Initiative, donnait 40 millions de dollars [35 millions d’euros] annuellement depuis «plusieurs années».

Chacune de ces promesses fut accompagnée d’un message de soutien aux proches de George Floyd et de solidarité envers la communauté noire. Les exemples comme ceux-ci sont très nombreux: Google, Sony, Amazon, Microsoft, Ubisoft, Electronic Arts et d’autres se sont fendus d’un message et d’une promesse.

Des actes qui en disent long

Les positions de ces entreprises peinent pourtant à convaincre tant leurs propres employé·es que l’opinion publique. Deux raisons à cela: le passif et les mots choisis. Dans un article reprenant de façon non-exhaustive les promesses des géants de la tech, The Verge compare leur attitude actuelle avec celle qu’ils ont eue en 2014.

Pour rappel, il y a six ans, Michael Brown et Eric Garner, afro-américains, mourraient à la suite d’arrestations policières, respectivement à Ferguson et à New York. De nombreuses manifestations s’étaient alors tenues outre-Atlantique. Le constat dressé par The Verge est sans appel: absolument aucune des entreprises citées n’avaient alors réagi, de quelque manière que ce soit.

Des faits plus actuels viennent s’ajouter aux actes passées. Le 10 juin, dans le sillage d’IBM, Amazon a annoncé interdire aux départements de police l’utilisation de Rekognition, sa technologie de reconnaissance faciale. «Nous prônons des régulations plus strictes des gouvernements sur le recours éthique aux technologies de reconnaissance faciale, et le Congrès semble prêt à relever le défi», a affirmé Amazon dans un communiqué.

Mais l’entreprise réagit après des années de demandes incessantes et sans effet d’organisations non gouvernementales et de salarié·es sur le sujet. Elle continue par ailleurs à accorder l’accès à ses caméras intelligentes Ring, qui collaborent avec «plus de 1.350 services de maintien de l’ordre», selon le Washington Post.

Sur les réseaux sociaux, la question raciale s’étend aussi à ce que l’on laisse dire en ligne ou non. Au début du mois, alors que Twitter choisissait d’agrémenter certains messages de Donald Trump d’avertissements pour «apologie de la violence», Facebook ne réagissait pas.

Une semaine plus tard, 5.500 employé·es de la firme réclamaient des actes, dans un courrier envoyé à Mark Zuckerberg. «Pouvons-nous changer notre politique concernant la liberté d’expression politique? Les politiciens ne devraient pas être exemptés du fact checking et de la suppression des discours de haine», était-il collectivement écrit. La lettre est restée sans réponse, si ce n’est la promesse du don de 10 millions de dollars évoquée précédemment, annoncée quelques jours après.

Les géants de la tech peinent également à convaincre parce que les statistiques ethniques (autorisées aux États-Unis) montrent qu’il n’y a pas beaucoup plus de personnes racisées dans la Silicon Valley qu’il y a dix ans.

D’après un rapport sur la diversité dressé par Google en 2019, seulement 3,3% des salarié·es d’Alphabet, sa maison mère, sont noir·es. Apple atteint les 9% selon le Washington Post. Amazon dépasse les 26% –mais le chiffre inclut les emplois précaires et peu qualifiés en entrepôt.

Le choix des mots

Deux articles publiés par Vice et Kotaku étudient de leur côté le choix des mots utilisés dans les fameux communiqués de soutien, en particulier en ce qui concerne les entreprises du secteur vidéoludique.

La seule entreprise majeure du secteur citant nommément George Floyd dans son communiqué est Ubisoft. Par ailleurs, si l’on retrouve le terme «antiracisme» et les mots «Black Lives Matter», «violences policières» et «racisme anti-Noirs» sont globalement absents.

«Comment suis-je supposé croire en EA [Electronic Arts] qui affirme retarder la sortie de Madden [le principal jeu de football américain] parce qu’elle se préoccupe des vies des personnes noires, alors qu’elle censurait le nom de Kaepernick dans une chanson du jeu l’année dernière?», s’interroge Vice.

Pour mémoire, le quarterback Colin Kaepernick avait refusé de se lever pendant l’hymne américain pour manifester sa solidarité avec Black Lives Matter en 2016, et était par la suite devenu persona non grata des terrains de la National Football League.

Les prises de parole, les communiqués et les promesses de dons doivent être considérées pour ce qu’elles sont: un début de dialogue et de renversement des mœurs chez des entreprises qui veulent continuer à vendre et polir leur image, contraintes par la force de l’opinion publique.

«Ces actions ne sont pas une mesure du caractère moral d’entreprises multimilliardaires. Elles sont une autre forme de négociation sous le régime du capitalisme. Chaque compagnie qui produit un jeu veut que vous y jouiez et mesure désormais votre tolérance au silence et à l’inaction, de la même manière qu’elle mesure la ligne rouge dans l’implémentation de loot boxes», conclut brillamment The Verge.

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