16 Janvier 2025
Monsieur le président du Conseil exécutif,
Mesdames et messieurs les parlementaires,
Mesdames et messieurs les conseillers territoriaux, Mesdames et messieurs les maires,
Mesdames et messieurs les sous-préfets, chers collègues, Mesdames et messieurs les autorités judiciaires, civiles, militaires et religieuses,
Mesdames et messieurs les directeurs et chefs de service de l’État,
Mesdames et messieurs les représentants des forces économiques et sociales, culturelles, du secteur associatif, du monde combattant, de la société civile,
Chers amis,
C’est avec un très grand plaisir que je vous accueille ce soir, à la résidence préfectorale, pour vous présenter des voeux très sincères de santé, de bonheur personnel et de succès professionnels à l’aube de cette année nouvelle.
Ces vœux sont traditionnellement l’occasion de revenir sur l’année écoulée, de présenter les résultats et les perspectives de l’action de l’État.
Mais au bout de 2 ans et demi passés à vos côtés, avec cette crise que nous venons de traverser, je préfère vous parler, tout simplement, de la Martinique telle que je l’aie vécue depuis ma prise de fonction, en août 2022, alors que se profile mon prochain départ pour d’autres horizons.
La Martinique…
Une terre de défis ??? oui! On en compte au moins autant que de politiques publiques: sur la santé, l’eau, le changement climatique ou encore le coût de la vie et la cohésion sociale, le développement d’une pêche durable et d’une agriculture résiliente, l’ouverture sur le monde caribéen et la sécurité !
J’ai fait le choix de l’appréhender comme elle est, comme elle m’est apparue: une île – ce qui implique des ressources contraintes et une dépendance à l’extérieur – avec une population plus vieillissante que la moyenne, inscrite dans un environnement régional complexe, exposée à la violence caribéenne et aux risques climatiques et naturels des Antilles. Une île sur laquelle pèse une histoire, des tabous, des attentes.
Mais la Martinique telle qu’elle se vit, et la Martinique telle qu’elle est perçue à l’extérieur, par nos voisins, sont deux visions qui ne se recoupent pas. A des centaines de kilomètres à la ronde, que voit-on ?
- La cheffe de file en matière de lutte contre les trafics de stupéfiants, avec près de 29t de cocaine saisies en haute-mer dans toutes les Petites Antilles ? C’est la Martinique
- Le centre de coordination des opérations de recherche et de sauvetage en mer dans les Petites Antilles et jusqu’au milieu de l’Atlantique? C’est encore la Martinique
- La première université de la zone avec près de 4000 étudiants de l’Université des Antilles dans son pôle local ? C’est la Martinique
- Un pôle industriel majeur, qui représente 15% de son activité avec des rémunérations dans ces secteurs de 30% supérieures au salaire hexagonal? C’est bien la Martinique
- La seule ile de la zone dont le taux d’homicide pour 100 000 habitants est inférieur à 7 quand il est de 40 chez ses voisins ? La Martinique
- L’Institut caribéen d’imagerie nucléaire avec 70 emplois qualifiés pour offrir aux populations de l’ensemble de l’arc caribéen la technologique la plus aboutie en matière de diagnostic des cancers? En Martinique, bien sûr
- L’aéroport international pivot de la région, qui a encore dépasse 1,8 million de voyageurs en 2024? La Martinique
- Le nouveau pôle maritime et premier corridor vert entre l’Europe et les Amériques à travers le projet « Hub Antilles » ? La Martinique
- Le territoire qui fait de la France le 5e exportateur de rhum dans le monde, avec des centaines d’emplois dans une filière à forte valeur ajoutée ? Encore la Martinique
- Une terre de culture et de génie, qui a vu grandir Paulette et Jane Nardal, Suzanne et Aimé Césaire, Patrick Chamoiseau, Raphaël Confiant, Joseph Zobel, Suzanne Dracius, Frantz Fanon biens sûr ou encore Edouard Glissant ? C’est la Martinique!
À des centaines de kilomètres à la ronde, la Martinique n’est pas perçue comme une somme de difficultés et de doutes, mais comme un phare, et un espoir. Il ne s’agit pas, bien sûr, de nier les défis, nombreux, qui sont les nôtres – mais de voir la Martinique telle qu’elle est, réellement, pour être en mesure de la projeter vers l’avenir.
Car c’est conscient de nos faiblesses, de nos défauts parfois, mais aussi de nos forces, de nos atouts, que nous saurons, que vous saurez ! ensemble aborder les défis de cette île.
C’est le premier maître-mot que je souhaite que vous reteniez de mes propos :
La LUCIDITÉ: savoir être juste dans l’énumération de nos faiblesses, mais aussi de nos forces.
A nous d’être lucides, et, à partir d’une juste appréciation de la réalité, de jouer nos cartes maîtresses et nos atouts. A nous de nous appuyer sur les avantages comparatifs de cette ile telle qu’elle est, telle qu’elle vient, telle qu’elle se situe aujourd’hui dans le monde, plutôt que de rêver / à ce qu’elle aurait dû être / à ce qu’elle aurait pu être / à ce qu’un jour, peut-être, elle ne sera jamais.
Cette lucidité est le condiment de votre réussite, car seule la vérité permet de rassembler les hommes de bonne volonté, et personne ne réussira en Martinique tout seul :
Aucun des défis que nous rencontrons ne peut être surmonté sans ce deuxième maître-mot à retenir, sous l’auspice duquel je souhaite placer cette année 2025: l’UNITÉ.
La Martinique est trop grande pour que nous ne soyons pas à sa hauteur, mais trop petite pour que nos forces soient dispersées. Et lorsqu’elle joue collectif, la Martinique gagne.
Prenons la protection contre les risques sismiques, avec le Plan Séisme Antilles: dix ans de conventionnement entre l’État, les collectivités et les bailleurs, pour 95 M€ d’investissement qui nous ont permis la réhabilitation et la sécurisation des écoles du Marin, en 2024, et le lancement de projets à Case-Pilote, au Morne Vert, au Carbet et à FdF.
Prenons encore l’expérimentation du Territoire Zéro Chômeur de Longue Durée à Rivière-Pilote, qui permet d’accompagner le retour vers l’emploi des publics qui en sont les plus éloignés, dans le maraîchage ou la menuiserie, en associant l’ensemble des acteurs de l’emploi, les missions locales, les collectivités.
Prenons également les sargasses, dont la lutte repose sur l’association du CHUM pour la surveillance sanitaire, des communes pour la collecte sur terre et des pêcheurs pour la collecte en mer, tous soutenus par l’État et les 6,4 millions M€ engagés en 2024. A tel point que notre modèle de lutte est désormais copié et que notre expertise est sollicitée dan sia zone.
Prenons enfin le contrat territorial de sécurité, qui nous a récemment réunis, collectivités, associations, services de l’État, monde économique, le 8 janvier dernier, pour faire le bilan de 10 mois d’action conjointe et résolue en faveur de la sécurité du territoire, avec des réussites très concrètes à la clef pour faire face au fléau grandissant des violences et des trafics.
La recette est là. Nous la connaissons.
Mais pour pouvoir être unis, il nous faut regarder ensemble dans la même direction : vers l’avant, pas vers l’arrière.
Il est facile de toujours rejeter la faute et la cause des échecs sur les douleurs du passé, sur le voisin, sur « l’étranger proche », ou « l’Etat lointain ». Pour un individu comme pour une famille, comme pour une entreprise, un territoire, ou une nation, le ressassement des regrets et des rancoeurs ne permet pas, dans sa psychologie personnelle ou collective, de faire face à l’avenir.
Or c’est une tentation si facile, et si dangereuse, qui nous conduit à désigner des coupables au lieu de chercher des solutions.
Pour faire face à cette pente glissante, si facile à suivre, et si dangereuse, le troisième et dernier mot que je souhaite partager avec vous est: VOLONTÉ: la volonté d’aller de l’avant.
Surmonter les tabous et les mémoires : ne pas oublier le passé, mais ne pas y être enchaîné. Être conscient d’où l’on vient, mais se projeter en dépassant cet horizon : « notre héritage n’est précédé d’aucun testament », disait René Char.
Le passé nous oblige, bien sûr; mais le passé, je le dis avec force, et je l’ai dit à plusieurs reprises, le passé ne nous juge pas. Seul l’avenir le fera, et les choix qui sont les nôtres seront regardés par nos petits-enfants – pas par nos aïeux. Faire du passé un ressort de fierté, et non de honte, une mémoire partagée, douloureuse, mais fondatrice d’un avenir commun.
Lucidité, unité, volonté. Voir loin, ensemble, avec audace : voilà les trois choses que je nous souhaite, que je vous souhaite, pour cette nouvelle année.
La Martinique a tout pour réussir, à commencer par vous.
N’attendons pas que le sursaut vienne d’ailleurs, qu’il prenne d’autres visages. Ce sont les vôtres, les nôtres, que les Martiniquais et l’Histoire regardent.
Pour vous, vos proches, ceux que vous représentez, et / peut-être plus que toute chose/ avant toute chose / pour la Martinique, je vous souhaite une très belle année 2025,
À titre plus personnel, à l’attention de ceux d’entre vous que je croise pour la dernière fois, en tout cas sur ce territoire, je veux adresser mes remerciements pour la confiance que vous m’avez accordée, et, à travers ma fonction, pour la confiance que vous avez accordée à l’action de l’État en Martinique et aux services qui la mette en œuvre, aux agents publics qui s’investissent quotidiennement avec un dévouement qui force le respect, pour décliner les politiques publiques.
La vie d’un préfet est ainsi faite que l’on laisse forcément un peu de soi dans chaque territoire que l’on a l’honneur de servir. En Martinique, j’aurais laissé ma famille, défaite par les contraintes de la fonction et mon incapacité à lui accorder le temps nécessaire…
Mais ce n’est pas ce que je retiendrai de ce séjour… les premières images qui me viennent à l’esprit au moment de vous dire au-revoir, ce sont des sourires, des satisfactions, des moments de complicité, de communion, oserais-je ! Des apartés nombreuses mais éphémères, insaisissables, de toutes les Martiniquaises et Martiniquais rencontrées pendant ces quelques mois. Je vous en suis infiniment gré.
Bon courage pour la suite. Je vous souhaite, ainsi qu’à ce territoire unique, aujourd’hui suspendu à un fil, le meilleur !
Jean-Christophe BOUVIER