The Straits Times
Traduit de l’anglais
Son rire réjouit ou agace, constate la cheffe du bureau du “Straits Times” aux États-Unis, qui a assisté à la convention démocrate à Chicago. Mais pour l’heure, relève le journal singapourien, la joie communicative de Kamala Harris contraste surtout avec le “ronchon” Donald Trump et lui permet de se distinguer dans la course à la Maison-Blanche.
Voilà un rire qui divise les États-Unis. Pour certains Américains, le gloussement de Kamala Harris est tout aussi irritant que son progressisme politique. Pour ses partisans, dans sa légèreté même, ce rire est à l’image d’une campagne placée sous le signe de la “joie”.
“J’adore son rire”, a confié son mari, Doug Emhoff, lors de la convention nationale démocrate, un rassemblement de quatre jours qui s’est conclu le jeudi 22 août par un discours de Kamala Harris.
Le deuxième jour de la convention, l’ancienne première dame Michelle Obama a fait une apparition digne d’une rock star, déclarant que la candidature de Harris marquait le retour de l’espoir dans une vie politique américaine où tous les coups sont permis. Elle a évoqué “son tempérament d’acier, son parcours sans faute, son honnêteté exemplaire, son rire joyeux, la lumière qui émane d’elle”, sous les applaudissements nourris de la foule.
Ce n’est pas la première fois qu’un rire est source de gêne dans la vie politique américaine. Hillary Clinton en sait quelque chose. Au cours de la présidentielle de 2016, la candidate démocrate avait été en butte aux mêmes critiques pour ses manifestations de joie retentissantes. Elle a finalement été battue par le républicain Donald Trump, celui-là même contre qui Kamala Harris se présente aujourd’hui. “Rien d’étonnant qu’il [Trump] mente sur le bilan de Kamala, qu’il se moque de son nom et de son rire. Ça ne vous rappelle rien ?” a plaisanté Hillary Clinton lors de la soirée d’ouverture de la convention. Elle a ensuite appelé à soutenir la candidate Kamala Harris afin de l’aider à briser le fameux “plafond de verre” et de faire d’elle la première femme présidente des États-Unis.
“Pas de retour en arrière”
Mais jusqu’à présent le rire tonitruant de Kamala Harris a amélioré les chances de succès de son parti. Il est désormais indissociable de sa personnalité politique, peu connue tant qu’elle travaillait dans l’ombre du président Joe Biden. Pendant ses trois ans et demi au poste de vice-présidente, sa cote de popularité est restée faible, mais ce n’est plus qu’un mauvais souvenir, grâce notamment à l’image “joyeuse” de sa campagne.
En faisant de la “joie” un élément essentiel de son message politique encore en évolution, Kamala Harris espère se démarquer d’un Trump ronchon et de son colistier combatif, J. D. Vance. Par ailleurs, avec son slogan “We’re not going back” [“Pas de retour en arrière”], elle espère convaincre les électeurs de laisser derrière eux les années Trump. Ses partisans ont fait de cette formule un cri de guerre qu’ils scandent pendant les meetings.
Dans sa version plus agressive, ce mot d’ordre prend le contrepied des promesses de Trump de rendre sa grandeur à l’Amérique. But du jeu : détrôner l’emblématique “Yes we can” d’Obama, devenu une référence en matière de campagne présidentielle. Le slogan de Kamala Harris a d’ailleurs rapidement remplacé les mèmes du cocotier et autres qui avaient inondé les réseaux sociaux peu après sa désignation comme candidate du Parti démocrate il y a un mois. Autre phrase choc testée sur le terrain par les vendeurs de T-shirts cette semaine, qui remporte elle aussi un franc succès : “Make America Laugh Again” [“Rendons à l’Amérique sa joie de vivre”], formule qui parodie le célèbre cri de ralliement de Trump [“Make America Great Again”, “Rendons sa grandeur à l’Amérique”].
Rira bien qui rira le dernier
À 25 dollars pièce, ces T-shirts se vendent beaucoup mieux que ceux qui reprennent les codes du portrait sérigraphié de 2008 représentant en bleu et rouge Obama et le mot Hope [“ espoir”]. Un bon logo est forcément gage d’une campagne présidentielle réussie. Et que l’ancienne vice-présidente ait réussi à s’affranchir de l’iconographie de la campagne d’Obama est très encourageant, même si le temps manque cruellement pour diffuser son image dans tout le pays, puisqu’il ne reste que soixante-quatorze jours avant le scrutin du 5 novembre.
Les vendeurs constatent également une hausse des ventes des produits à destination d’un public féminin : tote bags, sacs à main et sacs à dos à l’effigie du visage souriant de la candidate. “Ils ne s’arrachent pas encore, constate une participante de la convention devant le stand des produits dérivés. Mais ils vaudront peut-être de l’or dans quelques années.”
[Malgré cet engouement], Jen O’Malley Dillon, la directrice de campagne de Kamala Harris, ne veut pas baisser la garde. “Nous vivons dans un pays profondément divisé, à une époque compliquée et malgré tout cet élan d’enthousiasme dans le pays, Donald Trump jouit toujours d’une énorme popularité. Il va falloir aller chercher chaque voix une par une”, a-t-elle déclaré dans un média américain.
Le tonnerre d’applaudissements qui [n’a pas manqué] d’accueillir l’arrivée sur scène de Kamala Harris [jeudi 22 août, en clôture de la convention] dissipera peut-être les doutes pendant un temps. Mais tout dépendra de la campagne menée par Trump et son colistier. Rira bien qui rira le dernier. Mais disons qu’en la matière Kamala Harris a l’avantage.
Bhagyashree Garekar