La chaîne Madinina TV a rencontré Maurice Laouchez, ancien banquier, pour recueillir son analyse sur les défis économiques de la Martinique et les solutions pour dynamiser le pouvoir d’achat des ménages. Après avoir visionné cette vidéo paru sur le net, nous en avons extrait quelques passages en faisant selon NOTRE compréhension de cette interview (voir l’interview à la fin) …. Philippe Pied
La Martinique connait un important déficit commercial lié à ses nombreuses importations, notamment depuis l’Europe. Quel impact cela a-t-il sur le pouvoir d’achat des Martiniquais ?
Effectivement, 80% de nos importations proviennent d’Europe. Cette situation pèse lourdement sur le pouvoir d’achat des ménages martiniquais, car plus on importe et plus on paye cher en termes de transports et de taxes. Notre intérêt serait donc de produire davantage localement pour réduire ce déficit commercial.
Comment les collectivités territoriales martiniquaises peuvent-elles agir pour développer la production locale ?
Les collectivités ont la compétence économique. Elles doivent élaborer un projet global de développement économique qui vise une augmentation significative de la production made in Martinique. Prenons l’exemple du sucre : la canne produit du rhum et du sucre mais si la filière rhum se porte bien, nous importons encore du sucre car notre sucrerie locale ne suffit pas. Les collectivités pourraient par exemple confier la production de sucre à des entreprises locales sous forme de service public. C’est une piste pour remplacer des importations.
Outre l’action publique, le secteur privé a-t-il aussi un rôle à jouer pour développer l’économie martiniquaise ?
Bien sûr, c’est même indispensable que les entreprises se mobilisent aussi dans cet objectif de substitution aux importations que l’on appelle “import substitution” en anglais. Cela nécessite que public et privé s’associent dans un projet collectif. Le secteur privé doit saisir les opportunités en termes d’investissements productifs. Bien sûr, certaines importations resteront nécessaires, ne serait-ce que pour les biens de consommation courante dont la production locale n’est pas rentable. Mais dans l’agriculture et l’industrie, le potentiel de développement existe.
On entend dire que les banques privilégieraient les européens pour l’accès au crédit immobilier par rapport aux martiniquais. Qu’en pensez-vous ?
C’est un cliché malheureusement très répandu mais faux. En tant qu’ancien banquier, je peux vous assurer que la couleur de peau de l’emprunteur ne nous intéresse absolument pas ! Simplement, certains européens qui s’installent aux Antilles disposent de capacités d’apport personnel plus importantes car ils ont économisé toute leur vie active. Ils peuvent ainsi apporter 60 à 70% du montant du bien immobilier.
Comment faciliter l’accès au logement pour les ménages martiniquais ? Faut-il construire davantage de logements collectifs ?
Pas nécessairement. Il existe suffisamment de foncier disponible dans les centres-bourgs, sans grignoter les terres agricoles : on parle des “dents creuses”. Beaucoup de maisons et d’immeubles sont aussi à l’abandon, cela pourrait être réhabilité. Commençons par utiliser toutes ces opportunités avant d’artificialiser de nouveaux espaces naturels et agricoles ! Construire en hauteur permet aussi d’optimiser l’usage du foncier existant.
Comment faciliter la sortie des situations d’indivision successorale qui bloquent certains projets immobiliers ?
C’est un problème mal posé ! Beaucoup sont entrés en indivision – en héritant gratuitement de terrains ou de maisons – et ne veulent pas faire les efforts pour en sortir lorsqu’il s’agit de payer quelques milliers d’euros de frais. Pourtant, ils ont souvent reçu en indivision des biens valant des centaines de milliers d’euros… Alors certes les démarches administratives sont complexes mais il faut accepter d’y consacrer du temps et de l’argent. Sinon ces situations peuvent paralyser des successions pendant des générations !
Revenons à l’économie martiniquaise. Quels sont pour vous les grands défis économiques à relever en priorité ?
Le principal défi, depuis des décennies, c’est l’amélioration du rapport qualité-prix des services publics. Rappelons que les dépenses publiques atteignent 56% du PIB national. C’est énorme ! Et les prélèvements obligatoires, 46%. Pourtant, que ce soit la santé, l’éducation ou les transports, les usagers sont insatisfaits. Idem pour de nombreux fonctionnaires. Et les budgets sont déficitaires ! Bref la crise guette.
Quelles sont vos recommandations pour améliorer l’efficacité des politiques publiques ? Faut-il selon privatiser certains services publics?
Clairement, l’Etat ne sait plus gérer les nombreuses responsabilités qu’il s’est attribué. Il doit se recentrer sur des fonctions régaliennes et déléguer davantage. La santé et l’éducation par exemple pourraient être confiées au secteur privé ou mutualiste, dans certains cas via des délégations de service public, en conservant la définition des politiques publiques. C’est au cas par cas, selon les territoires. Mais il faut agir vite : le mécontentement grandit, le populisme guette !
Un dernier mot pour conclure ?
Oui, il me semble urgent de refonder nos institutions politiques sur le modèle du consensus à la suisse, et non plus sur celui de la guerre. Depuis le 18ème siècle, on a calqué nos démocraties sur un modèle militaire : les partis s’affrontent violemment pour le pouvoir. Résultat, la violence innerve toute la société. Il est temps de s’inspirer du modèle helvétique : gouvernement de coalition, présidence tournante, référendums en cas de blocage politique. Le but doit être le compromis, pas la confrontation.