Les vivants ont-ils en eux les traces des morts et les traces du paysage conservent-elles en elles les traces des morts ? Est-ce le sort des toutes les luttes des minorités du monde de finir en particules infimes, car déjà le regard de leurs exterminateurs les a vu négligeables et pourtant  dangereux, car posant une question démocratique : exister autrement.

Les images que proposent Hugues Henri ont l’avantage de ne pas jouer sur le faux : nous voyons bien le montage, la texture, nous voyons bien que les images fugitives des hommes sont des images de vivants, non reconstituées, mais incomplètes, ou plus exactement inachevés car dépourvus, amputés de quelque chose.

C’est vivant et à la fois mort de quelque chose, mais pas d’une humanité : les regards semblent plongés dans un rêve.

Où aller, dans quel paysage qui ne soit pas d’errance subie ?

La nature, la mangrove- cendre, la forêt, deviennent dans les tableaux un manuscrit improbable, les traces d’appropriation qu’une culture Caraïbe a pu en faire se confondant avec les traces d’une expropriation dont paradoxalement elle devient l’enjeu : quant les uns en voient un complément du corps et les autres  occidentaux un territoire à conquérir, en massacrant les corps.

Alors nous distinguons dans les œuvres exposés les Caraïbes mis en situation, dans de trop multiples lieux car obligés de se déplacer en dehors de leur logique de civilisation, d’avancée de nomades créatrice de mythes.

La part du paysage qui est montré contient également sa charge de passé, c’est aussi un paysage dans lequel à chaque luxuriance répond une aridité, un point de vue sur un environnement étriqué comme si des pluies acides, ô quel paradoxe dans les tropiques, commençaient leur long travail de desséchement, manières de dire que nous n’avons pas hérité d’un ancestral rapport à la mère nature, la transmission étant perdue.

Perdre le Caraïbe est aussi pour le descendant d’esclave africain  en face de l’œuvre aujourd’hui, perdre aussi encore plus, comme si le cimarron  dans les poches caraïbes n’a pu accomplir la liaison, la transmission.

Nous cherchons des vestiges, nous retrouvons quelquefois des traits culturels qui nous parcourent, si peu, mais enfin nous ne nions plus.

Ces photographies des mémoires enfouies n’entendent par réveiller autre chose que des interrogations.

Et si cela n’avait pas été ainsi, qu’en serait-il advenu ? De la même manière que la question se pose pour l’Afrique sahélo-soudanaise, avec ces Etats puissants, dans la période précoloniale?

Les vestiges des corps qui hantent les photographies d’Hugues Henri nous interrogent sur cela.

William ROLLE, anthropologue,

Schoelcher 2008.


Exposition à la villa Chanteclerc

« Fantômes Caraïbes »

Par Hughes Henri

 

Eléments de biographie de l’artiste

Hugues Henri est né en 1952 à Béziers, mais vit aux Antilles depuis 1983. Agrégé et Docteur en arts plastiques, il enseigna à l’École Normale de Pointe-à-Pître, puis à l’IUFM et à l’UAG de Fort-de-France entre 1985 et 2016.

Plasticien, il expose aux Antilles, au Brésil et en France métropolitaine.

Il est aussi l’auteur de BD adaptées de romans comme « Le vieux marin » d’après Jorge Amado, édité par Ibis Rouge.

Chercheur en architecture, littérature et en art, contemporains, au CEREAP depuis 1994, sous la Direction de Dominique Berthet, avec de nombreuses publications de recherches, à lire sur : Academia.edu – et dans les revues « Recherches en esthétique » et « Gaïac » – et dans les collections Arts d’ailleurs et Ouverture philosophique, dernière parution chez L’Harmattan : « L’art brésilien au féminin » paru en 2018.

 

 

Partager.

Comments are closed.

Exit mobile version