Il est l’un des chanteurs préférés d’une frange conséquente de la jeunesse martiniquaise. Son nom: Yoni Alpha. Mais ses nombreux fans le connaissent avant tout par son nom d’artiste: Paille, un renvoi au chapeau qu’il porte immanquablement sur scène ou dans ses clips. S’il peut être intarissable sur la musique qu’il pratique avec succès, le reggae-dancehall, le jeune homme de 29 ans a des choses à exprimer sur bien d’autres sujets.
A commencer par ceux qui concernent son pays… Les vérités de « l’homme Paille ».
Paille: Le but, quand tu as fait 5 ou 6 ans d’étude, c’est quand même d’avoir une rétribution financière qui te permette de te dire «Ouf, je peux payer le prêt étudiant que j’ai fait,», etc. Or, tu peux avoir Bac + 27, tu commences au SMIC, et après si tu ne connais pas le fils d’untel ou untel, tu restes à stagner dans le fameux «ascenseur social», qui est bloqué au premier depuis 150 ans. On a quand même des exemples qui me permettent de positiver. Et puis la Martinique est un pays tellement beau, il y a quand même une certaine joie de vivre qui transpire: tu appelles deux copains, tu vas boire une bière près de la mer. Quelque part, quand tu as fait ça deux trois fois dans la semaine, tu ne peux pas être malheureux (sourire). Par contre, il y a un truc qui me dérange, c’est l’immobilisme ambiant, la tiédeur. S’il y a une révolte ou un énervement en moi, ça doit venir de là. Je suis de plus en plus confronté aux lenteurs administratives etc., et je réalise que ce n’est pas tant une incapacité qu’une volonté de ne pas bouger. Parce que bouger ça sous-entendrait changer leurs ‘process’, avoir plus d’efforts à faire, partir un peu plus tard du boulot. Et les gens ne veulent pas. Ils sont persuadés que le bonheur – c’est un modèle occidental, qui est faux –, c’est le confort et la possession. C’est-à-dire que du moment que j’ai de l’argent pour payer mes factures, que j’ai un écran plat, que j’ai ma voiture, j’ai réussi. On nous a vendu un rêve, qui est dangereux. Comme c’est un bonheur qui n’est que relatif, au final ces gens-là sont hyper-malheureux quand ils réalisent qu’à 50 mètres d’eux il y a quelqu’un qui a une plus grosse télé, voiture, etc. On est toujours dans cette course. Quand j’ai des anecdotes de ma mère ou de ma mamie, il y a bien plus de bonheur qui transpire de ce qu’elles me racontent, que ce que moi je suis capable de vivre à l’heure actuelle. Au contraire, je suis obligé de partir dans des trucs un peu artificiels, genre m’habiller bien pour aller en soirée, boire deux « feu » pour avoir une « hauteur », et puis me persuader qu’on est heureux, alors que non. Cet immobilisme-là a tendance à cautionner ça et à le renforcer, parce que si demain tout le monde se disait ‘bon, man ka fè an sakrifis, zafè kò lavi’, quitte à gagner moins, avoir une voiture ou une télé moins grosse, ‘je vais faire des choses viables, qui auront un écho dans l’éternité, des choses pour que demain mes enfants ou petits-enfants ne soient pas en train de me maudire en se disant mais quel monde ils m’ont laissé… .’
Cet immobilisme que tu décris, tu le perçois dans toutes les couches sociales?
Quand j’ai fait mon Master, on m’a demandé de trouver un sujet, et le premier jet que j’avais c’était ‘le tête à queue du paradigme du bien’. Tu as deux mecs dans la même commune en Martinique. Tu en as un qui connaît le fis de untel, qui pourra entrer en boîte, payer une bouteille de champagne, s’amuser, et puis tu en as un qui n’a pas de relations, pas de réseau, qui va se retrouver devant la boîte, à qui on va dire ‘non, casse-toi’, etc. Ce même gars-là, il va se dire ‘bon, je n’ai pas de réseau, je vais vous faire assez peur pour que j’ai les mêmes avantages que celui qui vous faîtes entrer. Donc je vais me rendre dangereux. Puisque si j’essaie d’aller dans le chemin droit, du bien, vous m’écrasez, je me crée un chemin qui va vous obliger à me respecter.’
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