Le président congolais Félix Tshisekedi et Emmanuel Macron ont disserté sans ménagement samedi devant la presse, à Kinshasa, sur la fin de la « Françafrique » et sur le nouveau « logiciel » de la France avec le continent.
Emmanuel Macron abîme à Kinshasa le nouveau partenariat proposé par la France à l’Afrique
Atlantico : Emmanuel Macron et le président congolais, Félix Tshisekedi, ont évoqué, le samedi 4 mars devant la presse à Kinshasa, la fin de la « Françafrique » et le nouveau « logiciel » de la France avec le continent africain. Lors de cette conférence de presse, un échange assez « musclé » entre les deux dirigeants a été capté autour des déclarations de Jean-Yves Le Drian, qui avait qualifié l’élection de Félix Tshisekedi de « compromis à l’africaine » en janvier 2019. Que retenir de cette séquence pour Emmanuel Macron ? L’art du « et en même temps » s’est-il confronté au réel lors de cet échange avec le dirigeant Félix Tshisekedi ?
Arnaud Benedetti : C’est une séquence inédite et de mémoire récente et moins récente, on ne trouve pas trace à ma connaissance d’un échange public, médiatique aussi tendu entre un Président français et l’un de ses homologues. Il y a là quelque chose de signifiant : le macronisme est un affranchissement permanent avec les us et coutumes de la conduite républicaine. C’est vrai dans les affaires domestiques, intérieures comme dans celles qui nous relient au reste du monde. On disait Nicolas Sarkozy qu’il était décomplexé ; Emmanuel Macron est au-delà, il est dans le relâchement, la transgression sans fin, une désinvolture qui se veut l’expression d’une forme de spontanéité ou d’authenticité. Reste à savoir si cela est calculé ou non : dans la première hypothèse, il s’agit peut-être de l’illustration d’une démesure qui imagine que par sa personnalité il est en mesure de formater un nouvel ordre de la relation franco-africaine mais ce faisant il ne voit pas ce qu’il reproduit en pire du néo-colonialisme; à moins qu’il s’agisse de montrer à un segment de son opinion publique potentiellement en attente qu’il travaille à la déculpabilisation de la France. Cette dernière est nécessaire mais la forme quasi insolente adoptée par le Président est inadaptée, inappropriée, inopportune… La seconde hypothèse est la maladresse, ou l’absence d’intelligence de la situation. Dans les deux cas, la séquence offre une image contre-productive, voire désastreuse de la France. Le dépôt qui se cristallise est celui de l’arrogance et de la double méconnaissance des codes internationaux mais aussi des codes des sociétés qui vous reçoivent.
Cette séquence a-t-elle gâché la tournée africaine d’Emmanuel Macron ? Le président français achevait samedi en RDC une tournée dans quatre pays d’Afrique centrale placée sous le signe du « nouveau partenariat » qu’il entend construire avec le continent. Cette discussion avec Félix Tshisekedi montre-t-elle les limites d’Emmanuel Macron sur la scène internationale ? L’image de la France et de son dirigeant sont-elles encore un peu plus entachées après cette séquence ?
Dans une époque dominée par l’immédiateté et le format court, mécaniquement presque, l’écosystème médiatique aura tendance à capter principalement ce qui fait sens pour lui, le spectaculaire, le clash, l’inattendu. De ce point de vue l’impulsivité présidentielle est très adaptée, de manière organique à l’épiderme des nouveaux dispositifs d’information et de diffusion. Il ne peut ignorer, sauf à ne pas contrôler sa communication, que cette scène sera reprise sur les réseaux notamment et qu’elle imprégnera de sa tonalité, de son registre propre les perceptions de cette visite africaine et ce notamment en Afrique. In vivo Macron a été le principe activement dissolvant de ce qu’il prétendait incarner. Il veut être le neuf mais par son manque d’humilité il véhicule ce qui est vécu comme une morgue qui ne ferait que reproduire des réflexes qu’il entend par ailleurs ranger sur les étagères de l’histoire. Le rapport de vérité et de franchise qu’il veut entretenir avec les anciens pays colonisés est perturbé par une attitude, une sémantique, des opérations de communication qui malmènent les principes d’acculturation élémentaires. Les positions françaises n’ont jamais été autant en recul sur le continent africain, contestées même par les gouvernements, l’ère Macron de ce point de vue marque un recul spectaculaire tant cette présidence se heurte à une incompréhension tout à la fois du style présidentiel et de ses initiatives notamment visant parfois à “contourner” les États pour s’adresser directement aux sociétés civiles, comme cela en a donné l’impression parfois lors du sommet franco-africain de Montpellier en 2021. Si la page se tourne en effet, ce n’est pas en raison de la volonté de la France, c’est parce que les États africains ne nous considèrent plus forcément comme un interlocuteur essentiel, voire sérieux, nonobstant les liens historiques et la francophonie. Notre affaiblissement vient de ce que nous n’apparaissons plus croire en nous du fait de l’alignement systématique de notre classe dirigeante sur des positions exogènes à notre singularité ; mais comme par ailleurs Emmanuel Macron se veut “prophétique” dans ses déclarations, il exacerbe le sentiment anti-français, donnant du “grain à moudre” au soupçon de morgue, et il commet, bien malgré lui, ce pire péché dénoncé par Machiavel pour un Prince, celui de n’être qu’un “prophète désarmé”. La France n’est plus performative, elle est spectatrice de son propre désamour. Les Africains nous tendent un miroir très cruel.
Comment expliquer que cet incident ait eu peu d’écho et que cette polémique n’ait pas fait plus de bruit dans les médias français ce week-end, alors que la séquence de Sergueï Lavrov déclenchant l’hilarité en Inde suite à ses propos sur la guerre en Ukraine a trouvé beaucoup plus de relais médiatiques ?
La trappe médiatique en France a manifestement occulté pour le moment cet incident assez exceptionnel. Elle peuttraduire une forme de banalisation du comportement présidentiel aux yeux des médias ou une indifférence quant à notre relation avec l’Afrique. Le Président français a quand même manqué à bien des principes de civilité qu’une visite d’Etat est censée respecter. Le respect de l’hôte est une matrice diplomatique, presque anthropologique si vous voulez considérer que l’altérité exige de ne pas s’attaquer frontalement à celui qui vous reçoit. En d’autres termes vous n’allez pas chez les gens pour les prendre de haut et leur dire explicitement qu’ils sont des “incapables”. Pour la circonstance, Emmanuel Macron quand il dit publiquement à son homologue qu’il n’a pas été en mesure de rétablir la souveraineté de son pays se laisse aller à un jugement qu’il est libre de penser mais que la bienséance diplomatique interdit d’exprimer, qui plus est, sur un ton aussi véhément et dénonciateur. La gestion de “la face” comme le rappelait le grand sociologue Erving Goffman est un rouage essentiel de “la mise en scène de la vie quotidienne” pour reprendre le titre éponyme de l’un de ses ouvrages. C’est là encore plus vrai dans les sociétés africaines et le président français a manifestement “manqué” à son interlocuteur… L’a-t-il fait pour des raisons internes à la vie politique du RDC ? Si c’est le cas, ce serait-là une ingérence communicante qui infirmerait la volonté de rupture avec cette fameuse ” françafrique” avec laquelle Emmanuel Macron dit vouloir rompre.