La question n’est plus seulement celle d’un projet de loi. Elle est celle du sens que le ministre des Outre-mer souhaite donner à son passage au gouvernement : veut-il être le père d’une révolution économique dans nos territoires ultramarins, celle qui donnerait enfin à la production locale sa pleine place et romprait avec l’héritage de dépendance à l’importation, forme contemporaine d’une continuité coloniale ? Ou bien préfère-t-il inscrire son nom dans les chroniques éphémères d’une popularité acquise au gré des débats sociétaux, en faisant de la rupture avec la France un « pompon » que chacun attrape, tel un trophée dérisoire, au milieu d’une manade de chevaux de bois où l’on tourne en rond ?
Le peuple ultramarin n’est pas dupe.
Il peut être légitimement traversé par le désir de faire seul, mais il mesure aussi la gravité d’un moment où la France, fragilisée, affronte ses propres défis. Dans ce contexte, attraper le pompon, c’est peut-être prendre le risque d’un saut dans le vide.
L’autonomie d’un peuple ne passe pas par la dénonciation et la querelle, mais par la construction : celle d’un tissu économique endogène, robuste et souverain ; celle d’un peuple productif, digne, libéré de la dépendance aux minimas sociaux ; celle d’un pouvoir d’achat restauré non par des prix artificiellement abaissés sur des produits importés, mais par la juste rémunération du travail et la valorisation de filières agricoles et industrielles locales, dynamiques et compétitives.
C’est cette révolution-là que nous attendons. Une révolution économique. Elle ne se fera ni avec des slogans ni avec des symboles. Elle se fera avec du courage politique, de la clarté stratégique et une vision partagée que nous espérons trouver dans cette loi de lutte contre la vie chère.
Changer de paradigme : de la dépendance à la souveraineté
Il est temps de rompre avec le vieux modèle du comptoir colonial qui, depuis des générations, a fait des Antilles et des autres territoires ultramarins de simples relais d’importation, captifs de circuits commerciaux contrôlés depuis l’extérieur. Ce modèle a entretenu la précarité, l’exode des talents, et une économie de rente au détriment de la création de valeur locale. Les conséquences sont connues : chômage structurel, fuite des jeunes, fragilité sociale et sentiment d’injustice. Nous sommes arrivés au bout du système
Pour renverser ce paradigme, il faut des mesures fortes, ambitieuses et structurantes. Il s’agit d’investir massivement dans les infrastructures de transformation, d’encourager l’innovation et l’entrepreneuriat local, de soutenir l’agriculture vivrière et les filières industrielles adaptées à nos réalités insulaires. Il faut aussi garantir un accès équitable au financement pour les porteurs de projets locaux, et mettre fin aux distorsions de concurrence qui favorisent systématiquement les importateurs au détriment des producteurs.
Réhabiliter la production locale, c’est aussi reconnaître la richesse de nos terroirs, de nos savoir-faire, de notre créativité. C’est donner aux Antilles et à l’ensemble des Outre-mer les moyens de nourrir, d’habiller, de loger et d’employer leur propre population, en s’appuyant sur des circuits courts, des coopératives, des PME innovantes, et une économie circulaire qui valorise chaque ressource.
Des arguments pour une politique de rupture
Premièrement, la relance de la production locale est une réponse efficace et durable à la vie chère, car elle réduit la dépendance aux fluctuations des marchés mondiaux et aux marges que d’aucuns qualifient d’abusives des importateurs. Deuxièmement, elle favorise la création d’emplois qualifiés, l’insertion des jeunes, et la valorisation des compétences locales. Troisièmement, elle renforce la résilience des territoires face aux crises, qu’elles soient économiques, sanitaires ou climatiques, en sécurisant l’approvisionnement et en réduisant l’empreinte carbone liée au transport.
Enfin, c’est une question de dignité et de justice.
Les Outre-mer ne veulent plus être des marchés captifs, mais des territoires d’avenir, capables d’inventer leur propre modèle de développement, respectueux de leur identité et de leur environnement.
L’histoire que le ministre écrira dépendra de son courage à choisir la transformation plutôt que la gestion du statu quo. Il peut être celui qui aura mis fin à la logique du comptoir colonial et ouvert la voie à une ère nouvelle, où l’Outre-mer ne sera plus le dernier maillon d’une chaîne d’importation, mais le premier acteur de son destin économique.
La France a tout à gagner à accompagner cette ambition. Car un Outre-mer fort, productif et confiant en lui-même, c’est aussi une France plus juste et plus moderne. C’est le choix que doit faire le ministre pour entrer dans l’histoire. Le temps, Monsieur le ministre d’État n’est plus aux demi-mesures : il est à la refondation.
Gérard Dorwling-Carter